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Transition alimentaire : vers la sobriété savoureuse
Publié le 27 juillet 2018
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Décryptage - N°17
Qu’est-ce qu’une alimentation durable ? En répondant à cette question grâce à une analyse détaillée, ce Décryptage met en avant les contradictions qui subsistent entre les différents critères de durabilité (préservation de l’environnement, santé, accessibilité, traditions, etc.).
À partir de l’étude de divers scénarios visant à dessiner les contours d’une assiette durable, quelques lignes directrices sont dressées : aux côtés du développement de l’agroécologie et de la lutte contre le gaspillage, notre transition alimentaire ne sera aboutie que si, à l’instar de la transition énergétique, un véritable effort de sobriété est fait. Alors que mangerons-nous demain ? Début de réponse dans ce document.
Introduction
Notre système alimentaire, en dégradant progressivement l’environnement duquel il dépend, porte en lui sa propre fin. Il est responsable de 19% à 29% des émissions de GES à l’échelle mondiale1. L’agriculture conventionnelle sur laquelle il repose est la première cause de déforestation et de perte de biodiversité. Les sols s’érodent, les ressources en eau s’amenuisent, l’épuisement des denrées marines guette. Dans le même temps, les effets du changement climatique et l’augmentation de la population mondiale accentuent la pression sur la production. À ce coût environnemental très lourd s’ajoutent les problématiques sanitaires et sociales. En France, 17% de la population est touchée par l’obésité2 tandis que 12% se trouve en situation d’insécurité alimentaire3. Côté production, 1 agriculteur sur 4 vit sous le seuil de pauvreté4 et ils sont chaque année des centaines à se donner la mort.
À l’évidence, un tel système ne remplit plus les conditions nécessaires à notre subsistance et doit changer. La transition alimentaire fait donc figure de second pilier de la transition écologique aux côtés de la transition énergétique. Depuis quelques années, les pouvoirs publics se concentrent sur la manière dont nous produisons et distribuons la nourriture. C’est dans cette optique que sont nées la loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire (2016), la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (2017) et la toute récente loi agriculture et alimentation (2018). Mais rien ne remet encore en cause la nature et les quantités de notre production, c’est-à-dire, le contenu même de nos assiettes. Face à l’ampleur du changement climatique, il est illusoire de penser la transition alimentaire comme un défi purement technique. De nombreuses études soulignent d’ailleurs la nécessité d’une modification de nos régimes alimentaires5 6. Ainsi, un régime alimentaire ne doit plus seulement être vu comme une demande à satisfaire mais aussi comme un objet de politique publique qu’il est possible de remettre en question et de faire évoluer. La transition énergétique repose sur 3 piliers : développement des énergies renouvelables, efficacité et sobriété. La transition alimentaire doit se construire sur un socle similaire : développement d’une agriculture écologiquement intensive, efficacité et sobriété. L’efficacité étant ici caractérisée par les améliorations techniques dans l’agriculture (serres basses consommation, irrigation économe, etc.), la lutte contre le gaspillage et la mise en place de circuits courts. Quant à la sobriété alimentaire, elle concerne l’évolution de nos régimes alimentaires, sujet encore assez peu consensuel, qui fait ainsi l’objet de ce Décryptage.
Qu'est-ce qu'une alimentation durable ?
En 2010, la FAO en donnait la définition suivante : « Les régimes alimentaires durables contribuent à protéger et à respecter la biodiversité et les écosystèmes, sont culturellement acceptables, économiquement équitables et accessibles, abordables, nutritionnellement sûrs et sains, et permettent d’optimiser les ressources naturelles et humaines »7. Le régime devient alors la clé de voûte de la transition alimentaire, car c’est par lui que l’ensemble du système peut évoluer vers un modèle durable. Une transition complète n’est possible qu’avec une véritable démarche de sobriété. Mais un simple énoncé ne suffit pas à mesurer l’évolution nécessaire de nos assiettes et, surtout, ne dit rien des compromis que nous serons amenés à faire pour rendre notre alimentation durable. En partant de la définition de la FAO, il est possible d’établir une liste de critères de durabilité qui guideront les transformations de nos modèles de production, de distribution et l’évolution de nos régimes alimentaires.
