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Yann Wehrling : « La diplomatie environnementale doit se réveiller »
Publié le 1 avril 2025
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Article publié - N°3
Yann Wehrling, ancien ambassadeur de France à l’environnement (2018-2021), et actuel vice-président de la région Ile-de-France chargé de l’environnement, dresse un portrait vacillant de la diplomatie environnementale, incapable pour l’heure d’opérer certains virages qu’il estime nécessaires. Entre fragmentation des institutions onusiennes et agitation désordonnée des acteurs internationaux, l’urgence impose de repenser la gouvernance et les priorités. Les COPs, censées structurer l’action climatique, peinent à dépasser les blocages, tandis que le multilatéralisme vacille sous la pression des États-Unis, de la Russie et de la Chine. Pour l’auteur, l’écologie doit sortir d’une vision climato-centrée qui relègue la biodiversité, les pollutions et les inégalités sociales au second plan. Il plaide pour une refonte des cadres d’action et pour l’organisation d’un nouveau Sommet de la Terre en 2032, 50 ans après celui de Rio, afin de redonner à la coopération internationale une ambition à la hauteur des défis : témoignage.
Comme me le disait encore récemment un éminent cadre de l’actuel gouvernement, la fonction d’ambassadeur thématique, « ça permet de tenir le siège ». Par siège, on entend celui de la France dans les cénacles et réunions internationales. Je fis ce minimum… et quelque peu davantage, notamment d’y déployer un plaidoyer militant écologiste, notamment en faveur d’un sujet qui m’a toujours tenu à cœur : la protection des espèces emblématiques, grands singes, éléphants, cétacés. Je dois bien avouer que cette seconde action, militante, pas totalement inscrite dans ma feuille de route, était inhabituelle dans la fonction diplomatique[1] et m’a le plus intéressé.
Elle m’a permis de construire des complicités avec certains diplomates. Je pense notamment à Olivier Poivre-d’Arvor, actuel ambassadeur aux océans. Ou encore Aurélien Lechevalier qui fut chef adjoint de la diplomatie à l’Elysée quand je pris mes fonctions et qui a permis la rencontre entre le Président de la République et le bureau de l’IPBES, véritable tournant dans l’émergence des enjeux de biodiversité dans l’agenda diplomatique. Il y a aussi eu Philippe Lacoste, ancien ambassadeur de France au Tchad, avec qui j’ai été dans des villages tchadiens pour observer des éléphants menacés par le braconnage.
S’engager dans une telle mission, ça peut plaire… ça peut aussi déplaire. Ce n’est pas la meilleure manière de durer… j’ai dû malheureusement l’acter. Ce bref passage m’a donné un aperçu de la diplomatie environnementale. Un regard qui reste donc à la fois quelque peu extérieur, tout en ayant pu toucher de près à tous les arcanes onusiens. De cette expérience, je retiendrais quelques éléments.
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Il est d’abord étonnant que, dans l’opinion publique, la diplomatie environnementale se résume aux COPs (Conventions des Parties), et bien souvent à une seule COP : celle sur le climat. Les conventions environnementales sont en fait nombreuses. Durant mon mandat, j’ai eu à en suivre près d’une dizaine (sans compter des conventions en devenir, comme celle sur les plastiques ou celle sur les océans), chacune faisant l’objet d’un texte adopté par les États siégeant à l’ONU. La majorité des discussions et coopérations se font en outre sans nécessairement s’appuyer sur une Convention diplomatie environnementale, et peuvent ne concerner que quelques États.
S’agissant des COPs, c’est-à-dire des Convention des parties[2], elles peuvent parfois donner l’impression d’une vaste réunion avec de très nombreux acteurs (Etats, ONG, entreprises, etc…). Mais la réalité institutionnelle est que c’est avant tout une réunion d’Etats. C’est en tout cas eux seuls qui décident. Les « autres » sont des lobbys ou des parties prenantes, qui défendent leurs points de vue, dans les couloirs et à la porte des cénacles de décision.
