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Le design territorial : une méthode pour faciliter les transformations liées aux enjeux écologiques en impliquant tous les acteurs locaux
Publié le 19 septembre 2024
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Article publié
A l’occasion de l’événement du 26 septembre 2024 à Rennes « Faire l’écologie des territoires », co-organisé avec l’Eclozr, La Fabrique Ecologique présente la méthode du Design territorial ou design de territoire. Emmanuel Thouan explique ici les étapes de cet outil facilitant la mise en place de projets territoriaux avec les acteurs concernés et une approche systémique, face aux enjeux collectifs de la transition écologique. Cette méthode sera présentée lors de l’évènement, ainsi que des exemples de projets sur des territoires.
Sommaire
Introduction
Accompagner les projets à toutes les étapes
Etape 1 : le diagnostic cartographique thématique
Etape 2 : L’observation et l’immersion
Etape 3 : l’idéation, atelier d’intelligence collective au service de la transformation
Etape 4 : La modélisation et la priorisation collective
Etape 5 : accompagnement à la rédaction du cahier des charges d’un AAP ou d’un AMI
Le « design doing » ou « design studio » pour accompagner la mise en œuvre opérationnelle
Conclusion : le design, une méthodologie basée sur la pensée systémique et l’expérience perçue
Notes de bas de page
Introduction
Face au changement climatique et à ses impacts sur les écosystèmes (eau, biodiversité, sols, etc…), Les territoires font face à des enjeux majeurs d’évolution, voire de transformation complète, en matière d’énergie, de mobilité, d’alimentation, de logement, de compétences. Ces enjeux pour les populations sont l’atténuation du processus de changement climatique en travaillant collectivement sur les causes d’émission des GES, et l’adaptation en travaillant sur les effets et leurs contraintes induites.
Pour répondre à de tels enjeux, les territoires[1] doivent présenter des projets adaptés à leur écosystème naturel et économique et à leurs populations, mais qui prennent en compte aussi toute une cascade de réglementations et de politiques publiques européennes, françaises et régionales (que l’on retrouve notamment dans les schémas et plans territoriaux : SCOT, PLUI, SRADETT, PCAET…). Même si les acteurs clés et les parties prenantes d’un territoire ont souvent des constats partagés, et même des objectifs communs sur ces problématiques, ils possèdent des cultures, des organisations, des langages différents. Ils peuvent aussi avoir des missions qui sur d’autres sujets – politiques, sociaux, économiques – les mettent en concurrence ou les opposent. Pour mettre en œuvre ensemble des projets territoriaux de transition ou de transformation, ils ont donc besoin d’un accompagnement leur permettant de coconstruire et de collaborer efficacement.
Le design territorial ou design de territoire présenté ici est une méthode de facilitation de tels projets territoriaux, permettant leur acceptabilité et une meilleure adhésion à la programmation des chantiers de transformation qu’ils induisent, tout en veillant à respecter les écosystèmes locaux. Cette méthode s’appuie sur les trois principes fondamentaux du design : l’analyse systémique, l’expérience de l’usage sur le terrain ainsi que la capacité de représentation et modélisation visuelle de la réalité technique d’un projet. Le design de territoire répond aux enjeux systémiques sociaux, environnementaux et économiques en s’appuyant dès le lancement de projet sur des outils cartographiques, visuels, partageables. Ainsi la concertation se réalise à priori. Le suivi de projet par la démarche design améliore l’acceptabilité des projets en matérialisant et illustrant les enjeux collectifs.
Accompagner les projets à toutes les étapes
Aujourd’hui, dans les territoires, les agents et les élus locaux, les experts, les entreprises, les divers acteurs …, toutes les parties prenantes, doivent rassembler, dans un premier temps, tous les éléments tangibles leur permettant de comprendre un sujet, se l’approprier, pour ensuite concevoir un projet. Cela nécessite, du temps d’analyse du sujet et de son contexte, de l’histoire socio-économique et de la géographie du territoire de projet… et de l’écoute mutuelle ! Dans un second temps, il s’agit d’intégrer l’ensemble de ces paramètres systémiques de situation avec les problématiques propres au projet, et s’attacher à les représenter sous forme d’un système complexe, pour aboutir par exemple à la rédaction d’un AAP (Appel à Projet) ou d’un AMI (Appel à Manifestation d’Intérêt). Ceci est notamment le cas de projets liés à des thématiques transversales, telles que la transition énergétique et climatique, l’eau, l’écologie en général.
