Politique Société
« Les arbres doivent-ils pouvoir plaider ? » de Christopher STONE, Éditions Le passager clandestin
Publié le 21 juillet 2022
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« Introduire l’idée que quelque chose a un « droit » (ne serait-ce qu’en parler ainsi), confère au système juridique une flexibilité et une ouverture d’esprit qu’aucune série de règles légales ad hoc […] ne peut produire. » (p. 94)
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Et si les entités naturelles se voyaient attribuer le statut de sujet de droit ? Cette proposition, loin d’être une simple provocation, est soutenue par le juge Christopher Stone en 1972 pour s’opposer à un projet de station de ski de la Walt Disney Company qui menace une forêt de séquoias en Californie.
Ouvrant son article sur une référence à La filiation de l’Homme de Darwin, l’auteur estime que l’extension continuelle des instincts et affects sociaux de l’être humain vers de nouveaux objets s’est accompagnée en parallèle d’un élargissement par cercles concentriques du droit. Ainsi, en ce qui concerne le passé proche de nos sociétés occidentales, les personnes racisées, les femmes et les enfants étaient considérés comme des « catégories de l’impensable » à qui l’on ne pouvait pas octroyer les mêmes droits que l’homme blanc, du fait d’une infériorité supposée qui ne reposait évidemment sur aucun fondement. D’après Stone, c’est désormais au tour des entités naturelles de sortir de cette catégorie de l’impensable et devenir pleinement des sujets de droits juridiques.
Que signifie être sujet de droits juridiques ? Pour Stone, ce statut permet d’abord d’intenter une action en justice en son propre nom. De surcroît, lors de l’octroi des réparations, la cour considère les dommages à son encontre et les compensations sont accordées à son profit. Or, en 1972 — et aujourd’hui encore — dans la plupart des procès, nous jugeons un litige entre les humains uniquement, car aux yeux de la common law, les entités naturelles sont perçues comme des objets de conquête par l’homme.
La question du mutisme des entités naturelles se voit souvent élevée au rang d’argument irréfutable par leurs opposants. Pourtant, d’aucuns ne se sont dressés contre l’octroi de ce statut à des « personnes morales » telles que les entreprises, les États, voire l’Église. En outre, Stone n’entend pas accorder les mêmes droits aux humains et aux arbres et sa vision s’avère anthropocentrique.
L’auteur pense ainsi cette question de statut juridique en termes de tutelle. Le tuteur pourrait dès lors avoir une vue englobante des problèmes rencontrés par son pupille, mais également se muer en défenseur des générations futures et en héraut des personnes indignées par ce que l’Homme fait subir à la nature. La « personnification de l’environnement » doit lui permettre, par ailleurs, de devenir le bénéficiaire des décisions de justice. La constitution d’un fonds fiduciaire, administré par le tuteur, viserait à conserver l’état de l’objet naturel au moment de son accession au statut de sujet de droit, mais également à dédommager les individus qui souhaiteraient porter plainte contre l’environnement (noyade, incendie, etc.).
Une autre idée avancée par Stone est celle d’un droit de l’environnement « absolu » qui confère un caractère « irréparable » au préjudice commis. Ainsi, certains acteurs ne pourraient plus se servir éhontément de leur argent pour pallier leurs dégradations.
De même, l’auteur estime qu’une transformation de nos imaginaires se révèle essentielle et nécessite une inflexion de notre vocabulaire. Nos mots influencent et dirigent notre pensée. Reconnaître que « les entités naturelles ont des droits juridiques » est important pour la rhétorique explicative que détiennent les juges.
Prônant la décroissance et assumant la réduction de notre niveau de vie que va entraîner l’octroi de droits aux entités naturelles, Stone appelle aussi à un changement de représentations sociales. Il voit dans la Bible, mais également dans la pensée de Darwin — récupérée par Spencer — la séparation de l’homme avec les composantes de la nature. Ce que dénonce l’auteur, c’est l’ontologie naturaliste et son mépris constitutif envers l’ensemble des entités naturelles. S’il considère que la vision occidentale du monde n’est pas la seule responsable de la crise écologique, elle nous a tout de même conduits à l’inaction.
Cependant, Stone démontre également un dédain intolérable envers les populations défavorisées qui souhaiteraient accéder à un niveau de vie prôné par l’Occident et promis par la mondialisation. Nous ne pouvons en aucun cas demander les mêmes efforts à tout un chacun, alors que quelques privilégiés ont joui allègrement du capitalisme et des exactions commises en son nom aux dépens de milliards d’individus. Certes, l’accès de chaque être humain à nos modes de vie destructeurs ne s’avère guère souhaitable pour l’avenir de notre planète, mais les efforts à fournir sont graduels et ce sont nos sociétés occidentales qui doivent donner un coup de collier pour changer les mentalités et lutter contre la crise écologique dont nous sommes, une fois n’est pas coutume, les responsables et les épargnés : pour combien de temps encore ? Le malthusianisme qui gangrène la pensée de Stone est également critiquable, mais n’enlève rien à la puissance de sa proposition.
Enfin, l’auteur considère que nous avons besoin d’un nouveau mythe où la Terre serait perçue comme un organisme et se rallie donc à l’hypothèse Gaïa. Néanmoins, il estime que l’homme devrait être l’esprit de cet organisme ; est-ce vraiment souhaitable ?
Publié pour la première fois en 1972, cet article fait régulièrement l’objet de rééditions. La version que nous présente ici Le Passage clandestin est préfacée par Catherine Larrère. La philosophe contextualise la rédaction et la parution de ce texte et insiste sur l’importance d’un tel article aujourd’hui. Si de récentes victoires charrient un vent d’espoir — la reconnaissance du fleuve Whanganui comme personne juridique ou celle du Gange et de la Yamuna, considérés comme des personnes morales avec des droits afférents —, le chemin à parcourir semble semé d’embûches.
Se référer de nouveau à ce texte s’avère pourtant essentiel, car ce sont les procédures juridiques qui font exister un droit, Stone l’avait bien compris. En 1972 s’est tenue la Conférence des Nations Unies sur l’environnement à Stockholm et le Club de Rome a publié le Rapport Meadows. En outre, les années 60 et 70 sont marquées par des penseurs tels que Nash, Lovelock, Singer et Næss et donc par la prise de conscience des impacts anthropiques sur l’environnement ; l’article de Stone s’inscrit de fait dans un mouvement plus global que nous présente Larrère. C’est lui faire honneur que de le situer dans ce mouvement d’ensemble.
Néanmoins, Stone s’avère peu cité de nos jours par les défenseurs de la nature qui ne veulent plus l’attribution du statut de sujet de droit à des entités naturelles, mais qui militent pour que la Terre soit perçue comme une communauté. L’écocide doit ainsi devenir un crime contre la paix.
Le droit n’est évidemment pas le seul moyen de lutte contre la crise écologique, mais c’est un langage que comprennent et manient ceux-là mêmes qui sont responsables de l’effondrement qui nous guette. Les combattre sur leur terrain de jeu n’a rien d’insensé, c’est même une nécessité.
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