Elles sont tantôt louées et médiatisées pour leur impact sur les opinions publiques et sur la mobilisation planétaire pour l’environnement (ayons en mémoire les grands moments que furent les sommets de la Terre de Rio ou de Johannesburg, ou la COP21 de Paris). Plus souvent, elles sont accusées d’instances de bavardages où les compromis sont impossibles et finissent, en bout de course, à des déceptions immenses.
L’utilité du multilatéralisme des COPs
Il est souvent reproché aux accords internationaux de ne pas être contraignants. C’est oublier un principe qui l’emporte sur tous les autres : la souveraineté des États et leur libre adhésion au cercle de discussion que constitue l’ONU. Si on poussait le propos, on pourrait presque estimer que cela relève déjà du miracle que la totalité des États de la planète accepte de siéger à l’ONU. Rien ne les y oblige. Le refuser ne les exposerait à aucune sanction… pas même celle d’être au « ban des nations ». Et c’est un miracle encore plus grand de constater qu’une très large majorité s’accordent sur des textes et des engagements. Ces accords se comptent en centaines (si on parle d’accords multilatéraux) et de milliers (si on y ajoute les accords bilatéraux).
Dans le contexte actuel de remise en cause frontale de ce multilatéralisme, sans encore parler au passé, on doit admettre que c’est un point très positif de constater cette capacité à dialoguer et s’entendre à l’échelle mondiale. Et on peut estimer qu’il est important d’admettre que leur existence tient au fait que c’est, pour chaque Etat, une décision volontaire et non une décision qui s’impose à lui.
Certains, notamment parmi les ONG environnementales les plus radicales, critiquent souvent vertement ces accords internationaux peu contraignants. Pourtant, ajouter trop de contraintes, ce serait renoncer à la signature d’un nombre significatif d’États. Les progrès environnementaux seront-ils plus forts en étant un petit nombre d’États engagés ? Évidement non. La valeur d’un traité mondial qui n’est pas signé par tous les pays ou par des pays trop puissants est fragile. Ainsi en va-t-il par exemple des accords de Paris dont les Etats-Unis sont sortis. La règle d’or de la diplomatie onusienne est ainsi de garder autour de la table un maximum de ceux qui constituent la « communauté internationale », et ce au prix de larges concessions diplomatiques donnant à chaque mot un poids démesuré.
Cette réalité est aujourd’hui très fragile et les écologistes les plus véhéments reverront peut-être leurs points de vue passés à l’aune de qui se profile devant nous. Certains, comme Hubert Védrine, ose même dire, non sans humour, que le terme « communauté » est devenu trop chaleureux tant il est vrai que le multilatéralisme onusien est mis en pièce par la Russie, la Chine, et maintenant les Etats-Unis.
On pourra reprocher aux « grandes COP » d’être des symposiums purement déclaratifs. Bien des améliorations sont en effet nécessaires. Mais en vouloir la disparition ne ferait qu’accentuer le détricotage de ce multilatéralisme qui nous a globalement fait vivre en paix depuis le lendemain de la seconde guerre mondiale.
La seule question qui se pose est de savoir si, dans l’hypothèse heureusement inexistante à ce jour, d’une disparition totale de toutes ces COPs, serions-nous dans une meilleure situation pour la planète ? Assurément non. Réunir tous les pays de la planète et les faire débattre et s’entendre sur des objectifs communs, nous y parvenons depuis des décennies. Se mettre d’accord pour vouloir réduire nos émissions de gaz à effet de serre pour éviter un changement du climat qui rendrait nos vies insoutenables est, en soi, un consensus qui n’est pas si évident. Se mette d’accord pour éviter une sixième extinction des espèces et pour cela protéger 30% des terres et des mers, n’est pas plus évident.