Pour décrire les interventions du design territorial sur l’ensemble de ce processus, nous proposons ici 5 étapes distinctes dont la durée est variable : 2 étapes descriptives du contexte et les 3 autres de conception, modélisation, rédaction. A chacune de ces 5 étapes, le facilitateur-designer va mobiliser des outils d’aide à la décision des parties prenantes territoriales, en s’intéressant à tous les points de contact entre le sujet et ses parties prenantes. Le design aura ainsi un impact sur l’ensemble de la chaîne de valeur, qu’elle soit privée ou publique[2].
Les 5 étapes d’intervention du designer dans un projet de territoire
Le design de territoire : une représentation numérisée et cartographiée d’un projet dans toutes ses dimensions et incluant l’ensemble des acteurs concernés.
En travaillant ainsi à la représentation numérisée et cartographiée de leur projet sous forme systémique, et non plus en « tuyau d’orgue », thématique par thématique, le collectif des parties prenantes impliquées ne peut que mieux s’entendre, se comprendre, parler du même objet. Cela permet notamment d’innover dans les relations entre les organisations et les services publics locaux, sujet souvent préempté par diverses offres privées, mais que les politiques territoriales peuvent ainsi s’approprier. Elles peuvent ainsi plus facilement privilégier les aspects sociaux et écologiques des projets en mettant en avant les usages et le bien commun, plutôt que le seul souci de la rentabilité économique.
Dans la suite du texte, chacune de ces cinq étapes sera illustrée par un exemple tiré d’un même projet territorial en cours : il s’agit de la réponse portée par le living lab Ar Nevez[3] à une expression de besoin conjointe de la communauté de commune des Monts d’Arrée et du Pays Centre-Ouest-Bretagne pour une réaffectation de la « Maison du Lac » de Brennilis, dont EDF souhaite se désengager, suite à l’arrêt de la centrale nucléaire située à proximité. Conçu par l’architecte et urbaniste Marcel Roux, élève de Le Corbusier, au début des années 60, ce bâtiment à forte valeur patrimoniale, est en outre situé dans un site naturel exceptionnel. Dans le cadre du Mastère « Sustainable Innovation By Design » de l’ENSCI (Ecole Nationale Supérieure de Création Industrielle) de Rennes, et sous la direction du « Design Lab Bretagne », des étudiants ont bâti des scénarios d’avenir à la Maison du Lac de Brennilis à partir desquels le commanditaire AR NEVEZ a proposé une réaffectation à vocation touristique de cet ensemble.
Etape 1 : le diagnostic cartographique thématique
Dans un premier temps, la méthodologie de design de territoire consiste à réaliser un graphe des parties prenantes concernées par un projet de transformation du territoire. L’échelle de ce territoire est variable en fonction du sujet et des besoins et contraintes liées aux parties prenantes à l’initiative du projet. L’objectif est de créer une adhésion de l’ensemble des parties prenantes en coconstruisant un concept de projet permettant la réalisation ultérieure d’un cahier des charges intégrant les critères que le diagnostic cartographique aura permis d’identifier dans la phase suivante
Basé sur des cartes géographiques, ce diagnostic nécessite un travail d’identification des partie prenantes impliquées dans une thématique de transformation. En interrogeant les populations concernées par le projet de transformation et en identifiant leurs usages du territoire, le facilitateur va créer un écosystème de valeurs, composé par les acteurs clés du territoire : politique, entreprises, associations, citoyens. Ce travail, outre la visualisation exhaustive des populations concernées, renseigne sur les besoins indispensables à la pérennité du futur projet. Chaque acteur est identifié et qualifié en fonction de ses besoins et de ses irritants supposés (ces notions sont précisées à l’étape 2).
Ce travail de cartographie doit aussi permettre de déterminer quels sont les acteurs à rencontrer et à observer sur le terrain d’application de la transformation (voir étape suivante).
Dans un second temps, le diagnostic s’enrichit des données quantitatives, statistiques des territoires permettant de partager et d’identifier la situation préalable aux projets transformateurs. Pour permettre la réalisation d’expérimentation sur les territoires, il convient de mettre en place des indicateurs ad hoc afin d’évaluer les stratégies au regard, notamment, des Objectifs du Développement Durable (ODD) de l’ONU.
Outil : Cartographie collective de conception collaborative : passage d’une vision verticale silotée à une vision transverse
Les étudiants du Mastère SIBD de l’ENSCI ont travaillé à la préparation de l’immersion en réalisant un diagnostic cartographique de la situation du territoire.
