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“Total papers” et l’industrie du pétrole : une longue histoire de désinformation climatique

Publié le 9 décembre 2025

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Article publié - N°3

L’objet de ce nouvel agenda écologique est la désinformation climatique. Nous prenons comme point de départ la récente condamnation de l’entreprise TotalEnergies pour greenwashing afin d’introduire la genèse de l’histoire de la désinformation climatique de la part des plus grands groupes pétroliers. Cette histoire nous permet de mettre en lumière leurs stratégies de fabrication du doute qui sont utilisées depuis des décennies par bon nombre d’industries (telles que Monsanto, Coca-Cola, Philip Morris…).
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TotalEnergies condamnée pour sa désinformation climatique

Le 23 octobre 2025, TotalEnergies a été condamnée par le tribunal judiciaire de Paris pour pratiques commerciales trompeuses en raison de ses allégations mensongères concernant ses prétendus efforts de neutralité carbone affichées pendant sa campagne publicitaire de 2021, dans le cadre de son changement de nom de Total à TotalEnergies.
Cette décision est le résultat de l’action en justice initiée en 2022 par Les Amis de la Terre, Greenpeace et Notre Affaire à Tous qui ont toutes estimé que la major était « en violation flagrante des recommandations européennes en matière d’allégations publicitaires environnementales, celles-ci devant tenir compte de l’incidence environnementale globale d’un produit tout au long de son cycle de vie (chaîne d’approvisionnement, mode de production) ».(1)
TotalEnergies avait affirmé dans sa campagne publicitaire que le gaz fossile était « la moins polluante » et « la moins émettrice de gaz à effet de serre » des énergies fossiles, tout en la présentant comme complémentaire aux énergies renouvelables et bon marché.
Le gaz fossile est en réalité extrêmement néfaste pour l’environnement, étant fortement émetteur sur l’ensemble de son cycle de vie. Il est quasi exclusivement composé de méthane, dont chaque tonne relâchée dans l’atmosphère crée un effet de serre 84 fois plus important que la même quantité de CO2 sur 20 ans (2). Le méthane réchauffe donc plus fort et reste moins longtemps dans l’atmosphère (3). Et les fuites sont courantes et largement sous-estimées.
Ensuite, la major affirmait que les « biocarburants » étaient des « alternatives bas-carbone » qui permettraient « de réduire de 50 à 90 % les émissions de CO2 par rapport à leur équivalent fossile ».
Or, les agrocarburants sont produits majoritairement grâce à l’huile de palme et le soja, dont la production monopolise les terres agricoles et entraîne la destruction d’écosystèmes naturels et la déforestation… Dans sa Note sur les bioénergies(4) , La Fabrique Ecologique rappelle que la 2ème génération de biocarburants (issue de source ligno-cellulosique : bois, feuilles, paille…etc) bute à la fois sur la ressource disponible et sur la maturité insuffisante des procédés. L’utilisation croissante des biocarburants conduit donc à une impasse.
Enfin, la major avait affirmé une « ambition d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 » et d’«  être un acteur majeur de la transition énergétique d’ici 2050 ». Or, la stratégie réelle de Total ne respectait pas du tout ces propos.
« Cette vaste opération de communication est un écran de fumée derrière lequel TotalEnergies tente de cacher la réalité : les énergies fossiles représentent encore 90 % de son activité et 80 % de ses investissements » (5) Clara Gonzales, juriste à Greenpeace France
Les Amis de la Terre ont montré que TotalEnergies a omis au moins 85 % de ses émissions de gaz à effet de serre dans son objectif affiché aux consommateurs : dans ses calculs, TotalEnergies écarte les émissions de CO2  générées par les produits consommés par ses clients (émissions dites de « scope 3  » liées à l’extraction de matériaux achetés par l’entreprise pour la réalisation du produit ou au transport des salariés et des clients venant acheter le produit (6)) représentant 85 à 90 % de ses émissions, pour ne garder que les émissions de ses opérations industrielles (scopes 1 et 2).
De plus, ses activités de production entrent en contradiction avec le scénario « zéro émission nette en 2050 » de l’Agence Internationale de l’Énergie, selon lequel l’objectif de neutralité carbone suppose une augmentation considérable des énergies renouvelables, l’arrêt d’exploration fossile et aucun nouveau champ gazier et pétrolier au-delà de ceux approuvés.
Or, Total continue d’investir dans des projets pétroliers destructeurs en Ouganda et Tanzanie. En février 2022, Total annonçait sa décision finale d’investissement de 10 milliards d’euros dans le projet Tilenga (en Ouganda) et Eacop (en Tanzanie). Le projet Tilenga consiste à forer plus de 400 puits pétroliers dont 1/3 à l’intérieur d’une aire naturelle protégée. Le projet Eacop prévoit la construction du plus long oléoduc chauffé au monde, générant 34,3 millions de tonnes de CO2 par an (7) et menaçant 2000  km2 d’habitats fauniques protégés. 4 associations de défense de l’environnement ont déposé plainte pour « climaticide » en 2024.
Ces projets sont toujours en cours ! En avril 2025, « le projet d’oléoduc Eacop en Ouganda et en Tanzanie venait de boucler un premier tour de table de financements externes auprès de banques africaines » (8).
Finalement, la décision du Tribunal est une victoire historique car c’est la première fois qu’une major pétro-gazière est condamnée pour avoir trompé le public vis-à-vis de sa contribution à la lutte contre le réchauffement climatique en diffusant des allégations « de nature à induire en erreur le consommateur, sur la portée des engagements du groupe ».
Toutefois, c’est une victoire en demi-teinte. Le tribunal a rejeté les accusations de tromperie concernant le gaz et les agrocarburants  et la demande de prononcer des mesures d’injonction à faire cesser les atteintes portées à l’atmosphère.
Et surtout, cette campagne publicitaire de 2021 ne représente que la partie émergée de l’iceberg. La désinformation climatique perpétrée par Total est bien plus ancienne.