Les critères environnementaux
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Émissions de GES : ce critère est le plus évident puisque toute la lutte contre le changement climatique se fait par le prisme des réductions de GES. Le secteur alimentaire français émet environ 170 MteqCO2, soit 30% des émissions du territoire8. Alors que la France a pour objectif de réduire de 40% ses émissions d’ici 2030 et de 75% d’ici 2050, une part importante des efforts devra se concentrer sur l’alimentation.
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Ressources : nous regroupons sous ce critère l’ensemble des ressources nécessaires à la production de nourriture et dont la qualité ou la quantité peut décliner. Nous y trouvons donc les ressources en eau, dont 70% à l’échelle mondiale sont consacrés à l’irrigation et dont la qualité se trouve parfois menacée par les activités agricoles, les sols, dont l’érosion est estimée à 1,5 t/ha/an en moyenne en France9, et la surface des terres agricoles, forcément limitée et dont l’expansion entraîne de la déforestation.
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Biodiversité : ce critère prend en compte l’impact de notre alimentation sur la biodiversité. Il s’agit donc des conséquences de notre modèle agricole sur la biodiversité mais aussi de l’impact de la surpêche et de la pêche intensive sur la biodiversité marine.
Les critères socio-économiques
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Santé : il s’agit là du critère privilégié lorsqu’il est question d’alimentation aujourd’hui. Effectivement, une alimentation ne peut être considérée comme durable si elle ne répond pas aux besoins nutritionnels humains tout en limitant le risque de maladie.
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Accessibilité : dans un principe de justice sociale, une alimentation nutritionnellement sûre et saine doit-être financièrement accessible à tous.
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Viabilité : le modèle économique du secteur agroalimentaire doit être économiquement viable.
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Équitabilité : le modèle économique du secteur agroalimentaire doit être équitable entre les différents acteurs. De plus, les évolutions du système alimentaire devront prendre en compte, dans la mesure du possible, leurs impacts sur l’emploi et la diversité des paysages, sources d’attractivité pour de nombreux territoires.
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Sécurité alimentaire : le système alimentaire dans son ensemble doit être pérenne et subvenir aux besoins de la population. Mais la France est également une grande puissance exportatrice de denrées agricoles et ne doit donc pas négliger son rôle dans la sécurité alimentaire mondiale.
Les critères culturels
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Traditions : une alimentation ne peut être durable si elle n’est pas acceptée. Plus encore, elle est parfois partie intégrante de l’identité d’un territoire. Ainsi, elle ne peut pas s’inscrire complètement en opposition aux traditions et aux habitudes alimentaires d’une population.
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Éthique : de la même manière, la question de l’éthique animale est un critère qu’il sera indispensable de prendre en compte à l’avenir. L’ignorance et la sous-estimation des mauvaises conditions d’élevage et d’abattage des animaux destinés à la consommation permettaient jusque-là de ne pas avoir à prendre en compte ce critère de durabilité10. Or, les associations de défense des animaux alertent de plus en plus sur ces conditions, renforçant l’exigence d’éthique pour notre alimentation.
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Plaisir : la notion de plaisir joue aussi un rôle important. Une alimentation, aussi durable soit elle, ne pourra pas être acceptée si elle n’est pas au goût des consommateurs.
