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Prendre sa vie en main. Le mouvement des jeunes pour le climat
Publié le 28 mai 2019
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Décryptage - N°21
A la veille des manifestions lycéennes mondiales sur le climat, ce décryptage écrit à quatre mains par Paul Spence¹, lycéen actif dans le mouvement des jeunes pour le climat et Lucile Schmid², vice-présidente de la Fabrique écologique, revient sur les origines de ce mouvement, raconte le parcours d’engagement des jeunes, et prend le pari de son enracinement. Mais pour passer de l’interpellation à la naissance d’un véritable contre-pouvoir il est essentiel de définir alliances et contenu précis des revendications. Ainsi la parole des jeunes prendra une force nouvelle.
Sommaire
Un mouvement de jeunesse mondial
Le nouveau mouvement climatique, les médias et l’effet boule de neige
“Quatre ministres, 0 action!”: Comment la frustration a mené à l’activisme, l’exemple belge
Qui sont les grévistes?
Le monde politique entre incompréhension et paternalisme
Construire des alliances et porter des propositions claires pour se donner une perspective
Avant 2018, les mobilisations relatives au changement climatique avaient été portées principalement par des ONG engagées depuis longtemps sur ces enjeux et des mouvements d’activistes. Comment expliquer le surgissement des grèves scolaires pour le climat depuis 2018 ? Comment s’est-il manifesté ? Et quelles perspectives s’ouvrent aujourd’hui pour ce mouvement dont la prochaine étape est prévue le 24 mai ?
Un mouvement de jeunesse mondial
C’est après l’étape décisive de l’été 2018, qui a été pour de nombreux pays l’été le plus chaud depuis des décennies, que la jeunesse a commencé à se mobiliser partout dans le monde sur les enjeux écologiques. L’indifférence du monde politique vis-à-vis des moins de 18 ans qui n’ont pas le droit de vote, ajouté à la prise de conscience générale du problème a conduit à un mouvement mondial de grèves scolaires pour le climat : “schoolstrikes4climate”, “Fridays4future” ou “Youth for Climate”³.
L’effet Greta Thunberg
Après les records de chaleur à l’été 2018, Greta Thunberg, lycéenne suédoise, a commencé une grève scolaire à l’extérieur du parlement suédois (Rikstag) pour inciter les politiciens à agir contre le changement climatique.
Dans une interview à CNN, Greta raconte avoir été inspirée par les adolescents américains réagissant à l’inaction du gouvernement pour contrôler les armes après la tuerie de Parkland. Elle espérait que son action aurait un effet sur les élections en Suède. Elle a mené cette action en dépit des résistances de ses parents, de sa fragilité, et surtout de l’indifférence apparente de la société. Paradoxalement, l’âge de Greta a rapidement cessé d’être un handicap pour être un élément de légitmité. Il est devenu le symbole de la nécessité de changer les choses pour le meilleur, garantissant qu’elle était éloignée du monde politique traditionnel. Et sa détermination lui a permis de devenir une figure centrale du mouvement qui émergeait.
Greta a peu à peu attiré l’attention. La radio suédoise Sverigeradio a diffusé un portrait d’elle dès août 2018. Un article du Guardian début septembre l’a ensuite propulsée au plan international. Elle a continué à gagner en influence lorsqu’Arnold Swarzenegger s’est mis à la suivre sur twitter et l’a invitée au sommet mondial autrichien de mai 2019. La conférence des Nations-Unies pour le climat (COP24) à Katowice en décembre 2018 a renforcé le mouvement; elle y a interpellé avec gravité les dirigeants du monde sur leur peur de devenir impopulaires et leur refus de dire les choses telles qu’elles sont. Ce discours a été relayé par les médias partout dans le monde. Il a aussi transformé Greta Thunberg en icône du mouvement des grèves climatiques.
Le nouveau mouvement climatique, les médias et l’effet boule de neige
Pendant les premiers mois – d’août à décembre 2018 -, les grèves scolaires consistaient largement en petits groupes de lycéens se rassemblant occasionnellement devant leurs parlements respectifs un jour d’école. Ces groupes sont devenus de plus en plus nombreux, particulièrement en Australie (pour réagir à l’absence de réponse du Premier ministre australien à l’interpellation) où jusqu’à fin novembre les grèves hebdomadaires attiraient des étudiants par milliers dans des villes comme Ballarat, Newcastle et Cairns.