Etape 2 : L’observation et l’immersion
La phase d’observation propose une enquête de terrain en renseignant des outils de recueil et d’analyse de données d’usages qualitatives, à partir des informations recueillies lors du diagnostic. Les outils d’enquête sont empruntés à la sociologie pour définir les relations entre le territoire et les hommes et femmes, et à la biologie pour comprendre la relation entre le territoire et le vivant.
La posture des enquêteurs est choisie préalablement entre les modalités d’immersion, d’espionnage ou de reportage. Le but est de valider ou enrichir les éléments mis en exergue par le diagnostic cartographique thématique. Il existe souvent une différence entre le déclaratif et l’usage ; l’immersion va permettre de réaliser un tri entre ce que l’on dit et ce que l’on fait réellement.
L’observation qualifie les besoins et les « irritants » de l’ensemble des parties prenantes du territoire en projet de transformation. Les besoins sont les prérequis à l’accomplissement des actions de mise en œuvre du projet. Les irritants sont les obstacles ou les freins qui empêchent la réalisation des actions de transformations, ils sont différents pour chaque partie prenante du projet. Ainsi, l’ensemble des critères, permettant de justifier de la démarche collaborative, sont pris en considération et alimentent les phases de solutions de problèmes et de générations d’idées, contextualisées et cohérentes.
Outil : Scénario d’expérience et usage, storyboard, carte d’empathie
Deux jours d’enquête et d’immersion sociologique et anthropologique sur le terrain. Rencontre des élus, des habitants des commerçants pour recueillir les besoins de chacune des parties prenantes.
Etape 3 : l’idéation, atelier d’intelligence collective au service de la transformation
Cette étape est celle du travail de génération de solutions collectives, pré-requis indispensable à l’appropriation des solutions par les parties prenantes. Pour ce faire, ces dernières doivent toutes participer aux phases de créativité.
Le travail se fait en atelier d’idéation collective, conçu en fonction des objectifs de transformation et basé sur les données relevées lors des phases amont. Des outils de facilitation, de simplification et d’accompagnement aident les acteurs à faire émerger des solutions cohérentes et contextualisées. L’engagement collectif doit être réel pour que chaque participant/participante se sente responsable des idées du projet collectif
Enfin, en aval de l’atelier, un travail de restitution illustré est partagé avec toutes les parties prenantes en prenant soin de présenter exhaustivement l’ensemble des travaux du groupe de suivi du projet, ou du programme de transformation induit par un projet.
Outil : Port-folio des propositions de solutions contextualisées
Conception d’un atelier permettant l’émergence de solutions contextualisés.
Etape 4 : La modélisation et la priorisation collective
Il s’agit maintenant de valider et de prioriser le bien-fondé des projets proposés lors de l’atelier collectif d’idéation de l’étape précédente. Les solutions de transformation sont mises en scène grâce aux outils de projection et d’illustration des designers. La priorisation des actions est réalisée par le collectif, en utilisant l’ensemble des données définies lors des phases de diagnostic et d’immersion, et en identifiant l’écosystème des acteurs en capacité opérationnelle de mettre en œuvre le programme de transformation induit par le projet.
Chaque projet est évalué en fonction des critères de faisabilité, d’usage, de réponse aux enjeux de transformation au regard des parties prenantes et de l’environnement du projet. Cette évaluation intègre les externalités positives et négatives dans l’ensemble des dimensions socio-économiques et environnementales. Ainsi, par exemple, les solutions collectives priorisées, en avance de phase par rapport à la rédaction d’un cahier des charges de projet ou de programme de transition, sont modélisées, présentées et évaluées par le collectif.
Le concept de projet qui obtient la meilleure évaluation est synthétisé dans un cahier des charges du projet intégrant les volets systémiques, sensoriels, d’usage et émotionnels (cf : Loi du 29 janvier 2021 visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises), en complément du cahier des charges fonctionnel.
Une fois que le projet collectif est bien identifié, le designer en conçoit une représentation visuelle qui peut prendre différentes formes : démonstrateur vidéo, scénarisation illustrée en bande-dessinée, site web vitrine d’alignement des acteurs du projet.
Outils : Carte de priorité, Modèle Circulaire, Chaîne de valeur circulaire, carte d’impact
Travaux de restitution et choix des éléments de planning en fonction des retours des parties prenantes.