Ces 11 critères permettent ainsi d’évaluer précisément la durabilité d’un système alimentaire. Une alimentation durable se situe alors à l’intersection des sphères environnementale, socio-économique et culturelle (voir Figure I). La tâche n’est pas aisée pour autant. D’abord, parce ces critères sont privilégiés différemment selon les parties prenantes. D’aucuns favoriseront les critères environnementaux – voire seulement les émissions de GES – lorsque d’autres mettront l’accent sur la santé et le plaisir des consommateurs, la viabilité économique ou la défense des agriculteurs (Equitabilité). Ensuite, parce que chaque critère peut se mesurer au regard de différents paramètres et être apprécié de diverses manières selon la culture et la sensibilité de chacun. Il serait donc absurde de les prendre pour base dans l’objectif d’imaginer une alimentation universelle. Plutôt, il faut les considérer comme des principes généraux permettant de guider la transition alimentaire vers une diversité de régimes durables.
Figure I : Les 3 sphères de l’alimentation durable
Néanmoins, il serait naïf de penser qu’il existe une synergie naturelle entre ces critères. Des contradictions existent entre eux, ce qui rend inévitable l’adoption de compromis. Tout l’enjeu est de parvenir à appréhender l’ampleur de ces compromis. L’intersection des 3 sphères n’est pas acquise et il nous appartient de la construire. Pour cela, il faudra accepter ce que l’on refuse aujourd’hui, minimiser les impacts d’un système insoutenable ou bien imaginer un nouveau modèle économique viable.
De la difficulté à satisfaire tous les critères de durabilité
La première source de tension entre ces critères ne date pas d’aujourd’hui. Elle réside dans l’opposition entre les habitudes alimentaires des français (Traditions et Plaisir) et les recommandations nutritionnelles (Santé). Selon une étude de l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses)11, les français consomment trop de charcuterie, trop de sel – par l’intermédiaire des produits transformés notamment – et pas assez de légumineuses. À cela s’ajoute l’émergence de nouvelles pratiques à risques comme le dépassement plus fréquent des dates de péremption et la consommation accrue de protéines animales crues.
Il s’agit là d’une opposition sérieuse car elle ne s’explique pas par la méconnaissance des recommandations mais par le refus conscient de les appliquer. Il faut également noter l’influence des inégalités sociales dans ce phénomène : le refus des recommandations touchant majoritairement les catégories modestes et populaires pour qui la nourriture est avant tout une question de goût et une façon de marquer son appartenance à la société de consommation12.
De la même manière, il existe une contradiction entre la consommation actuelle de viande (Traditions et Plaisir) et nos objectifs de réduction de gaz à effet de serre (Émissions de GES). L’élevage est le principal émetteur de GES de l’agriculture, au point qu’une protéine de bœuf « coûte » 36 fois plus de CO2 qu’une protéine de blé. Or les objectifs de réduction de GES de la France sont – à juste titre – ambitieux : -40% d’ici 2030, -75% d’ici 2050. L’alimentation devra donc porter une part importante de ces réductions, notamment au travers de l’évolution de nos régimes alimentaires. Et bien que 67% des français se déclarent prêts à diminuer leur consommation de protéines carnées13, il est probable qu’une réduction drastique ne passe pas auprès de nombre d’entre eux.
De l’autre côté, le mouvement antispéciste grandissant (Éthique) voit sa radicalité entrer en contradiction avec la production à grande échelle (Sécurité alimentaire et Viabilité). Mettre fin à l’élevage permettrait de mieux respecter les critères environnementaux tout en satisfaisant un haut niveau d’éthique, mais il n’existe aujourd’hui aucun modèle viable d’un système alimentaire qui se passerait d’animaux. Par exemple, comment faire de l’agriculture biologique sans fumier issu de l’élevage ? L’agriculture biovégétalienne se développe mais nous n’avons encore que très peu de recul sur son efficacité et pas assez de garanties pour imaginer un tel modèle à l’échelle d’un pays. Comment accompagner de manière juste éleveurs et agriculteurs dans cette transition ? Comment éviter que la fin de l’élevage en France entraîne une augmentation des importations en viande, ce qui augmenterait l’impact environnemental de nos assiettes ? Tout reste à penser.
