Politique Société
« Écologie et Démocratie » de Joëlle ZASK, Éditions Premier Parallèle
Publié le 15 septembre 2022
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« Soit la démocratie est écologique, soit ce n’en est pas une, et réciproquement, soit l’écologie est démocratique, soit ce n’est pas de l’écologie. » (p. 8)
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Pour Joëlle Zask, écologie et démocratie sont inséparables ; chacune est une composante essentielle de la définition de l’autre. Cette assertion s’avère précieuse à une époque où les discours « écoautoritaires » et ceux issus du « totalitarisme vert » tendent à trouver un écho parmi un auditoire toujours plus nombreux. L’autrice insiste sur le fait que jamais un régime autoritaire n’a pris de mesures écologiques, si ce n’est sous pression d’un public démocratique industrialisé comme c’est le cas en Chine. Le populisme qui gagne du terrain aujourd’hui met en œuvre des mesures punitives qui s’abattent sur les petits pollueurs, ce qui est aux antipodes de l’écologie et de la démocratie, cette dernière se voulant progressive et expérimentale. Les citoyens doivent faire l’expérience de la démocratie, à la base de la pensée de John Dewey dont Zask est spécialiste. Ils doivent prendre des initiatives, s’engager dans des actions concrètes, créer leurs propres conditions d’existence et produire un environnement en l’absence duquel la démocratie ne pourrait s’exercer. Le système participatif doit être revitalisé, car c’est une fin, tandis que le système représentatif n’apparaît que comme un moyen. Par ce biais, tout un chacun peut accéder à l’autogouvernement.
Selon Dewey, l’expérience est le propre du vivant. Aucun être n’est passif ; il modifie son environnement à son échelle. Cette pensée rejoint le concept d’« organisme-personne » forgé par Tim Ingold où l’individu est perçu comme la continuité de son environnement. Se relier à l’écologie, c’est vivre une expérience où l’on s’efforce de maintenir ou de restaurer l’équilibre entre soi et son milieu. Faire l’expérience de soi, de l’autogouvernement et donc de la démocratie et de l’écologie est une expérience qui se vit à la première personne, qui ne peut-être substituée, mais où notre être est compris comme une pluralité de penchants dont l’équilibrage est un critère de justice, ce qui rompt avec la vision moniste de l’âme héritée de la pensée chrétienne. Si l’expérience se vit à la première personne, elle doit être commune et partageable, mais pas duplicable. Zask, en citant Dewey, prône l’intelligence collective, puisque les expériences d’autrui éclairent nos choix et aboutissent à la formation d’une communauté. Le terme de complémentarité, louée par l’autrice, permet de considérer la pluralité et l’égalité des êtres qui peuvent interagir ou agir de manière indépendante en fonction des situations. La complémentarité doit donc supplanter le vocable d’« interdépendance » qui a pourtant le vent en poupe.
De même, Zask critique l’idée d’une liberté comprise comme synonyme d’autonomie et qu’elle juge « négative ». Cette conception est elle aussi héritée de la religion et de l’ontologie naturaliste qui arrache un être à son milieu. Elle préfère l’acceptation de la liberté qui sous-entend « l’indépendance », perçue comme la forme de liberté qui se réalise dans l’autogouvernement. Pour que la liberté démocratique soit complète, il faut un égal accès de tous aux produits publics ou ceux disponibles sur le marché, comme le prônait d’ores et déjà Tocqueville. En ce sens, le technocapitalisme n’a rien de démocratique puisqu’il crée des besoins. Selon Zask, aimer la démocratie, c’est aimer la frugalité. L’autrice revendique une allocation universelle d’un petit lopin de terre par lequel tout un chacun atteindrait l’autosuffisance. L’outrage de notre époque est de constater que certains individus sont sans terres alors qu’il existe des latifundia. Nous pourrions reprocher à Zask d’oublier bon nombre de vivants en prônant ce partage de la terre qui sous-entend ainsi une propriété anthropique. Or, si nous nous référons à Proudhon, la propriété, c’est le vol ; celle de la terre étant une spoliation de l’environnement de nombreux êtres vivants.
L’« intérêt général » est ici perçu comme une séparation de l’âme et du corps qui met en avant la raison, là où Zask prône une philosophie pragmatiste qui valorise des associations productrices de différenciation et d’individuation, et donc des particularités qui sont de véritables expériences démocratiques. Par essence, le républicanisme tolère mal les différences. À l’inverse, le « pays », selon l’acception géographique du terme, est un microcosme. C’est un territoire qui a du sens pour tout individu, car il le partage avec des gens auxquels il se relie, en dépit de leurs différences. Dans ce sens, pays et paysage se confondent, et ce dernier doit être traversé et expérimenté pour être aimé. Zask revient ainsi sur l’affaire de Montedison pour illustrer son propos. En 1972, les autorités italiennes avaient permis à l’entreprise du même nom de rejeter quotidiennement deux à trois mille tonnes de boues rouges dans le golfe de Gênes. Le cap Corse situé à une vingtaine de milles a subi de plein fouet cette pollution marine et des mouvements de contestations se sont formés rapidement. En faisant fi de leurs différences, et au nom de « droits bioculturels », différents acteurs ont décidé de faire cause commune. Cette mobilisation générale a abouti à la condamnation des responsables de la multinationale lors d’un procès à Livourne. Cette défense du « pays » est aux yeux de Zask un idéal démocratique par excellence. La philosophe n’exclut d’ailleurs pas les milieux urbains qui peuvent également constituer des pays et être perçus comme tels ; elle milite ainsi pour une réappropriation de la ville.
Zask considère que ces protecteurs du « pays » sont des « gardiens » qui ne s’expriment pas au nom des entités naturelles, mais de leurs relations avec un monde menacé. La pertinence du terme de « gardien » a de quoi interroger, tant il est connoté et associé à l’essentialisation des peuples autochtones ainsi que certains acteurs locaux qui ne s’identifient pas à cette appellation. Le problème reste le même pour ces deux catégories de population. Elles sont cantonnées à une vision caricaturale de leurs propres personnes et privées d’agentivité. Par ailleurs, l’autrice prône également un réensauvagement du territoire qui est hautement contestable, tant cette pensée a tendance à mettre sous cloche la nature et à défendre une vision faussée et anhistorique de la nature qui, par le passé, aurait été vierge de présence humaine.
Enfin, Zask valorise la figure du hacker qu’elle romantise sciemment et oppose à celle du pirate, accusée d’être un ennemi du bien commun. L’anthropocène est ainsi perçu comme l’ère de la piraterie et du pillage de la terre. Le hacker, pour sa part, souhaite restituer aux gens les biens injustement privatisés et questionne les lois, les normes et les règles en démontrant leur insuffisance fonctionnelle. Par les actions des hackers peut se former un « réseau social du don » qui favorise la mise en place d’une démocratie. D’où l’importance de faire l’éloge des petits gestes et des initiatives locales, à l’instar du hacking de l’aéroport de Tempelhof de Berlin entre 2010 et 2014.
Joëlle Zask conclut son ouvrage sur une nouvelle référence à Dewey, pour qui la démocratie n’est pas une forme d’association parmi tant d’autres, mais la seule possible. En effet, la démocratie prête une attention toute particulière à l’individu et à la communauté, produits et producteurs de leur environnement : démocratie et écologie s’avèrent bel et bien indissociables.
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