Énergie

Les offres vertes d’électricité : comment en garantir l’origine ?

Publié le 18 juin 2019

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Décryptage - N°22

En France les offres d’électricité verte deviennent la norme, mais aujourd’hui, derrière chacune d’entre elles se cachent en réalité cinquante nuances de vert. Pour aider le consommateur d’électricité à y voir plus clair, nous vous proposons une présentation du dispositif permettant de certifier l’origine verte de l’électricité et un tour d’horizon des pratiques en la matière.
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Introduction

Dès lors qu’un consommateur d’électricité ne consomme pas sa propre production, l’origine physique de l’électricité qui lui est acheminée par le réseau ne peut être tracée. De la même manière qu’on ne peut pas retrouver une goutte d’eau tombant dans une rivière, il est impossible de suivre le parcours d’un électron dès lors qu’il est présent sur un réseau raccordant entre eux plusieurs producteurs et plusieurs consommateurs d’électricité. Cette réalité physique devait alors être contournée pour répondre à l’aspiration d’une partie de la population de consommer de « l’électricité verte » c’est-à-dire de l’électricité produite par des installations pour la production d’énergie de sources renouvelables.
A cette fin, les pouvoirs publics ont confirmé dès 2012 un dispositif de garantie d’origine. Si un mécanisme comparable se retrouve dans d’autres secteurs, notamment l’alimentation, il a fallu innover pour que l’on puisse établir une garantie d’origine de l’électricité étant donné la particularité physique ainsi rappelée. Dès lors, une garantie d’origine, qui a pour unité le MWh, est un document électronique servant uniquement à prouver au client final qu’une part ou une quantité déterminée d’énergie a été produite à partir de sources renouvelables ou par cogénération. Ces garanties d’origine ont pu alors permettre aux fournisseurs d’électricité de bâtir des « offres d’électricité verte » afin de répondre à un besoin exprimé par les consommateurs attentifs à l’origine de l’électricité qu’ils consomment, quand bien même les caractéristiques techniques de l’électricité ne permettent pas une distinction entre les différents électrons.
Ces certificats viennent donner une valeur au caractère vert de l’électron, et non à l’électron en tant que tel. Par conséquent, ces garanties d’origine peuvent en effet être dissociées de l’électricité produite. Toutefois, et afin de maintenir une cohérence entre le nombre de garanties d’origine et la production d’électricité verte, une seule garantie d’origine peut être émise pour chaque MWh vert produit.
Dans le cadre d’une offre verte d’électricité, il n’est dès lors pas assuré qu’un consommateur consomme effectivement de l’électricité produite par une installation de source renouvelable d’énergie. Il est simplement garanti qu’une quantité équivalente d’électricité à celle qui a été consommée par le consommateur a été produite et injectée sur le réseau, quelque part en Europe. Mais cette quantité d’énergie n’a pas forcément été achetée par le fournisseur en question, il a simplement acquis la garantie d’origine, c’est-à-dire le certificat, associée à cette production. A l’inverse, l’énergie produite à partir de sources renouvelables dont la garantie d’origine a été vendue séparément par le producteur ne peut plus être présentée ou vendue au client final en tant qu’énergie produite à partir de sources renouvelables.
Après avoir présenté quelques éléments de contexte du marché des garanties d’origine afin d’en saisir les tenants et aboutissants, les stratégies des acteurs en la matière, souvent différentes, seront étudiées.

Le marché des garanties d’origine

La garantie d’origine s’inscrit dans le cadre d’un marché européen où se confronte l’offre et la demande, et il en résulte un prix.

La demande française

La demande de garantie d’origine est directement liée à la demande exprimée par les consommateurs d’électricité d’opter pour une offre d’électricité verte. Plus les clients souscriront à de telles offres, davantage le besoin des fournisseurs d’électricité en garantie d’origine sera grand. Cette demande tend à croître fortement ces dernières années comme en témoigne le tableau suivant :
Tout porte à croire que cette tendance devrait se poursuivre. Selon un sondage OpinionWay réalisé en février 2017 :
– 67% des Français sont favorables à une offre d’électricité verte si le prix est égal ou moins élevé que celui d’une offre d’électricité grise ;
– 10% des Français sont prêts à souscrire à ce type d’offres même si le prix est plus élevé.
Il résulte également du baromètre 2018 du Médiateur National de l’Énergie que la propension des Français se disant prêts à souscrire une offre verte croit : cela représente plus de 80% des 18-34 ans. Ils sont aussi plus nombreux dans les classes moyennes et supérieures (79% des cadres et professions intermédiaires) et les grandes villes (78% des administrés des communes de plus de 100 000 habitants).