Etape 5 : accompagnement à la rédaction du cahier des charges d’un AAP ou d’un AMI
Pour conserver la dynamique d’engagement de l’ensemble des acteurs et des parties prenantes concernant un projet-programme de transformation du territoire, le commanditaire est accompagné par le facilitateur-designer pour s’assurer que l’ensemble des points d’intérêts perçus par les parties prenantes est intégré dans les documents. Cela permet de s’assurer que la démarche ne sera pas perçue comme descendante mais bien collaborative et coordonnée, en fonction des éléments de cadrage coconstruits par le groupe.
Outils : Planification du concept projet, indicateurs écosystème ODD
Mise en forme des éléments constitutifs de l’appel à projet Proposition des étapes d’accompagnement à l’architecture du territoire
Livrable : AAP systémique et territoriale, AMI systémique et territoire
Rédaction du cahier des charges des nouveaux modèles de financement en consortium
Le « design doing » ou « design studio » pour accompagner la mise en œuvre opérationnelle
Les méthodologies du design territorial peuvent ensuite, si nécessaire, aider à co-concevoir des solutions concrètes d’accompagnement de la maitrise d’œuvre et de la maitrise d’usage du projet conçu lors des cinq étapes précédentes.
Pour éviter une trop grande interprétation des éléments constitutifs du cahier des charges du projet, cet accompagnement peut être assuré par un référent élu dans le groupe consulté parmi les parties prenantes. L’objectif de ce médiateur est de maintenir le cap du projet coconstruit et de tenir informées les parties prenantes impliquées du déroulé du programme de transformation. Son avis est consultatif et permet de s’assurer de la cohérence entre les projets proposés par les organisations répondant à l’AAP ou l’AMI, et de garantir la neutralité, notamment dans les choix des opérations.
Outils : Relecture critique de l’AAP ou de l’AMI
Livrable : Points saillants de mise en garde sur le projet
-
Suivi d’implantation et test
Pour s’assurer que le programme correspond au récit collaboratif, un suivi des chantiers opérationnels est conduit tout au long de la mise en œuvre. Des tests d’impact, d’usage, de faisabilité vont permettre d’assurer l’acceptabilité du projet, lors de sa mise en œuvre. Ainsi, l’écart entre le concept et le projet se réduit malgré les itérations inhérentes aux facteurs exogènes.
Outils : Enquête d’implantation et retour sur expérience immersive
Livrable : Rapport de conformité du concept-projet
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Etude d’impact du programme une fois réalisé :
Pour valider la mise en œuvre du programme sur les volets atténuation, adaptation et régénération, une étude d’impact, selon les critères prédéfinis, par le médiateur est mise en œuvre. En fonction des résultats, des actions correctives peuvent être décidées.
Outils : Audit RSE, bilan carbone, impact systémique thématique
Livrable : Rapport d’impact territorial
Conclusion : le design, une méthodologie basée sur la pensée systémique et l’expérience perçue
Utiliser une approche différente telle que le design pour aider à la conception et à la mise en œuvre d’un projet de territoire, mais aussi plus généralement à la résolution de problèmes fonctionnels, facilite le changement de posture et de regard. Ainsi, « faire design » facilite d’emblée la capacité de « faire écologie ».
Cette démarche, accompagnée par un designer, peut être appréhendée par tous les profils professionnels et tous les niveaux de compétence. Elle est une aide à la production des feuilles de route, notamment vers les élus et leurs parties prenantes dans le cas d’un projet territorial.
Dans ce dernier cas, en concevant plus collectivement des projets de territoire, le but est de rendre les politiques publiques plus à l’écoute des populations, et plus soucieuses des écosystèmes. Durant les périodes de transformation, la méthodologie améliore en effet nettement l’acceptabilité des populations. Elle constitue un outil précieux pour la prise de décision collective concertée. Elle peut aussi permettre de d’aboutir à des projets non seulement plus vertueux mais aussi moins coûteux.
Notes de bas de page
[1] On désigne ici par ce terme toute entité géographique infra-nationale qui se constitue et se pense comme telle à partir d’un « projet » ou d’un « programme » ; ce peut être la Région (avec le SRADETT ou le PCAET par exemple), mais plus souvent une entité infrarégionale (EPCI, comité de bassin versant, etc).
[2] Dans le cas d’un projet public, la notion de valeur prend en général le sens d’un investissement de plus long terme au bénéfice d’une communauté ; par exemple un projet d’éoliennes citoyennes
[3] Ar Nevez est une structure associative de type « living lab » réunissant des acteurs bretons engagés dans la transformation des territoires face aux défis climatique, énergétique et de la biodiversité
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