A Bruxelles, un groupe de 200 étudiants environ se rassemblait à l’extérieur de la Commission européenne, affirmant « le droit à savoir » au sujet des risques auxquels ils étaient exposés, et une manifestation initiée par le groupe « Levez-vous pour le climat » a rapidement retenu l’attention sur les médias sociaux après que 100 000 personnes aient marqué leur intérêt pour cet événement sur Facebook. Cette manifestation est devenue l’une des plus importantes dans l’histoire de la Belgique en décembre 2018. Après la déception de la Cop24, à partir de janvier 2019, les grèves scolaires ont grandi en importance et en régularité dans la plupart des pays développés, particulièrement en Belgique où de nouvelles figures ont émergé au sein de la jeunesse.
Il s’agit de grèves scolaires hebdomadaires où les étudiants ratent un jour d’école pour manifester. Le mouvement est non partisan et composé presque uniquement d’adolescents et d’enfants qui n’ont pas le droit de vote dans leur pays. L’effet médiatique a été absolument central, chaque nouvelle grève faisant la une des journaux dans le monde, ce qui renforçait la dynamique. L’influence des réseaux sociaux a aussi été déterminante.
Ce nouveau mouvement climatique s’est donc distingué des affiliations politiques traditionnelles. Il a transcendé les frontières du débat démocratique classique, ce qui lui a permis d’être accessible au grand nombre et plus facile à médiatiser. Comme l’a affirmé la responsable justice climatique des Amis de la Terre Europe Clémence Hutin, “Ces jeunes ont grandi avec le réchauffement climatique […] et voient l’inaction. Ils sont désormais conscients de la nécessité d’un changement intégral du système, ce qui est une énorme question.”
“Quatre ministres, 0 action!”: Comment la frustration a mené à l’activisme, l’exemple belge
En Belgique les marches climatiques sont devenues rituelles. Des milliers d’adolescents descendent chaque semaine, dans les rues de la capitale réclamant que des mesures plus radicales soient prises contre le dérèglement climatique. Déjà présentes à travers des mouvements comme Climate Express et le réseau 11.11.11, ces mobilisations ont été galvanisées depuis quelques mois.
Le 2 décembre, 75 000 personnes ont défilé dans les rues de la capitale, à l’appel de Rise for Climate justice, un collectif d’organisations en faveur de mesures de protection de l’environnement. La réponse du gouvernement belge à cette marche s’est apparentée à une véritable provocation. Alors même que le discours officiel était favorable aux revendications portées par la marche, deux jours plus tard la Belgique votait contre une proposition de directive européenne prévoyant une augmentation de 32.5% d’efficacité énergétique avant 2030. L’indignation populaire face à cette contradiction a été particulièrement forte, surtout à l’égard du gouvernement flamand et de son principal parti le Nieuw-Vlaamse Alliantie’ (N-VA).
Fin décembre 2018, Anuna de Wever et son amie Kyra Gantois créaient la plateforme Youth for Climate en postant une video sur Facebook, cristallisant le sentiment d’exaspération né du refus du gouvernement de prendre en considération la marche du 2 décembre et les revendications des 75000 personnes qui avaient défilé4. Le mouvement Youth for Climate a donc commencé avec une campagne sur les réseaux sociaux. Le 8 janvier, l’attention des médias a été captée par l’initiative de Wever et Gantois qui ont marché de leur école à Mortsel avec une trentaine d’étudiants jusqu’à Bruxelles le 10 janvier avec pour objectif de protester contre l’inaction du gouvernement. Le mouvement a accru rapidement son influence, la marche suivante réunissant plus de 12 000 adolescents et la troisième 35 000.
La Belgique est un terrain politique et social favorable à cette émergence. La division entre le champ politique flamand et wallon a entraîné un vrai problème d’efficacité du gouvernement belge, et surtout lorsqu’il s’agit de prendre en compte une préoccupation exprimée par l’ensemble de la société et non par l’une ou l’autre communauté. Pendant les marches, le fait que la Belgique a quatre ministres du climat différents mais qu’aucune action n’est prise – ce qui résulte largement au désaccord entre régions – est devenu une plaisanterie rituelle. Quatre ministres pour ne rien faire. Une partie des activistes en faveur d’une véritable politique d’asile a aussi rejoint le mouvement pour le climat, alors que le N-VA, principal parti en Flandres, est au cœur de violentes critiques sur la question des migrations.