Malgré tout, il faut reconnaitre à ce mouvement d’avoir fait entrer la condition animale dans le débat public. Ainsi, les consommateurs aspirent à des élevages moins intensifs pouvant satisfaire à la fois une exigence de bien-être animal tout en produisant une viande de meilleure qualité. L’élevage pourrait alors s’orienter de plus en plus vers des systèmes à herbe, ce qui soulève deux nouvelles contradictions. La première est d’ordre quantitative : peut-on produire autant et au même prix (Plaisir et Accessibilité) avec un modèle 100% extensif (Éthique) ? C’est peu probable. La viande bio est déjà 10% à 30% plus chère à l’heure actuelle14. De plus, l’élevage extensif est, par définition, moins productif. La deuxième contradiction est d’ordre environnemental : plusieurs études pointent le fait que les élevages extensifs seraient plus émetteurs en GES15 16. Afin de satisfaire une éthique animale plus exigeante, nous serions contraints de ne pas respecter nos objectifs en termes d’émissions de GES. À moins de limiter la production… et donc la consommation. Or, si les consommateurs ne sont pas prêts à réduire leur consommation de viande, les importations augmenteraient. Nous aurions alors simplement délocalisé nos émissions et la souffrance animale.
Que mangerons-nous demain ?
Ces nombreuses contradictions soulignent bien l’importance de la sobriété alimentaire, car c’est par elle qu’elles se résoudront. Ce n’est donc pas étonnant de voir l’évolution de nos régimes alimentaires de plus en plus étudiée et débattue. Néanmoins, cela est souvent fait de manière partielle à cause de la difficulté à prendre tous les critères de durabilité en compte. Nous allons présenter ici deux études qui se démarquent par leur approche multidimensionnelle.
« Vers une alimentation bas-carbone, saine et abordable »
La première est une étude du WWF et Eco2 Initiative datant de novembre 201717. Elle a pour objectif de comparer différents paniers alimentaires sur les critères Émissions de GES, Santé et Accessibilité. Elle propose un régime alimentaire durable sous la forme d’une « assiette flexitarienne » qui permettrait de réduire de 37% les émissions de GES tout en étant nutritionnellement adéquate et financièrement abordable.
Cette « assiette flexitarienne » a été composée à partir de 163 aliments parmi les plus consommés par les Français et aucun aliment n’y est banni, elle prend donc également en compte les critères Traditions et Plaisir. Elle se caractérise par une réduction significative de la part de viande (-31% au total avec -66% de boeuf et de veau) et de poisson sauvage (-40%) ainsi qu’une diminution des produits transformés industriels, gras, salés et sucrés (-69%). Concrètement, cela correspond à 4 repas avec viande ou poisson par semaine, le reste étant majoritairement remplacé par une augmentation de la consommation de légumes (+17%) et de légumineuses (+300%). Il est intéressant de noter que cette « assiette flexitarienne » parvient à réduire la quantité totale de nourriture (-14%) tout en augmentant les apports nutritifs (+10% de protéines, +34% de fer) (voir Figure II dans le document pdf).
Néanmoins, le régime proposé ne prend pas en compte tous les critères de durabilité. Par exemple, la part de viande passe de 8% à 4% tandis que les produits laitiers et le fromage ne passent que de 15% à 14%. Or, l’industrie laitière est très liée à l’industrie de la viande : les veaux mâles sont envoyés à l’abattoir et les vaches laitières, lorsque leur productivité baisse, rejoignent aussi très vite les rayons de nos supermarchés. Plus d’un tiers de la viande bovine consommée en France provient de ces dernières18. Une consommation de produits laitiers stable combinée à une diminution de la consommation de viande ferait automatiquement augmenter la part de la viande dite de réforme – donc de moins bonne qualité – dans nos assiettes. Manger moins et moins bien. Est-ce acceptable culturellement ? Cela signifie-t-il la fin des élevages destinés uniquement à la viande ?
