29

janvier

2020

Chronique de Lucile Schmid dans Alternatives Economiques : "Quand l’environnement détruit la santé"

Les questions de santé environnementale prennent une importance croissante dans les préoccupations des citoyens. Une étude réalisée par l’institut CSA Research en décembre 2019 classait ainsi la santé comme première préoccupation des Français (40 %) devant le pouvoir d’achat (37 %), l’environnement atteignant 33 %. 59 % des personnes en région parisienne et 55 % des personnes de plus de 65 ans se disaient par ailleurs convaincues de l’impact de leur environnement sur leur santé. L’attention portée par la société française à ces questions se manifeste également par le succès du mouvement des Coquelicots fondé en 2018 par Fabrice Nicolino et François Veillerette de Générations futures ou de l’association Respire mobilisée sur la qualité de l’air. Ces initiatives rejoignent mutatis mutandis deux initié aux Etats-Unis par des associations « grass roots » dans les années 1980 lorsque des populations socialement, ethniquement et économiquement défavorisées s’étaient par exemple mobilisées contre l’enfouissement de déchets dangereux en Caroline du Nord dans le Comté de Warren ou à Love Canal dans l’Etat de New-York.
 
« En bref notre santé n’est jamais indépendante du contexte dans lequel nous vivons ». Twitter
 
C’est en 1994 que l’OMS a proposé une première définition de celle-ci qui comprend, écrit-elle, « les aspects de la santé humaine, y compris la qualité de vie, déterminés par les facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux, psychosociaux et esthétiques de notre environnement. Elle concerne aussi la politique et les pratiques de gestion, de résorption, de contrôle et de prévention des facteurs environnementaux susceptibles d’affecter la santé des générations actuelles et futures. » En bref, notre santé n’est jamais indépendante du contexte dans lequel nous vivons. Tout compte : l’air que nous respirons,  l’eau que nous utilisons, le sol que nous foulons bien sûr, nos modes de déplacement, notre lieu de travail, notre logement, notre alimentation.
A lire Alternatives Economiques n°398 – 02/2020  Les jeunes sont-ils sacrifiés ?
 
Un plan national sans effets mesurables
Depuis 2004, la France dispose d’un plan national en santé environnement (PNSE) décliné en plan régionaux ; le quatrième PNSE couvre la période 2020-2024. Cet outil de politique publique est pourtant loin d’avoir un caractère stratégique. Récemment, deux rapports sur le troisième PNSE émanant de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) constataient que celui-ci n’avait eu aucun effet sanitaire quantifiable. Le lien avec les déclinaisons territoriales restait ainsi notoirement insuffisant.
 
    « La Cour de justice de l’Union européenne a condamné la France en octobre 2019 pour dépassement systématique et persistant de la valeur limite annuelle de dioxyde d’azote depuis 2010« . Twitter
 
Le CGEDD recommandait pour remédier à ces limites de se concentrer sur un ou deux objectifs prioritaires comme la pollution de l’air. Une remarque de bons sens alors que la qualité de l’air dans les grandes agglomérations françaises ne respecte pas la directive européenne de 2008. La Cour de justice de l’Union européenne a d’ailleurs condamné la France en octobre 2019 pour dépassement systématique et persistant de la valeur limite annuelle de dioxyde d’azote depuis 2010. A cette critique s’en ajoutait une autre encore plus essentielle. L’IGAS pointait ainsi que ce plan ne recouvrait qu’imparfaitement le domaine de la santé environnementale tel que défini par le code de la santé publique, ajoutant par exemple que les actions dédiées à la santé au travail étaient quasi-absentes. En bref, les actions déclinées par le plan apparaissaient trop générales pour pouvoir être évaluées et nombre de domaines n’étaient pas couverts.
 
De fortes inégalités
C’est sans doute que la santé environnementale reste une question dont on pressent l’importance sans savoir réellement comment la traiter dans le cadre classique des politiques publiques. Car lui donner sa pleine portée ce serait aussi transformer les fondements du système de santé français, davantage porté on le sait sur le soin et la réparation que sur la prévention. Or, développer les politiques de prévention, aux différents stades (primaire en amont de la maladie, secondaire à un stade précoce et tertiaire pour éviter complications et récidives) est un enjeu central.
 
   «  la France est l’un des pays de l’Union européenne où les écarts de santé entre les catégories socio-professionnelles sont les plus forts » Twitter
 
C’est d’autant plus important que la France est l’un des pays de l’Union européenne où les écarts de santé entre les catégories socio-professionnelles sont les plus forts. Obésité, addictions, mais aussi maladies liées aux mal-logement ou à la précarité énergétique, touchent d’abord les plus vulnérables économiquement.  Certains professionnels comme le professeur Robert Barouki, chef de service de biochimie à l’hôpital Necker enfants malades, évoquent même des politiques de prévention de précision c’est-à-dire des politiques prenant en compte les caractéristiques personnelles de chaque patient. Le meilleur exemple est celui du chantier ouvert en matière de qualité de l’air. On n’est pas tous égaux face au risque, selon notre âge, notre sensibilité aux polluants, notre exposition. Ce n’est pas un hasard si au-delà des caractéristiques propres à chaque personne, les questions de santé environnementale sont d’ailleurs aussi régulièrement associées aux enjeux d’inégalités sociales et environnementales. Celles-ci sont de mieux en mieux diagnostiquées sans que l’on sache pourtant encore comment y remédier.
 