L’offre française

L’offre de garantie d’origine dépend non seulement de la production d’électricité de sources renouvelables, mais aussi de la volonté et de la possibilité des producteurs d’émettre de telles garanties d’origine.
Ainsi, en 2017, la production d’électricité de sources renouvelables représentait environ 84 TWh et seulement 39 TWh ont fait l’objet d’une garantie d’origine. Il en résultait environ 45 TWh pour lesquels le caractère vert de la production n’était pas valorisé par le mécanisme des garanties d’origine.
Cet écart s’expliquait en grande partie (environ 35 TWh) par les mécanismes de soutien public à la production d’électricité verte (obligation d’achat et complément de rémunération). Dans le cadre de ces deux mécanismes, il est impossible pour le producteur qui a bénéficié d’un soutien public de demander l’émission d’une garantie d’origine pour une quantité d’électricité produite. Si auparavant les acheteurs obligés – c’est-à-dire les acteurs qui achètent l’électricité aux producteurs à un tarif préférentiel – pouvaient émettre pour leur compte des garanties d’origine afin de les valoriser, le système n’était pas incitatif puisqu’une telle valorisation venait en déduction du montant de la compensation que ces acteurs recevaient à l’égard des frais supportés dans le cadre de l’obligation d’achat. Dès lors, jusqu’en 2018, l’essentiel des garanties d’origine résultant d’une production d’électricité localisée en France provenait des centrales hydroélectriques qui aujourd’hui ne bénéficient plus d’aucun soutien public.
La donne change cette année puisque la loi n°2017-227 du 24 février 2017 est venue réformer le cadre juridique applicable aux installations de production bénéficiant d’un soutien public. Pour celles-ci, les garanties d’origine correspondant à la production aidée seront automatiquement émises pour le compte de l’Etat et, pour tout ou partie, vendues aux enchères par Powernext à partir de l’année 2019. Les modalités de fonctionnement devraient prévoir une multitude d’enchères en fonction de la filière (photovoltaïque, éolien, hydroélectricité, etc.) et de la localisation (région administrative).

Les importations et exportations européennes

L’offre et la demande de garanties d’origine s’inscrivent également dans un contexte européen puisque des importations ou exportations de garanties d’origine peuvent être réalisées entre acteurs européens. L’européanisation du marché des garanties d’origine tend à s’accentuer d’année en année, comme en témoigne le tableau suivant qui précise les importations et exportations de garanties d’origine depuis et vers la France.
 
La France est le deuxième plus gros exportateur de garanties d’origine en Europe ; le premier étant la Norvège en raison notamment de ses capacités hydroélectriques.

Le prix

De la confrontation de l’offre et de la demande en résulterait des prix. Si la notion de « prix » est ici utilisée au pluriel, c’est qu’il n’existe pour la garantie d’origine aucun prix de référence, et ce pour deux raisons principales.
La première raison est que la valeur d’une garantie d’origine peut dépendre de nombreux critères et notamment et surtout de la filière de l’installation de production (solaire, éolien, hydraulique, etc.) et de sa localisation (l’installation, le pays et/ou la région d’origine). Il en résultait, en 2016-2017, des différences non négligeables comme en témoigne le tableau suivant :
La seconde raison est qu’il n’existe encore aucun marché organisé de la garantie d’origine en France : les acteurs s’échangent de gré à gré des garanties d’origine à des conditions propres et très souvent confidentielles. Il est toutefois à noter les enchères organisées par Powernext pour la vente des garanties d’origine de la production d’électricité bénéficiant d’un soutien public permettra de constituer un prix de référence pour chaque filière et localité.

Typologie des offres vertes et stratégie des fournisseurs

Avant 2016/2017, les offres d’électricité verte représentaient une niche du marché de la fourniture. Aujourd’hui, une offre verte est proposée par de nombreux fournisseurs en plus d’une offre classique (Direct Energie, Alterna, Proxelia, EDF) et quelques fournisseurs ne proposent aujourd’hui que des offres d’électricité verte : Ekwateur, Enercoop, Leclerc Energie, Energem, Total Spring, Ilek et Engie en sont des exemples.
Mais derrière cet engouement se cachent des pratiques et stratégies d’acteurs variées. Différents indicateurs peuvent permettre de mieux identifier comment sont constituées les offres des fournisseurs et dégager ainsi des éléments de différenciation.

L’origine des garanties d’origine

La provenance technologique (filière) et géographique des garanties d’origine (Europe, France) ou spécifique (installations identifiées) est la façon la plus simple de se différencier d’une offre verte classique. A cet égard, le comparateur du Médiateur national de l’énergie1 répertorie le mix d’approvisionnement en garanties d’origine du fournisseur. Certains fournisseurs bâtissent des offres d’électricité en certifiant aux clients que l’électricité fournie est non seulement verte, mais provient d’une région précise ou d’une filière spécifique. Tel est par exemple le cas d’une offre de fourniture d’électricité verte provenant d’installations de production hydroélectrique situées en Rhône-Alpes.