De notre fenêtre d’européens qui sommes, chez nous, parmi les plus exigeants en matière de protection de l’environnement, médias, influenceurs et réseaux sociaux aidant, nous y voyons des timidités insupportables. Greta Thunberg, une européenne blanche et issue d’un pays riche, va insulter les chefs d’État à l’ONU. Mais du point de vue d’un gabonais, d’un chinois ou d’un péruvien, ces engagements peuvent paraître comme colossaux. Certains disent, parce qu’ils ne réalisent pas où en sont la plupart des pays de la planète, que ces COPs sont inutiles. Non, sans elles, l’Europe serait très seule dans ses convictions. Avec ces COPs, nous partageons un socle de pensée commune. Sans elles, nos pensées pourraient diverger. Sans elles, certains continents pourraient finir par penser que le changement climatique n’existe pas et que la perte de biodiversité n’est pas d’une très grande gravité.
Certaines COP produisent des résultats très concrets
Même si bien des améliorations sont nécessaires – et j’y reviendrai plus loin -, certaines COP sont pleinement opérationnelles et produisent des résultats concrets.
Premier exemple : La convention de Vienne sur la couche d’ozone. Adoptée en 1985 par 197 États, elle a permis de mettre en œuvre des mesures très concrètes d’interdiction mondiale des fréons (CFC) responsables de la destruction de la couche d’ozone. Plusieurs conditions pour cette réussite : l’objectif n’était pas trop large, pas trop compliqué à atteindre, la mesure était simple à mettre en œuvre et des alternatives industrielles étaient disponibles. En quelques années, la couche d’ozone s’est reconstituée.
Second exemple : la CITES, la convention internationale contre le trafic des espèces. Là encore, l’objectif est simple : interdire le commerce des espèces qui sont en danger. Une fois une interdiction adoptée en COP, les douanes du monde entier actualisent leurs listes d’espèces interdites de commerce. Les saisies sont immédiates partout dans le monde. De toutes les COPs auxquelles j’ai pu assister, c’est d’ailleurs celle-ci qui m’a laissé le sentiment le plus fort d’avoir été « utile ».
Pourtant, il peut arriver qu’on arrive avec peu d’espoirs. Ce fut le cas pour moi lors de la CITES en 2019. Détail d’importance : pour la France, les arbitrages sont faits en amont des COPs. C’est l’Union européenne qui a compétence pour tenir la position des États membres durant les COPs. C’est une force car l’UE vote comme un seul homme et s’exprime d’une seule voie via la présidence de l’UE du moment. C’est aussi une frustration pour les Etats membres qui restent muets durant toutes les COP. Frustration d’autant plus grande quand la position française est minoritaire parmi les États membres.
Le cas des éléphants d’Afrique était le point majeur de désaccord. Alors que la France et une petite minorité d’autres États membres était pour une interdiction totale de toute vente d’ivoire, la majorité des États de l’UE y restait favorable pour les éléphants issus des pays du sud de l’Afrique. Ces derniers argumentaient que les bénéfices tirés des chasses et de l’ivoire leur permettaient de financer la conservation de toutes leur faune, y compris de celle des éléphants. Et il n’était pas faux de dire que les populations d’éléphants dans ces pays du sud de l’Afrique se portaient plutôt bien. Le problème était que cette permission (encadrée et surveillée car payante dans les pays du sud de l’Afrique) entrainait un braconnage sur tout le reste continent africain dans des pays qui n’avaient quasiment aucun moyen de faire des contrôles. Une hécatombe !
Il fallait une interdiction totale. C’est un point sur lequel je n’avais pas eu gain de cause. En revanche, dans ce dossier des éléphants, un autre scandale persistait : celui d’autoriser le prélèvement d’éléphanteaux vivants à destination de zoos (principalement en Asie). Ces prélèvements traumatisant pour les mères et les troupeaux avaient aussi pour conséquence fréquente la mort des éléphanteaux durant le voyage vers leur lieu de captivité. L’interdiction de cette pratique était à l’ordre du jour et là encore, l’Union européenne, toujours alliée de ceux qui commercent l’éléphant en Afrique, comptait s’opposer à cette interdiction. Je m’en étais vivement ému… en vain. Et un vice de procédure annula au dernier moment les 27 voix de l’Union européenne. 27 voix en plus ou en moins dans des votes au niveau onusien, font ou défont les votes. L’interdiction fut donc approuvée. Houra des protecteurs des éléphants.