 

(1) https://www.greenpeace.fr/espace-presse/neutralite-carbone-et-greenwashing-recours-contre-totalenergies-pour-publicite-mensongere/
(2) https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/02/SYR_AR5_FINAL_full.pdf
(3) https://www.lafabriqueecologique.fr/le-methane-dans-les-strategies-dattenuation-un-enjeu-majeur-quelles-equivalences-entre-co2-et-methane/
(4) https://www.lafabriqueecologique.fr/les-bioenergies-quelle-place-dans-la-transition-energetique/
(5) https://www.greenpeace.fr/espace-presse/neutralite-carbone-et-greenwashing-recours-contre-totalenergies-pour-publicite-mensongere/
(6)https://www.novethic.fr/lexique/detail/scope3.html#:~:text=Le%20niveau%203%20(ou%20scope,’%C3%A9missions%20d’une%20entreprise.
(7) https://reporterre.net/IMG/pdf/rapport-un-cauchemar-total-amisdelaterre-survie.p df 
(8) https://www.novethic.fr/environnement/transition-energetique/eacop-le-financement-de-loleoduc-franchit-une-etape-importante

 

Le greenwashing de Total ne date pas d’hier, la major était au courant de son impact climatique dès les années 1970, tout comme Exxon et l’IPIECA