En juin 2019, rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), intitulé « Inégalités en matière d’environnement et de santé en Europe », révélait des inégalités persistantes en matière d’exposition environnementale très marquées pour les populations défavorisées. Le rapport d’exposition aux facteurs de risques environnementaux peut en effet être jusqu’à cinq fois plus élevé pour les groupes les plus défavorisés par rapport aux groupes privilégiés. L’OMS estimait que cela posait d’importants problèmes d’équité pour la santé publique dans toute l’Europe.
 
Que faire ?
Face à cela, la place donnée au territoire et au milieu de vie implique bien sûr une réflexion sur l’architecture du système de santé, son organisation et ses priorités. Ce sont à la fois les liens entre médecine de ville et hôpital, les responsabilités des différents acteurs (Etat, collectivités locales mais aussi employeurs et syndicats) et l’interaction entre les échelles locales et nationale qui sont concernés. Et il faudrait mieux faire le lien entre enjeux de santé et mise en œuvre d’autres politiques (logement, agriculture, aménagement du territoire, transports). Or, alors que le système de santé est à bout de souffle, et que les débats sur sa réforme portent surtout sur les moyens d’urgence, donner une place à la santé environnementale pourrait ne pas être prioritaire. Mais ne pas mener ce changement de perspective c’est prendre de nouveau le risque que les institutions soient à la traîne des aspirations sociales.
A l’automne 2019, le débat autour de la définition d’une distance minimale d’épandage des pesticides mené par certains maires a illustré ce risque. Lorsque l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a rendu en juin 2019 son avis sur ce sujet, elle s’est appuyée sur un guide de l’agence sanitaire européenne (EFSA) qui date de 2014 dont les données sont de son aveu même « limitées et issues d’études effectuées dans les années 80 et sur des données de l’agence sanitaire américaine EPA ». La position de l’ANSES a été alors ouvertement questionnée comme trop favorable à l’industrie chimique par le journaliste Fabrice Nicolino, auteur d’une nouvelle enquête sur les dangers des pesticides dans le « Le crime est presque parfait » (Les liens qui libèrent). Que cette institution, qui reste une référence dans le paysage européen, essuie des critiques de plus en plus fortes témoigne de la suspicion montante à l’égard des autorités publiques. Et le débat sur la méthode renvoie de nouveau clairement à la question des moyens financiers et humains à consacrer à ces questions.
 
    « les arguments de Monsanto sur la non dangerosité du glyphosate avaient été repris tels quels dans l’avis de l’EFSA » Twitter
 
La polémique autour des travaux de l’EFSA sur la prolongation d’autorisation du glyphosate en 2017 reposait sur un constat assez similaire sur les faibles moyens de cette agence. Et là encore le décalage avec l’interpellation de la société avait été patent, la Commission européenne ayant choisi de répondre à minima à l’initiative citoyenne européenne « Stop glyphosate » qui avait recueilli plus d’1,3 million de signatures. Elle avait notamment qualifié de « sans fondement les inquiétudes et allégations de la société civile » qui souhaitait une réforme de la procédure d’approbation des pesticides se fondant uniquement sur des études ayant été publiées, commandées par les autorités publiques compétentes et non par l’industrie des pesticides. Et ce alors que les arguments de Monsanto sur la non dangerosité du glyphosate avaient été repris tels quels dans l’avis de l’EFSA. Ces exemples illustrent combien la place que nous souhaitons collectivement donner aux produits chimiques dans notre société et donc aux méthodes d’évaluation de leurs effets relève d’un débat citoyen et ne doit plus seulement dépendre d’instances d’expertise. Il s’agit bien d’un enjeu démocratique.
 
 
Actions en justice
Autre enjeu, la santé et d’environnement dans le monde du travail. Comme l’a notamment montré l’historien Renaud Bécot (dans son article « Sur les traces de la santé environnementale collectif » dans la revue Ecologie et politique), dès les années 1960 et 70, certains responsables syndicaux dans la vallée de la chimie rhodanienne s’y sont intéressés. Cela a notamment été le cas à Feyzin après une explosion en 1966, puis à Pierre-Bénite où était produite l’acroléine un additif alimentaire très toxique.
 
    « Est-ce le monde agricole qui va aujourd’hui prendre une place croissante dans ce mouvement initié autour de la question ouvrière ? » Twitter
 
Or, cet enjeu est aujourd’hui peu présent dans les débats et quasiment pas traité dans les PNSE. Faut-il y voir le traumatisme du scandale de l’amiante dont les conséquences continuent de se dévoiler, entre retards impardonnables à interdire son usage, incapacité à pointer les responsabilités et à indemniser les victimes ? Est-ce le monde agricole qui va aujourd’hui prendre une place croissante dans ce mouvement initié autour de la question ouvrière ? Le procès de Paul François contre Monsanto actuellement en cassation pour la deuxième fois en est un exemple emblématique. Après avoir été intoxiqué en 2004 par le Lasso un herbicide puissant interdit en France depuis 2007 mais qui avait été proscrit dès 1985 au Canada ou en 1992 au Royaume-Uni et en Belgique, cet agriculteur a obtenu la condamnation de Monsanto en première instance en 2012 puis en appel en 2015. Cette décision ayant été cassée en 2017 le procès avait été renvoyé en cour d’appel. Pour Paul François, ce sont ainsi plus de 15 ans qui se sont écoulés depuis qu’il avait failli mourir de son intoxication.
Si les enjeux professionnels restent centraux, c’est qu’ils touchent aussi à l’interrogation plus générale sur la remise en cause du modèle économique du système de santé d’aujourd’hui. Les grands groupes pharmaceutiques sont-ils favorables au développement de la prévention ? La recherche peut-elle être réorientée et dans quelles conditions d’indépendance financière vis-à-vis des laboratoires ? La santé environnementale est à l’évidence une invitation à mettre en cause la logique productiviste.