Autre point : « l’assiette flexitarienne » introduit 50% de produits bio et labélisés. Si cela lui permet certainement d’être plus performante au regard du critère Santé, rien ne garantit que cela n’ait pas d’impact négatif sur le critère Émissions de GES. Un fruit bio importé aura toujours un bilan carbone moins bon qu’un fruit non bio produit et acheté localement.
Enfin, l’étude se concentre uniquement sur l’assiette sans prendre en compte les progrès possibles de l’agriculture et de l’industrie agro-alimentaire, aussi bien sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre de la production, l’amélioration des qualités nutritionnelles, les conditions de production, le bien-être animal et la réduction de l’utilisation de pesticides et d’engrais chimiques.
Le scénario Afterres 2050
La seconde étude est le scénario Afterres 2050 proposé par l’entreprise associative Solagro19. Il s’agit d’une prospective systémique d’un modèle agricole durable et économiquement viable. Ce scénario repose également sur l’évolution de notre régime alimentaire. Comme dans la première étude, l’évolution des régimes se caractérise par une forte augmentation des céréales (+20%), des légumes (+22%) et des légumineuses (+310%) qui vient compenser la diminution de viande (-49%) et de produits de la mer (-74%). Mais contrairement à cette même étude, le scénario Afterres 2050 préconise de réduire également la consommation de produits laitiers (-48%) et d’œufs (-26%), ce qui dénote d’une véritable prise en compte du modèle économique de notre système alimentaire (voir Figure III dans le document pdf).
Afterres 2050 rappelle également que, selon les études INCA, nous consommons 45% de protéines en trop, soit 90 grammes par jour et par personne au lieu des 52 grammes conseillés. Il s’agit donc de « manger moins pour manger mieux » : au total, l’assiette proposée réduit de 50% notre surconsommation totale en protéines.
Ce scénario permettrait de réduire de 54% les émissions de GES de l’agriculture française. Or, contrairement à l’étude du WWF, cette réduction n’est pas seulement le fruit d’un changement de régime alimentaire mais aussi d’une réforme complète du modèle et des pratiques agricoles : diminution des pertes et du gaspillage de 50%, généralisation de l’agroécologie, réorientation du cheptel bovin vers un système à l’herbe, maintien des effectifs de races mixtes pour l’élevage (les races spécialisées lait ou viande voient leur part diminuer fortement). En résumé, cette étude démontre la possible existence d’un système alimentaire efficace et vertueux, à condition que notre régime alimentaire évolue dans le sens d’une végétalisation plus importante. En outre, elle est la plus proche d’englober la totalité des critères de l’alimentation durable. Il subsiste néanmoins deux points d’interrogation. Quel serait le coût exact d’une telle assiette pour les consommateurs ? Le critère d’Accessibilitén’a pas été étudié. Deuxième point : une réduction de 54% des émissions de GES sera-t-elle suffisante ? L’objectif de la France étant de 75%, cela impliquerait que les autres secteurs fassent plus d’efforts. Est-ce faisable et acceptable ?
Vers la sobriété savoureuse
Les 11 critères de durabilité, bien qu’ils n’aient pas vocation à fabriquer un modèle unique, donnent quelques grandes orientations que l’on retrouve au travers de ces deux études. Bien sûr, l’agriculture devra entrer dans l’ère de l’agroécologie, appuyée également par la technologie, nous devrons moins gaspiller et remettre en question l’intérêt d’importer de l’autre bout du monde ce que l’on peut produire localement. Mais la transition alimentaire ne sera aboutie que si, à l’instar de la transition énergétique, un véritable effort de sobriété est fait.