L’approvisionnement en électricité

Le caractère vert de l’électricité fournie ne peut être attesté légalement que par les garanties d’origine : il n’est pas nécessaire pour un fournisseur d’électricité verte de s’approvisionner auprès d’un producteur d’électricité verte. Aussi, la plupart des fournisseurs achètent les garanties d’origine quelque part, et l’énergie généralement ailleurs, là où elle est la moins chère : tel est généralement le cas aujourd’hui via le dispositif d’Accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH, dispositif qui permet de s’approvisionner « à prix coûtant » en électricité issue des centrales nucléaires exploitées par EDF), sinon sur la bourse de l’électricité. Autrement dit, la solution la moins chère est souvent de s’approvisionner en électricité issue d’installations de production non renouvelable.
Certains fournisseurs considèrent que pour qu’une offre d’électricité soit véritablement « verte », le fournisseur doit non seulement acheter des garanties d’origine, mais également s’approvisionner en électricité auprès d’un producteur utilisant des sources d’énergies renouvelables. Ainsi, l’intégralité de l’argent payé par le fournisseur pour son électricité et la garantie d’origine devraient directement revenir au producteur d’énergie renouvelable : c’est la notion de contrat direct entre producteur et fournisseur qui ne dissocie plus la vente de l’électricité produite par l’installation, de la vente des garanties d’origine associées.
Dans un tel schéma, la difficulté pour le fournisseur d’électricité est de garantir à chaque instant à ses clients ayant choisi une telle offre que les volumes acquis à des producteurs d’énergies renouvelables équivalent aux volumes consommés. Il faudrait que l’électricité achetée par le fournisseur soit produite au même moment que sa consommation. C’est en réalité difficile étant donné que la plupart des sources d’énergies renouvelables (vent, soleil, etc.) ont une production variable, pas toujours disponible pendant les périodes de pics de consommation. Généralement, l’équilibre offre-demande se fait à un pas de temps annuel : le fournisseur ne s’engage qu’à équilibrer annuellement les volumes (électricité + garanties d’origine) acquis aux producteurs d’énergies renouvelables à ceux vendus aux consommateurs. On notera toutefois que quelques fournisseurs ont marqué leur intérêt pour affiner l’équilibre offre-demande d’électricité verte en s’approchant toujours plus du temps réel ce qui nécessite généralement un mix diversifié en électricité verte ainsi que de puissants outils de prévision.

La politique de soutien aux énergies renouvelables

La garantie d’origine n’est pas en soi un dispositif de soutien, mais permet avant tout de certifier le caractère vert de l’électricité produite. Aussi, certains fournisseurs ont développé de nouvelles offres qui se concentrent davantage sur une hausse du prix proposé au producteur (pour les producteurs qui ne pourraient pas bénéficier de mesures de soutien public – ce qui augmente de facto le prix de vente au consommateur final) ou en prévoyant qu’une part de la facture du client soit dédiée directement au réinvestissement dans de nouveaux projets de production. L’additionnalité offerte par certains fournisseurs permet d’avoir un impact plus conséquent pour faire sortir de terre de nouvelles capacités de production d’énergie renouvelable, par exemple des parcs éoliens ou photovoltaïques.
En France les offres d’électricité verte deviennent la norme, mais aujourd’hui, derrière chacune d’entre elles se trouvent cinquante nuances de vert. Aussi, les pouvoirs publics s’interrogent sur le besoin de réguler et d’améliorer la transparence des offres afin de permettre un choix éclairé des consommateurs. L’idée d’un label émerge et l’ADEME, dans son avis de décembre 2018 sur le sujet, en appelle à mettre en place un référentiel « permettant de comparer objectivement le niveau de qualité des différentes offres vertes ».
On ne peut que soutenir cette démarche qui apportera nécessairement une information d’une plus grande qualité pour le consommateur quant au soutien effectif au développement des installations de production d’électricité de sources d’énergies renouvelables. La principale difficulté est de trouver une grille de lecture standardisée et des critères objectifs qui, tout en permettant une comparaison claire, puissent laisser une certaine souplesse aux fournisseurs pour proposer de nouvelles offres innovantes en la matière.
Alors qu’il a connu une réforme récente en France, le dispositif des garanties d’origine pourrait potentiellement évoluer aussi pour prendre en compte le nouveau cadre juridique en la matière au niveau européen. En effet, a été publiée récemment la Directive 2018/2001 du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables. L’article 19 de cette directive “énergie renouvelable” prévoit notamment, parmi les nouveautés, l’élargissement de l’utilisation des garanties d’origine au-delà de l’électricité, à toutes sortes d’énergie : il en va bien évidemment de l’électricité, mais aussi du gaz et de la chaleur, qui seraient produits à partir de sources d’énergies renouvelables.

 

1 https://www.energie-info.fr 

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