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Réparer un territoire en ruine : le rôle central des femmes palestiniennes dans le soin apporté à la terre

Publié le 7 juillet 2025

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Article de l’Oeil - N°60

Dans son nouvel Œil, La Fabrique Écologique aborde un sujet essentiel : le rôle des femmes dans les luttes contre la spoliation et la destruction de la terre. À partir de l’article “Rethinking the Everyday Domestic Sphere: Palestinian Women as Environmentalist and Anti-Colonial Warriors”, rédigé par Manal Shqair et Mahmoud Soliman, Célia Lours éclaire la place centrale des femmes rurales palestiniennes dans le soin apporté à la terre face aux destructions menées par Israël dans les territoires palestiniens occupés. À travers une approche intersectionnelle, les auteurs montrent comment l’environnement devient un champ d’oppression coloniale, et comment les Palestiniennes, doublement silenciées — en tant que femmes et personnes racisées, à la périphérie des colonisées — y opposent une résistance quotidienne.
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Cet article a été rédigé avant l’intensification du conflit israélo-palestinien, suite aux attaques du Hamas le 7 octobre 2023. Depuis, les attaques israéliennes à Gaza alimentent continuellement l’effondrement des Palestiniens et de l’environnement. Parallèlement, en Cisjordanie, depuis janvier et la levée des sanctions américaines contre les colons, l’annexion de la “zone C” territoires palestiniens occupés s’intensifie (OHCHR, 2025[1]).
 
#1 Depuis 1967, Israël mène en Cisjordanie un processus de colonisation de peuplement qui, selon les auteurs, cherche à désarticuler la société palestinienne, à reconfigurer profondément le paysage et à détruire l’environnement local. Le déboisement d’arbres fruitiers (notamment des oliviers) remplacés par des pins infertiles, la bétonisation des terres, le transfert d’industries polluantes israéliennes proches des terres palestiniennes, le déversement de déchets toxiques ou encore l’accaparement de l’eau (près de 90 % des ressources) participent à la destruction délibérée des écosystèmes palestiniens. Les auteurs démontrent que ces transformations environnementales ne sont pas accidentelles : elles visent à fragiliser les conditions d’existence et à miner la souveraineté palestinienne.
 
#2 Le sumud — terme arabe signifiant fermeté, résilience ou résistance — constitue, d’après les auteurs citant Zoughbi (2010), un pilier central de la lutte non violente du peuple palestinien contre la colonisation israélienne et les atteintes à l’environnement qu’elle implique. Il ne s’agit pas simplement d’une posture de résistance, mais d’une philosophie de vie enracinée dans l’attachement à la terre, la continuité culturelle et la dignité face à l’oppression. Les femmes palestiniennes incarnent particulièrement cette forme de résistance quotidienne. Leurs rôles dans la division du travail, l’accès à la propriété et les relations de pouvoir contribuent à déterminer les effets des bouleversements environnementaux sur leur quotidien, mais aussi la manière dont elles y réagissent. Cette résistance se caractérise par une régénération de leur environnement : maintien de pratiques agricoles indigènes, transmission de savoirs écologiques, préservation de semences locales et gestion durable des ressources. En assurant la continuité de modes de vie enracinés dans le territoire, elles créent un système où l’existence de l’humain et du non-humain est préservée. Face à la dégradation environnementale causée par l’occupation, leurs gestes quotidiens deviennent des actes politiques. En ce sens, le sumud devient une écologie de résistance : un engagement à soigner, protéger et faire perdurer les conditions de vie dans un contexte de dépossession.
 
#3 Face aux restrictions imposées par l’occupation, ces femmes[2] résistent à l’agro-industrie israélienne par une agriculture traditionnelle et durable. Elles pratiquent notamment l’agriculture pluviale (Ba’li), reposant sur la récupération d’eau de pluie et l’humidité du sol, sans irrigation artificielle. En valorisant des semences locales et des cultures adaptées au climat méditerranéen (blé, légumineuses, oliviers qui nécessitent peu d’eau ou peuvent puiser profondément dans les réserves du sol), elles s’opposent aux modèles industriels israéliens (serres, irrigation au goutte-à-goutte, production intensive). Actes de survie et de résistance, ces pratiques relevant de l’agrobiodiversité[3] constituent des solutions pour repenser nos rapports à la terre et rappellent l’importance et la force des savoirs féminins ancestraux pour lutter contre la spoliation et la violence de la destruction du vivant.
 
Résonance : la Chlordécone aux Antilles
Cette articulation entre violences environnementales héritées et rôle central des femmes dans la résistance écologique trouve un écho dans d’autres contextes, notamment en France. Aux Antilles françaises, la contamination massive des sols, des eaux et des populations par la chlordécone — un pesticide interdit en France depuis 1990 mais utilisé jusqu’en 1993 dans ces territoires —, constitue un scandale sanitaire et environnemental majeur. Face à cette pollution massive, des agricultrices de la COAADEP (Coordination des Organisations Agricoles et Agroalimentaires de Développement Endogène et Paysan) s’organisent pour reconstruire une agriculture locale, durable et libérée des intrants toxiques. Elles utilisent des pratiques agroécologiques basées sur les savoirs locaux : savon noir, huiles essentielles, plantes répulsives (INRAE, témoignages d’ouvrières agricoles) pour lutter contre les parasites, tout en respectant les écosystèmes contaminés. Ces pratiques sont profondément politiques : elles participent à une reconquête de la souveraineté alimentaire, de la santé collective et de la dignité des populations antillaises, dans un contexte où les réparations sanitaires, économiques et mémorielles se font toujours attendre. 

 

L’avis de Pauline Bureau, Vice-présidente de LFE

Un article essentiel, savoirs écologiques portés par les femmes, en particulier en contexte rural, sont des ressources précieuses pour répondre à la destruction des milieux de vie. Reconnaître ces pratiques est une condition de toute réparation écologique et sociale.

 

 
L’article est disponible ici.

 

 

[1] Communiqué de presse du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (OHCHR), « L’intensification de la colonisation et de l’annexion en Cisjordanie a des conséquences désastreuses pour les droits humains », 18 mars 2025. URL : https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2025/03/israel-ramps-settlement-and-annexation-west-bank-dire-human-rights

[2] Les femmes interrogées sont majoritairement originaires du village de Dayr Ballut, dans le district de Salfit.

[3] L’agrobiodiversité désigne l’ensemble des composantes de la diversité biologique liées à l’alimentation, à l’agriculture et au fonctionnement des écosystèmes agricoles (Dictionnaire de l’Anthropocène, 2020). Diverses études comme celle-ci éclairent les liens entre savoirs locaux et maintien d’une riche agrobiodiversité.

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