L’Etude « Early warnings and emerging accountability: Total’s responses to global warming, 1971–2021 » de Christophe Bonneuil, Benjamin Franta et Pierre-Louis Choquet publiée en novembre 2021 révèle le rôle de Total et des autres majors pétrolières dans la désinformation climatique (9).
En s’appuyant sur ce qu’on peut appeler les « Total papers » (archives internes et interviews de Total), les auteurs montrent que la major pétrolière était au courant de l’impact « potentiellement catastrophique » de ses produits sur le réchauffement climatique dès 1971.
L’étude montre qu’entre 1968 et 2021, les majors pétrolières sont passées du discours du déni au discours de délai climatique, c’est-à-dire de la remise en cause du réchauffement climatique à sa reconnaissance, puis à l’attaque ouverte du consensus scientifique et enfin à la diversion et au retardement de la lutte contre le changement climatique.
Plus largement, ils montrent aussi que les autres majors comme Exxon ou Shell, à travers l’Association mondiale de l’industrie pétrolière et gazière (IPICA) a coordonné une campagne internationale pour remettre en cause la science climatique et affaiblir la politique climatique internationale, dès les années 1980.
a. 1965-1986 : après leur prise de conscience environnementale, les majors sont restées silencieuses 
Selon l’étude, l’Institut Américain de Pétrole (API), dont fait partie Total, a reçu des avertissements à propos du réchauffement climatique dès les années 1950 et a commandé des recherches sur le sujet à la fin des années 1960.
En 1971, un article de Total reconnait les dangers du réchauffement climatique. Dans cet article, François Durand-Dastès, un géographe parmi les plus informés de l’époque sur le changement climatique, y explique que « depuis le XIXe siècle, l’homme brûle en quantité chaque jour croissante des combustibles fossiles » et que « cette augmentation est inquiétante […] il est possible qu’une augmentation de la température de l’atmosphère soit à redouter ».
Après 1971, même si la recherche scientifique sur le changement climatique s’intensifiait, Total et Elf (qui ont fusionné en 1999) sont restées silencieuses sur le sujet jusqu’en 1986. Comme la plupart des majors pétrolières, Total a fortement investi dans le charbon après le choc pétrolier de 1973. 
1986 marque un point de bascule avec la rencontre au comité exécutif de Elf. Lors de cette rencontre, les décideurs de Elf discutent du rapport envoyé par Bernard Tramier, le directeur de l’environnement chez Elf qui décrit le réchauffement climatique comme étant certain d’arriver : « l’accumulation de CO2 et de CH4 dans l’atmosphère et les gaz à effet de serre liés modifieront inévitablement notre environnement ». La réaction est la contre-attaque, le rapport déclare que «  Les premières réactions ont été (…) de “taxer les énergies fossiles”, il est donc évident que l’industrie pétrolière devra, une nouvelle fois, se préparer à se défendre. ».
b. B. 1987-1996 : Total passe à une stratégie de délai climatique, menée en coordination avec les autres majors pour reporter les contrôles de l’énergie fossiles 
Entre 1987 et 1993, l’étude montre que Total et Elf participent activement à « l’effort de fabrique stratégique du doute » mené au niveau mondial par Exxon et par l’IPIECA afin de retarder toute action de réduction des émissions de gaz à effet de serre.   
En 1988, l’IPÏECA se réunit au siège de Total à Paris et crée un « groupe de travail sur le changement climatique» qui a entre autres pour but « d’étudier des réponses stratégiques qui bénéficieraient à l’industrie  ». Il en ressort des recommandations de stratégies  :
  • ­Souligner les incertitudes sur la science climatique,
  • ­Rester au courant de la recherche sur le changement climatique et des politiques environnementales qui ne menaceraient pas le cœur du business de l’industrie
  • ­Retarder les contrôles sur les émissions de CO2,
  • ­Financer les recherches scientifiques qui permettraient de renforcer la capacité de l’industrie à mettre en avant les limites des modèles climatiques et potentiellement faire apparaitre le réchauffement climatique comme moins alarmant,