Alors, que mangerons-nous demain ? Premier constat : nous mangerons un peu moins mais beaucoup mieux. Nous devrons également nous passer de certains aliments (une mangue importée en avion émet 60 fois plus de CO2 qu’une pomme française20), et accepter de voir la composition de nos assiettes évoluer au fil des saisons (une tomate hors saison, poussant dans une serre chauffée, consomme 10 fois plus d’énergie qu’une tomate de saison20). Les produits transformés industriels occuperont une place moins importante dans nos repas, au contraire des fruits et des légumes bio. Enfin, nous devrons réduire notre consommation de poisson et de viande de moitié au moins21 pour nous tourner vers les protéines végétales, notamment par le biais du soja, du quinoa et des pois chiches. D’aucuns pourraient y voir un abandon du plaisir de manger. En réalité, il s’agira de faire évoluer nos goûts, de réinventer la cuisine, d’adapter nos traditions et d’en créer de nouvelles. La haute gastronomie française est déjà en train d’emprunter la voie du végétal, aussi savoureuse que stimulante car tout reste encore à découvrir22. Contrairement aux critères environnementaux et socio-économiques, les critères culturels évoluent avec le temps et il est certain que les nouvelles générations n’aspireront pas aux mêmes repas.
Conclusion : accélérer la transition alimentaire
Notre système alimentaire actuel n’est pas soutenable pour l’environnement et à peine viable économiquement : une transition alimentaire s’impose. L’alimentation durable, que nous avons représentée dans ce Décryptage sous la forme d’une intersection entre les sphères environnementale, socio-économique et culturelle, n’est pas un point d’équilibre à trouver dans un modèle dépassé mais un nouveau cadre à construire. Dans ce nouveau cadre, le défi sera de permettre aux consommateurs de s’approprier les évolutions nécessaires de nos régimes alimentaires. Les recommandations nutritionnelles devront à l’avenir intégrer leur impact environnemental23, mais cela ne sera pas suffisant. Il faut rompre avec l’idée que l’alimentation est un choix purement individuel. D’une part, parce que ce choix entraîne des conséquences pour l’ensemble de la société. D’autre part, parce qu’il s’agit d’une question complexe, sujette à de nombreux déterminismes, qui soulève des problématiques sanitaires et sociales sur lesquelles l’État a le devoir d’agir. Impossible, par exemple, d’imaginer une transition alimentaire qui accentuerait les inégalités sociales déjà existantes dans ce domaine (surpoids, insécurité alimentaire, etc.).
Malheureusement, la tendance n’est pas pressée et va parfois même à rebours de l’alimentation durable : le CETA prévoit une augmentation des importations de viande bovine en provenance du Canada, la loi agriculture et alimentation a raté le coche sur l’alternative végétarienne dans la restauration collective et l’interdiction de la publicité pour les « produits alimentaires et boissons trop riches en sucre, sel ou matières grasses et ayant pour cible les enfants de moins de 16 ans ». Pour accélérer la transition alimentaire, il faudra une action publique plus ambitieuse. Généraliser la certification Haute Valeur Environnementale ? Taxer les produits les plus émetteurs en GES, notamment ceux issus des importations ? Mieux encadrer la publicité pour les produits d’origine animale ? Passer par l’école pour éduquer enfants et parents sur l’importance de la sobriété alimentaire ? Quelques questions qui ont été débattues lors des dernières Controverses Ecologiques organisées par La Fabrique Ecologique24. En attendant, 72% des français déclarent être prêts à modifier leur régime alimentaire pour limiter leur impact sur l’environnement. Nous avons la direction et l’intention, place à l’exécution !
Remerciements
La Fabrique Ecologique et moi-même remercions chaleureusement les personnes ayant accepté de répondre à mes questions dans le cadre de ce Décryptage :
Annick Jentzer, Chef du service Économie des filières de la FNSEA
Philippe Pointereau, Directeur du pôle agroenvironnement de Solagro
Antoine Suau, Directeur du Département Économie et Développement Durable de la FNSEA
Thomas Uthayakumar, Chargé d’Alimentation Durable au WWF France
Nous remercions également l’association L214 et la Confédération Paysanne pour avoir envoyé des documents relatifs à mes questions.