Avec d’autres, nous contactâmes tous les journalistes que nous connaissions. Le lendemain, la nouvelle fut relayée dans la plupart des grands quotidiens. Ce même jour, les États membres de l’UE se réunissaient et le représentant de la Commission européenne nous annonçait froidement qu’il allait demander un nouveau vote (qui, cette fois, allait annuler l’interdiction). J’ai montré le titre du Monde en France. Die Welt en Allemagne avait fait un titre équivalent, El Païs également, et beaucoup de unes dans les pays européens. Plusieurs ambassadeurs demandèrent la possibilité de consulter leurs ministres. Mon collègue ambassadeur de France auprès des instances onusiennes à Genève, François Rivasseau, qui était à mes côtés, m’a aidé à gagner du temps en procédure. La plupart des ministres des États initialement contre l’interdiction demandèrent que le vote ne soit pas remis en cause, craignant la réaction des médias. Nous avions gagné. Les éléphanteaux ne sont plus prélevés dans les troupeaux. J’en garde une vraie fierté.
Ces deux exemples me font dire que les conventions internationales qui marchent doivent avoir un champ d’action ciblé et des résultats facilement explicables aux opinions publiques, et si possible, aux applications relativement proches dans le temps.
Une prépondérance excessive de la COP climat
La COP la plus connue est la COP « climat », de son vrai nom en jargon onusien la CNUCC (Convention des Nations Unies sur le Changement Climatique). La plus connue mais aussi la plus « canibalisante » de toutes les autres. Cette cannibalisation a été telle qu’au cours des dernières années, parler de protection de l’environnement se résumait à la question climatique, oubliant de fait les 16 autres ODD (objectifs du développement durable de l’ONU). Haut conseil pour le climat, convention citoyenne pour le climat, marche pour le climat des lycéens… la biodiversité, l’eau, les forêts, les océans… à la trappe. Quelle étonnante réduction du spectre de l’écologie durant ces dernières années, même du côté des jeunes générations !
Pourtant, en 1992, au sommet de la Terre, l’ONU décide le lancement de trois conventions majeures, sur le climat, la biodiversité, et la désertification. Au fil des COPs et des années, les moyens mis en œuvre pour la convention climat dépassent ceux déployés pour les deux autres COPs. Partout dans le monde, les enjeux environnementaux ont fini par se résumer au climat. J’ai pour ma part, une explication : cette cause climatique rejoint un enjeu économique du fait de la dépendance quasi totale du continent européen aux énergies fossiles. Il est dans l’intérêt des européens de réduire leur dépendance aux énergies fossiles, et donc d’être le moteur de cet agenda vis-à-vis du reste du monde. Celui-ci a suivi au motif que la réalité du changement climatique était indéniable mais les réticences à avancer restaient du côté des pays producteurs : Chine, Inde, Etats-Unis, Canada, Australie, et évidemment pays du Golfe.
Cette prépondérance du climat sur la biodiversité a été telle qu’il a même fini par déployer des solutions parfois problématiques pour la biodiversité : compensation carbone avec des plantations d’arbres au cordeau dont la seule valeur était la captation carbone. Cela validait au passage la destruction de forêts tropicales qui, du simple point de vue du carbone, étaient ainsi « compensées » par des monocultures plantées sur des centaines d’hectares. Ce prisme ‘carbone » permet de mettre un signe égal entre une forêt tropicale humide et des hectares de palmiers à huile. Le développement d’énergies renouvelables, du seul point de vue du climat, peuvent oublier les paysages et de la nature. Les solutions autour de l’électrique nécessitent des minerais prélevés sans considérations des espaces naturels dégradés par les mines. C’est bon pour le climat… assez peu pour la nature.