  • ­Placer des ingénieurs fraichement gradués au sein des laboratoires climatiques (dont MIT, UCLA) afin de surveiller les derniers développements de la science climatique.
Vers la fin des années 1990, Elf et Total passent à une nouvelle stratégie, celle du délai climatique  : on ne nie plus vraiment qu’il y a un réchauffement car ce serait contre-productif étant donné la diffusion grandissante des avancées scientifiques, mais on minimise l’urgence et on élude la question de la responsabilité des énergies fossiles, tout en intensifiant les investissements dans la production de pétrole et de gaz.  Par exemple, Total et Elf attaquent la taxation du carbone ou de l’énergie. Avec le protocole de Kyoto en vue, la nouvelle stratégie proposée par Bernard Tramier consiste à  «  montrer la bonne volonté de se diriger vers le vert » en faisant la promotion des instruments de marché. 
c. 1997-2006 : Total et les autres majors poursuivent leur stratégie de délai climatique 
Le protocole de Kyoto (signé en décembre 1997 et entré en vigueur en février 2005) a marqué un tournant décisif dans l’histoire politique du changement climatique : désormais, on ne peut plus nier le réchauffement climatique. Les compagnies pétrolières ont donc changé leur position pour accepter publiquement les conclusions du GIEC et promouvoir l’industrie comme un acteur rationnel et scientifique.
Plutôt que d’attaquer ouvertement le consensus scientifique sur le changement climatique, Total a préféré minimiser la solidité et l’importance des preuves scientifiques disponibles. Dans le même temps, la société investit plus de 30 milliards de dollars entre 2000 et 2005 dans le pétrole et le gaz sans rendre compte de ses investissements dans des sources d’énergie non fossiles. Cette stratégie axée sur les combustibles fossiles était aussi partagée par ExxonMobil.
d. 2006-2021 : Total défend sa légitimité publique face aux critiques environnementales 
2006 marque le début d’une nouvelle ère pour Total. Dans la continuité du Protocole de Kyoto, la COP15 de Copenhague contribue à augmenter l’attention publique au réchauffement climatique. Dans ce contexte, Total reconnait la légitimité du GIEC mais redéfinit son propre rôle  : la science décrit le changement climatique mais ce sont les entreprises qui doivent le résoudre.
Ce discours permet à Total de se présenter comme légitime pour évaluer la pertinence des politiques climatiques publiques et d’entreprises. Ainsi, l’entreprise poursuit l’investissement dans les fossiles en dépensant plus de 60 milliards de dollars dans des opérations pétrolières et gazières entre 2005 et 2009, sans pour autant déclarer d’investissements significatifs dans les énergies non fossiles.
Entre 2015 et 2019, Total investit encore 77 milliards de dollars dans la production de pétrole et de gaz et se présente comme plus engagée dans la lutte contre le changement climatique, sans mettre en place d’objectifs contraignants ou d’évolution de son mix énergétique. 
En 2021, Total devient TotalEnergies et étend ses investissements dans les énergies non fossiles. C’est le même nom qu’utilisait Total pour ses publicités en 1977, quand l’entreprise revendiquait son investissement dans l’énergie solaire sans faire de changement de son modèle industriel basé sur le pétrole. Or, les énergies renouvelables ne représentent que 0,2 % de la production de TotalEnergies en 2022. 
Sur son site, elle se présente comme « compagnie multi-énergie [qui fournit] des énergies plus abordables, disponibles et propres », propos pour lesquels la major a été condamnée en 2025.
Ainsi Total était au courant depuis bien longtemps de son impact climatique et a choisi de poursuivre son activité destructrice en toute impunité. Cette enquête révèle que loin d’être la seule, Total reproduisait les stratégies utilisées par les autres industries de l’époque.
(9) https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0959378021001655

