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« Homo confort : le prix à payer d’une vie sans efforts ni contraintes » de Stefano BONI, Les Éditions L’échappée
Publié le 2 juin 2022
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Article publié
« Le confort est souvent assimilé, un peu hypocritement, aux notions de qualité de vie ou de bien-être, dont il faut au contraire bien le distinguer. Comme l’humanité hypertechnologique a pu en faire l’expérience, il est possible de vivre confortablement tout en allant très mal. » (p. 211)
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Stefano Boni considère que l’un des principaux problèmes de nos sociétés occidentales contemporaines réside dans la recherche incessante du confort. Cette amélioration des conditions de vie s’est déroulée au détriment de nos cinq sens, de savoir-faire traditionnels et de relations ancestrales à notre environnement.
Nos corps et nos esprits ne sont plus stimulés et selon l’auteur, toutes les activités nous sont facilitées par l’usage de multiples technologies. De fait, l’homo confort devient dépendant de la société hypertechnologique dans laquelle il évolue. Refusant la contrainte, la fatigue et l’effort, l’homo confort s’éloigne ainsi de gestes, de pratiques et de réflexions qui lui étaient consubstantielles.
L’homo confort se détache également des autres composantes de la nature, perdant ainsi des connaissances au sujet de la faune et de la flore qui l’entoure. L’exemple des abattoirs s’avère probant, puisque l’on se refuse de voir mourir des animaux, tout comme on ne supporte plus l’odeur des cadavres, du sang, etc. On se contente d’acheter des produits suremballés de matières inorganiques et vendus dans des supermarchés qui agressent tous nos sens, à coups de lumières aveuglantes et d’annonces publicitaires sempiternelles et abrutissantes. Seul l’odorat semble moins stimulé, mais c’est un leurre de nos sociétés hypertechnologiques. L’hygiénisme ambiant s’est en effet évertué à chasser les odeurs nauséabondes, mais nos sociétés microsmatiques sont devenues incapables de se fier à leur nez, et le constat est similaire pour le goût.
Le toucher aussi a subi des transformations rapides et destructrices. Nous ne supportons plus d‘être au contact de certaines matières et les callosités, verrues et autres difformités physiques gênent tout autant notre vue – reine des sens depuis l’Antiquité dans le monde occidental – que notre toucher. Notre rapport à la terre s’est donc considérablement modifié, et nous ne tolérons plus de fouler le sol et ses aspérités. Biologiquement capables de parcourir environ 40 kilomètres par jour, mais également de pister des animaux sur une trentaine de kilomètres pour les épuiser, nos corps sont devenus atones. Certaines activités anciennement nécessaires à l’existence se meuvent désormais en loisirs, telles que la marche, la course, etc. Le développement du sport comme hobby depuis le XIXe siècle se révèle en être la preuve la plus édifiante. Or, même ces pratiques s’avèrent corrompues par l’hypertechnologie, à l’instar du jogging qui peut se réaliser sur un tapis de course dans une salle de sport hyperventilée et où la pléthore de miroirs invite au culte de la personne. Les standards de beauté actuels que véhicule la publicité nous imposent une violence inouïe en nous laissant croire que nos corps sont laids s’ils ne ressemblent pas à ceux que l’on nous montre, alors que ces derniers sont évidemment retouchés. Ce bombardement d’images irréalistes met nos vies en danger, puisqu’en essayant de nous rapprocher de ces modèles, nous exposons nos corps à de possibles soucis de santé. Ce phénomène est accentué par une mauvaise alimentation, totalement aseptisée pour plaire à la doctrine hygiéniste, ainsi que par la multiplication des écrans qui nous éloigne de nos proches et de la nature, en nous donnant l’illusion d’être connectés en permanence à l’ensemble des composantes du monde. Pourtant, la déconnexion n’a jamais été aussi perceptible et cela s’exprime par le refus de changer nos habitudes confortables dans l’optique d’éviter l’effondrement vers lequel nous nous dirigeons pourtant vélocement. À trop rechercher le confort, l’homo sapiens s’est enfermé dans un cocon qui l’a coupé de tout ce qui faisait de sa personne un être humain à part entière.
Avis plus personnel
Grand oublié des critiques de nos sociétés contemporaines selon Stefano Boni, le confort semble ici se confondre avec le capitalisme. Le syntagme “d’homo confort” créé par l’auteur présente l’avantage de pointer du doigt une position accaparée par tout un chacun, mais le problème reste le même : le système dans lequel nous vivons. S’il émet quelques critiques à l’encontre de la société, c’est principalement chaque individu dans son intégrité physique et morale qui s’avère décrié pour ses choix comportementaux. Non sans considérer qu’une responsabilité individuelle est évidemment nécessaire pour éviter l’effondrement qui nous guette, rejeter la faute sur chaque être humain semble déplacé. Nous ne portons pas la même responsabilité en ce qui concerne l’état actuel de nos sociétés, en fonction de notre sexe, genre, couleur de peau, handicap, origine sociale ou géographique. Englober l’humanité tout entière derrière le néologisme d’homo confort constituerait un mensonge plénier et donc une contrevérité presque diffamatoire à l’encontre de plusieurs millions, voire milliards d’êtres humains. A l’inverse, si homo confort désigne seulement une partie des individus, quel est son pendant ? Et comment opérer une distinction juste entre l’un et l’autre ? En outre, plane évidemment au-dessus de nos têtes, telle une épée de Damoclès, les dangers d’une classification aussi simpliste.
L’auteur revient dans sa postface sur les critiques reçues lors de la publication de son ouvrage. Accusé d’idéaliser un passé à la fois révolu, mais surtout magnifié, Stefano Boni est notamment accusé de prôner un retour à un état de nature illusoire et de défendre le travail et la fatigue, que bien des anarchistes ont souhaité voir disparaître. Il prétend pourtant ne pas s’être fourvoyé et prêche un travail autonome et autogéré, défendu par la tradition libertaire. Boni insiste sur le fait que ce livre ne prétend aucunement proposer un programme politique, mais offre un constat qui se veut indubitable : depuis le début du XXIe siècle, l’hypertechnologisation de nos sociétés a contraint l’être humain à se transmuter en homo confort. Si sa défense a le mérite de le replacer dans des débats anarchistes, sa critique – certes constructive sur bien des points – frôle sans cesse un discours réactionnaire qui peut être récupéré à mauvais escient par des individus qui souhaiteraient promouvoir des idées que ne semble pas partager l’auteur.
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