Depuis quelques années, la question de la biodiversité a heureusement pris plus de place dans les opinions mondiales. Un intérêt plus grand existe. Des solutions ont commencé à être trouvée. Je pense notamment à cette disposition mise en place quand j’étais ambassadeur, par notre Agence française de développement, qui a décidé de consacrer 30% de ses investissements pour le climat dans des opérations ayant un co-bénéfice pour le climat et la biodiversité. Cette lecture climato-centrée reste néanmoins encore trop présente. Il nous faut en sortir pour revenir aux sources et à l’esprit des premiers sommets de la Terre et des 17 ODD. Quant aux moyens financiers, les fonds pour le climat se sont multipliés et ont capté tous les financements environnementaux au détriment de la protection de la nature.
La question des financements
Plus généralement, la question de l’argent mis sur la table au niveau international pose question. Commençons par le coût des COPs. Elles coûtent cher. Certains diront qu’on pinaille au regard des montants globaux nécessaires pour mener à bien l’action environnementale au niveau planétaire. Il n’en demeure pas moins que les symboles comptent. Ces réunions sur plusieurs jours qui regroupent des dizaines de milliers de personnes chaque année dans une ville du monde. Cela représente une somme jamais évaluée. Pourtant, les voyages, les frais sur place, le prix des stands, la logistique associée… ce sont des dizaines, des centaines de millions d’euros dépensés chaque année.
Et la COPs Climat n’est pas la seule. D’autres COPs se réunissent chaque année. J’ai en mémoire cette bataille que j’ai menée pour tenter de glaner quelques misérables dizaines de milliers d’euros pour financer dans l’ouest du Sénégal, dans les dernières forêts abritant des populations de chimpanzés, la construction de lavoirs. Les femmes des villages lavent leur linge directement dans le même cours d’eau où viennent s’abreuver les chimpanzés (et toute la faune locale). Les lessives et les déchets textiles polluent gravement ce cours d’eau. La construction de lavoirs, outre une amélioration du labeur des femmes, aurait permis de mieux contrôler les rejets de toutes nature. Cette impression que l’argent coule à flot pour les COPs et la com et que si peu revient dans l’action concrète reste une impression qui est restée prégnante chez moi durant ces deux années et demie de mandat.
Cette impression est d’ailleurs confortée par un système onusien caractérisé aussi une multiplication quasi incontrôlée de fonds, organismes, sous-organismes, coalitions, et autres initiatives. Toutes vont chercher leurs financements auprès d’une poignée d’États, peu nombreux, dits « pays riches » et classés comme tel depuis plus de 70 ans. La Chine ou l’Inde, devenu depuis des pays largement en capacité d’être financeurs, contribuent moins que ce qu’ils pourraient faire. Y a-t-il une vision consolidée de qui donne et où va l’argent ? Peu de diplomates en sont capables. C’est une fuite en avant. De plus, les pays les moins avancés, certes en incapacité de mettre en œuvre ce que les COPs leur demandent, exigent des pays riches toujours plus de moyens. Les COPs sont dès lors, sans exception, systématiquement détournées en round de négociation d’aides au développement. Dans plusieurs des COPs où je me suis rendu, j’en venais à me demander si le sujet débattu étant l’environnement ou l’aide au développement.
J’ai le souvenir de toutes ces COPs où mon agenda, en tant que représentant d’un pays riche, était truffé de rendez-vous avec des organisations que nous financions ou qui le souhaitaient. Il n’était pas rare (et c’est un euphémisme) que je sorte de ces rendez-vous sans avoir compris à quoi servait ces organismes ni ce qu’ils faisaient concrètement. Et, si par chance, j’avais compris de quoi il retournait, il me revenait en mémoire que c’était une action déjà menée par une autre organisation rencontrée par ailleurs.