Les industries d’aujourd’hui ne font que reproduire les stratégies de désinformation climatique d’autrefois (industrie du tabac, du sucre, des pesticides...)

Stéphane Horel, journaliste d’investigation au Monde et spécialiste sur les sujets comme le lobby et la désinformation scientifique, affirme dans son livre Lobbytomie (2018) que « Depuis des décennies, Monsanto, Philip Morris, Exxon, Coca-Cola et des centaines d’autres firmes usent de stratégies pernicieuses afin de continuer à diffuser leurs produits nocifs, parfois mortels, et de bloquer toute réglementation ». De même, en s’appuyant sur la rhétorique et l’analyse de cadre des communications d’Exxon Mobil, Supran et Oreskes (2021) (10) observent que la communication d’ExxonMobil sur le changement climatique imite la propagande utilisée par d’autres industries comme celle du tabac, du sucre, de la chimie, des pesticides Revenons sur les stratégies utilisées par ces grandes industries.
L’industrie du tabac est celle qui a montré la voie. Tout le monde a entendu parler des «  Tobacco papers », ces 14 millions de documents que les cigarettiers furent contraints de rendre publics par la justice américaine. Ces documents révèlent que l’industrie du tabac était au courant de l’impact nocif de ses produits sur la santé depuis les années 1950. Dans Les Marchands de doute (2011), Supran et Oreskes mettent en lumière les stratégies que ces industries ont utilisées. Pour maintenir la controverse sur la dangerosité du tabac, l’industrie a commencé par attaquer la science. Le 4 janvier 1954, l’industrie du tabac a lancé la plus grande campagne de désinformation climatique de tous les temps, une déclaration intitulée « A Frank Statement to Cigarette Smokers » (11) qui contestait les résultats scientifiques liant le tabac aux cancers des voies respiratoires.
Ensuite, pour « marchandiser » le doute, il fallait donner l’impression que les affirmations étaient scientifiques. L’industrie du tabac a alors créé un cadre d’experts auxquels elle pouvait faire appel en cas de besoin, le Comité de Recherche de l’Industrie du Tabac. L’industrie a également parrainé des conférences et des ateliers dont les documents pouvaient être cités au nom de l’industrie. Les rapports produits par l’industrie du tabac reprenaient les caractéristiques d’une argumentation scientifique : graphiques, tableaux, références… Ainsi, pour semer le doute, il s’agit de décrédibiliser la science en utilisant la science elle-même. Les marchands de doute employés par l’industrie américaine du tabac inventent vers 1950 la formule péjorative “junk science” afin de discréditer les études sur la cancérogénicité du tabac.
Quand il s’agit des pesticides, le premier nom qui nous vient en tête est « Monsanto ». Carey Gillam et Kathryn Forgie sont à l’origine des « Monsanto Papers » (12), des centaines de documents internes qui montrent comment l’entreprise américaine a dissimulé les effets du glyphosate sur la santé pour manipuler les agences de régulation. Ces documents révèlent que « depuis des décennies, la firme s’arrange pour faire disparaître toute recherche compromettante concernant le glyphosate et ses impacts négatifs » (13).
Une de leurs stratégies était de pratiquer le « ghostwritting », c’est-à-dire que la firme faisait signer par des scientifiques des études qu’elle-même avait en fait réalisées et écrites. Les dits scientifiques étaient rémunérés pour accepter de couvrir cette tromperie.
Une autre stratégie était de discréditer les études scientifiques en accusant les auteurs d’être partiaux. C’est la stratégie qui a été utilisée en 1984, lorsque les premières études indépendantes révélant des tumeurs rénales liées au glyphosate ont été publiées.
Enfin, une troisième politique de Monsanto était d’influencer les autorités de réglementation, et particulièrement l’EPA (l’Agence américaine de protection de l‘environnement). Monsanto a réussi à convaincre l’EPA d’empêcher une autre agence de régulation des produits chimiques (l’ATSDR) de s’intéresser au glyphosate. Carrey Guillam conclut que « Monsanto n’est cependant pas la seule firme à falsifier des documents à propos de produits chimiques dangereux pour l’environnement ou l’humain, même si elle a sans doute été le plus loin. Ces abus sont fréquents dans l’industrie chimique, comme avec l’industrie du tabac ou pharmaceutique ».
L’Atlas des pesticides publié par La Fabrique Ecologique et la Fondation Heinrich Böll (14) montre que d’autres firmes poursuivent la « Fabrique industrielle du doute ». Par exemple, en 2019, Bayer a déposé une demande de renouvellement de l’approbation du glyphosate pour 2022 auprès de l’Union européenne (UE), conjointement avec d’autres entreprises réunies sous le nom de Groupe pour le renouvellement du glyphosate (GRG).
Un dernier exemple est celui des industriels du sucre qui ont détourné le programme dentaire américain de lutte contre les caries dans les années 1960 et 1970. Tout comme les « Tobacco papers » ou « Monsanto Papers », il existe des « Sugar papers », une synthèse de documents internes aux industries du sucre découverts dans un fonds d’archives publiques.
D’après une étude publiée en 2015 dans la revue Plot Medicine (16), ces documents révèlent que les industriels du sucre, alors qu’ils étaient au courant des effets délétères du sucre sur la santé buccale des enfants, ont promu et soutenu, dans les années 1960 et 1970, des programmes scientifiques « alternatifs », destinés à éviter toute réduction de la consommation de sucre. Ils ont même orienté la politique publique de lutte contre les caries en faisant du lobbying scientifique et humain : rédaction d’articles jetant le doute sur la fiabilité de tels tests, organisation de leur propre panel d’experts afin d’établir des propositions.
Finalement, l’étude révèle que 78 % des propositions de l’industrie sont reprises dans le Programme national anti-caries américain. Pour Stanton Grantz, un des auteurs de l’étude, « qu’il s’agisse du tabac, du sucre ou du réchauffement climatique, ce sont les mêmes objectifs, les mêmes méthodes d’instillation du toute qui sont à l’œuvre ».
Finalement, la récente condamnation de Total pour désinformation climatique permet de mettre en lumière un demi-siècle de fabrication du doute de la part des plus grandes industries.
Il est important de continuer de dénoncer leurs méfaits afin que leurs stratégies deviennent obsolètes !

 

(10) Supran, G., & Oreskes, N. (2021). Rhetoric and frame analysis of ExxonMobil’s climate change communications. One Earth, 4, 696‑719. https://www.cell.com/one-earth/fulltext/S2590-3322(21)00233-5?mc_cid=1d9e09ca9b 
(11) Daily Doc: The ‘Frank Statement’ of 1954″. www.tobacco.org. November 7, 2017. Archived from the original on February 15, 2009. Retrieved November 7, 2017
(12) https://usrtk.org/monsanto-papers/)
(13) https://www.lafabriqueecologique.fr/atlas-des-pesticides/
(14) https://journals.plos.org/plosmedicine/article?id=10.1371/journal.pmed.1001798
(15) https://books.openedition.org/enseditions/58331?lang=fr

 

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