Sources :
1 SJ. Vermeulen et al., Climate Change and Food Systems, Annual Review of Environment and Resources, Vol. 37, 2012, Pages 195-222
2 INVS, Étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition (Esteban), 2014-2016
3 N. Darmon et al., L’insécurité alimentaire pour raisons financières en France, Les Travaux de l’Observatoire, 2009-2010
4 INSEE, Les niveaux de vie en 2015, 2017
5 E. Hallström et al., Environmental impact of dietary change : a systematic review, Journal of Cleaner Production, 2014
6 J. Foley et al., Solutions for a cultivated planet, Nature, Vol. 478, 2011, Pages 337-442
7 FAO, Sustainable diets and biodiversity, 2010
8 Solagro, Le scénario Afterres 2050, 2016, Page 64
9 www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/indicateurs-indices/f/2085/0/erosion-sols.html
10 N. Hestermann et al., An economic model of the meat paradox, septembre 2017
11 Anses, Étude individuelle nationale des consommations alimentaires 3 (INCA 3), juin 2017
12 F. Régnier, A. Masullo, Obésité, goûts et consommation. Intégration des normes d’alimentation et appartenance sociale, Revue française de sociologie, no 50-4, 2009, p. 747-773.
13 IFOP, Les Français, la consommation écoresponsable et la transition écologique, Octobre 2017
14 www.lefigaro.fr/conjoncture/2017/04/21/20002-20170421ARTFIG00108-la-viande-bio-reste-un-marche-de-niche-en-france.php
15 D. Nijdam et al., The price of protein: Review of land use and carbon footprints from life cycle assessments of animal food products and their substitutes, Food Policy, 37, 2012, Pages 760-770.
16 S J. Gerssen-Gondelach et al., Intensification pathways for beef and dairy cattle production systems: Impacts on GHG emissions, land occupation and land use change, Agriculture, Ecosystems and Environment, 240, 2016, Pages 135-147
17 www.wwf.fr/sites/default/files/doc-2017-11/171109_rapport_vers_une_alimentation_bas_carbone_saine_abordable_0.pdf
18 www.lemonde.fr/planete/article/2013/02/28/la-viande-de-boeuf-dans-votre-assiette-de-la-vieille-vache_1839589_3244.html
19 http://afterres2050.solagro.org/wp-content/uploads/2015/11/Afterres2050-Web.pdf
20 http://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/8574_alimentation_et_environenment_clespouragir_17x24web.pdf
21 Le rapport de Terra Nova sur la viande va aussi dans ce sens : http://tnova.fr/rapports/la-viande-au-menu-de-la-transition-alimentaire-enjeux-et-opportunites-d-une-alimentation-moins-carnee
22 www.lefigaro.fr/gastronomie/2015/06/13/30005-20150613ARTFIG00001-les-grands-chefs-passent-au-vert.php
23 La Fabrique Ecologique, Les recommandations nutritionnelles, un outil pour l’élaboration de régimes soutenables ?, janvier 2018
24 www.lafabriqueecologique.fr/single-post/2018/06/13/Pour-sa-nouvelle-%C3%A9dition-des-Controverses-Ecologique-La-Fabrique-passe-%C3%A0-table-
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Deux priorités pour réussir le Zéro Artificialisation Nette (ZAN)
Notes ouvertes au débat collaboratif - N°51 - Publié le 6 novembre 2024
Synthèse
La Note de La Fabrique Ecologique « Deux priorités pour réussir le Zéro Artificialisation Nette (ZAN) : la réduction des logements vacants et la fiscalité sur les terres non bâties » rédigée par Bertille Antolin, Guillaume Sainteny et Géraud Guibert est désormais disponible en ligne. De l’UE à la profession agricole, chacun admet que le rythme d’artificialisation des terres est insoutenable. Elle constitue un des principaux facteurs d’érosion de la biodiversité tout en favorisant les émissions de gaz à effet de serre (GES). Ce travail propose donc deux leviers prioritaires pour atteindre le Zéro Artificialisation Nette : la réduction du nombre de logements vacants et la diminution de l’écart de fiscalité entre les terres bâties et non bâties.
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