De toute évidence, face aux réalités diverses auxquelles nous sommes confrontés (budgets publics en restriction, énormité des dépenses à envisager, risques majeurs de reculs des engagements pour l’environnement), il n’est plus possible de rester dans la dispersion, l’illisibilité et le manque d’efficacité. Une revue des missions et des dépenses doit être diligentée pour mesurer l’efficacité de chaque fonds, fusionner tous ceux dont l’objet est identique, et améliorer la gouvernance et la redevabilité vers plus d’actions concrètes de terrain. Quant à revoir la répartition de la charge entre pays riches et pays émergents (pays « émergés » en réalité), elle serait infiniment souhaitable, mais l’ambiance générale laisse assez peu de place au moindre espoir d’évolution.
Pour une convention mondiale pour la Terre
La réélection de Donald Trump est une mauvaise nouvelle pour l’environnement pour 3 raisons. La première est celle dont tout le monde parle qui le nouveau retrait des États Unis des accords de Paris. La seconde que le nouvel ordre mondial que Donald Trump veut mettre en place, c’est à dire une vision anti-multilatéraliste, assez proche de celle de Vladimir Poutine et des chinois, est une menace directe sur l’action environnementale internationale qui repose pour l’essentiel sur des COPs, à savoir un outil multilatéral par nature. La dernière est l’agenda international actuel largement installé par Trump lui-même : menaces sur l’Europe et crise en Ukraine, situation au Proche Orient, menaces sur le Groenland, le Canada, Panama, etc… tout cela cannibalise tout autre sujet, notamment le sujet environnemental.
De plus, il était un lieu commun qu’on avait oublié : celui de dire que la préoccupation environnementale est d’une part une réalité dans les pays riches, et d’autre part, elle l’est quand « tout va bien ». Nos pays sont de moins en moins riches. Nos croissances sont autour de 1% quand nous ne sommes pas proches des 0%. La crise budgétaire française est à l’image de celles connues par le passé par plusieurs autres pays européens. Peut-on espérer une prospérité européenne retrouvée dans le futur ? Rien n’est moins sûr. Quant au « tout va bien », la guerre en Ukraine, celle au Moyen Orient dont la trêve semble bien fragile, la réélection de Trump et ses menaces tous azimuts contre des pays historiquement alliés, crée une ambiance explosive où les promesses de paix dans lesquelles nous avons paisiblement vécu depuis des décennies volent en éclat.
Instabilité économique et inquiétude sur sa fin de mois, crainte de conflits armés sont les raisons du déclin de la cause environnementale.
Dans le même temps, les accidents climatiques sont plus violents et plus nombreux (incendies en Californie, et avant cela au Canada et en Australie ; inondations en Espagne et avant cela en Allemagne et en Belgique ; cyclones dévastateurs à Mayotte et dans tant d’autres endroits dans le monde). Les climatologues restent toujours prudents (trop) mais ne laissent guère planer le doute sur l’emballement du changement climatique.
Face à ses différentes réalités, la diplomatie environnementale et l’activité onusienne semblent avancer tel un paquebot qui ne voit les icebergs se rapprocher. Il est plus que temps de remettre à plat les priorités et la gouvernance. L’ONU et la diplomatie environnementale notamment, se sont éparpillées et s’agitent tel un canard sans tête. Le lyrisme du secrétaire général de l’ONU dans ses discours sur le climat et la biodiversité ne suffisent pas. Les multiples COPs vivent leurs vies, on multiplie les conférences internationales avec leurs lots d’annonces à milliards… mais la direction générale, plus personne ne la voit. Le secrétaire général de l’ONU, le conseil de sécurité, le G20 doivent proposer un cap, une priorisation, une rationalisation. C’est le moment de le faire. Sans quoi, toute cette vaste construction pourrait bien devenir un château de cartes… et on sait comment finissent les châteaux de carte.
A-t-on réellement questionné l’intérêt d’avoir tant de COPs environnementales ? Une seule COPs onusienne pour gérer les enjeux climatiques, de biodiversité, d’océans, de plastiques, est-ce une idée farfelue ? Elle est pourtant défendue par de plus en plus de responsables d’ONG. Quels sont les arguments qui s’y opposent ? En grande partie, ce sont des arguments de confort d’instances « installées » qui ne veulent plus évoluer. Mais ce sont aussi autant de frais de structures et de secrétariats qui se sur-ajoutent, des financements qui s’additionnent, et in fine, un manque de lisibilité et d’efficacité dans l’action. Ce qui est sans cesse évoqué au niveau de l’Etat français (hyper structure de l’État, bureaucratisation, nombre excessif d’agences et de structures), tout cela vaut bien évidemment également pour l’ONU et la diplomatie environnementale.
Il faut relancer l’idée d’un sommet de la Terre en 2032, 50 ans après celui de Rio qui a lancé les 3 COPs. Ce moment doit avoir pour objectif de revenir aux sources et de fusionner les 3 COPs. Nous devons nous doter d’une Convention mondiale pour la Terre, tous les 10 ans, incluant les 17 ODD. Cette grande convention sera l’occasion de rassembler les fonds aujourd’hui dispersés pour avoir un fonds très puissant dédié au financement des décisions opérationnelles qui seront prises. Et précisément, pour se concentrer sur de l’opérationnel, cette convention doit s’organiser de telle sorte que des actions très concrètes soient décidées à la manière de ce qui est fait pour l’ozone ou les espèces. Les COPs doivent laisser la place à des réunions de travail en tant que de besoin et ciblée sur des actions bien précises, sans grand-messes annuelles couteuses.
Prioriser, c’est aussi choisir les buts de guerre à court terme, atteignables et concrets, pour le climat, la biodiversité, l’eau douce, les océans, les forêts tropicales et les plastiques. Atteignables et concrets et à court terme pour que les peuples et les opinions publiques puissent s’en emparer. C’est oser la coopération à quelques-uns si tous ne sont pas prêts et ne pas toujours vouloir des consensus à 190 États, dont le résultat finit forcément en indigestes engagements à long terme, sans opérationnalité et sans réels moyens. Prioriser c’est aussi faire le ménage dans les innombrables fonds dont plus personne n’a de vue d’ensemble. Un fonds pour une action devrait être la règle.
La crise que vit notre pays, tant politique que budgétaire, au fond, la communauté internationale la vit également et elle est assez comparable. Le sursaut, c’est d’oser y voir une opportunité : celle de requestionner les politiques mises en place, regagner en lisibilité, prioriser, aller à l’essentiel et à l’urgent.
Enfin, l’Europe qui traverse une crise existentielle, peut faire de la diplomatie environnementale, son levier pour reprendre la main. Elle a d’ores et déjà ce leadership. Il n’est pas temps de le perdre ou de l’oublier pour courir derrière l’agenda du couple russo-américain. Si la paix ou les droits de l’Homme ne font plus « communauté », notre destin commun de vivre tous sur une planète vivable pour notre espèce doit devenir le nouveau ciment qui peut refaire « communauté ». Ce sommet de 2032 doit être ce nouveau départ. Il doit aussi permettre à l’Europe de profiter de cette occasion pour réaffirmer son poids, sans cesse remis en cause par les grands ensembles continentaux qui veulent nous intimider. Comme le rappelle Thierry Breton : sachons voir qui nous sommes : une des plus puissantes économies du monde, 450 millions d’habitants, un ensemble démocratique unique garant de libertés et de droits… rien qui ne devrait nous inquiéter. Nous avons largement de quoi « oser ». Faire de la cause environnementale un outil diplomatique de reconquête de notre position dans le monde !
Sans ces repositionnements onusiens et européens, Donald Trump, Vladimir Poutine et Xi Jinping décideront pour nous.
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Santé environnementale
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Synthèse
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