Qui sont les grévistes?
Après avoir commencé en janvier, les marches ont régulièrement drainé des milliers de personnes chaque semaine. Le nombre de participants était toujours supérieur à celui de 3000 qui avait été avancé pour la première marche de Youth for climate début janvier. Les mêmes personnes reviennent marche après marche. Cette masse de participants réguliers contribue à l’effet « boule de neige » : si quelqu’un est actif sur les réseaux sociaux et dit clairement qu’il va à une marche, cela incite d’autres personnes à rejoindre le mouvement.
Trois attitudes différentes émergent chez les jeunes face aux manifestations: les jeunes engagés, les activistes et les sceptiques.
La force motrice du mouvement est d’abord un groupe de jeunes relativement modérés qui ont une forme de conscience environnementale et sont incités à rejoindre les marches par d’autres, que ce soit via les réseaux sociaux ou le bouche à oreille. Leur engagement se confirme au fur et à mesure chaque vendredi. Ces jeunes, inquiets du changement climatique et ayant été sensibilisés de longue date à cet enjeu, n’étaient pas particulièrement impliqués dans les mobilisations jusqu’à ce que le sujet devienne national et international. Ils se sont souvent engagés à l’instigation d’un ami proche. Beaucoup rejoignent le mouvement sur la base de convictions qui étaient en germe, représentaient un potentiel de mobilisation dormant, que la dynamique confirme, solidifie et fait apparaître.
Alors que les activistes, qui représentent le second groupe, sont présentés comme le noyau idéologique du mouvement, qui ferait venir des participants plus « suivistes » grâce à leur charisme, la réalité est qu’il y a seulement une petite partie des manifestants dont la très forte motivation est l’étincelle qui réveille celle de tous les autres. Cette motivation ne se serait pas exprimée et n’aurait pas acquis la même force sans cette dynamique internationale. Certains membres de ce noyau dur – les plus nombreux – développent à leur tour des convictions très fortes et peuvent devenir l’étincelle qui alimente les convictions de nouveaux participants. De nouvelles personnes, de nouveaux témoignages, de nouvelles motivations ne cessent d’apparaître. Et le mouvement se propage. C’est ce que soulignent les réponses des grévistes aux questions des médias. A chaque fois, ils développent leur conviction que des mesures fortes et nécessaires doivent être prises pour stopper le dérèglement climatique, et que la voix de la jeunesse doit être écoutée. Marcher pour le climat est un devoir civique, pas une manière de ne pas aller à l’école.
Pour ceux qui sont des activistes, ce n’est pas si différent. Les motivations sont diverses, souvent issues de la frustration face à l’inaction mais aussi du désir de rébellion. Ceux qui rejoignent les marches ressentent un sentiment de solidarité qui n’existe que rarement ailleurs. Chacun se sent partie prenante d’une cause collective. La nature terrifiante de la catastrophe qui menace est en soi une source de motivation. Les activistes apparaissent donc comme les plus énergiques et ceux qui de ce fait animent les marches. Ils sont une inspiration pour les autres mais ne sont pas les seuls à agir par conviction.
Le dernier groupe est celui souvent caricaturé comme celui des « sceptiques » – il s’agit de ceux qui vont aux marches sans être vraiment engagés et qui ne font pas mystère de leur envie de rater l’école. Alors que l’un des principaux arguments utilisés pour discréditer le mouvement serait que la motivation essentielle des jeunes est justement celle-là, ce groupe est loin de représenter la majorité de ceux qui participent aux « vendredis de l’avenir » en Belgique. En effet les marches ne sont pas autorisées par l’administration des établissements scolaires, ce qui peut avoir des conséquences négatives pour les élèves qui choisissent de marcher. De plus, un nombre important de jeunes viennent de Gand, de Louvain, ou d’Anvers pour participer aux marches à Bruxelles. Pour beaucoup, aller à Bruxelles implique une heure ou plus de déplacement. Il serait irréaliste de penser que les élèves soient venus seulement pour rater une journée de cours.
Le monde politique entre incompréhension et paternalisme
La créativité des jeunes manifestants est remarquable. Des slogans comme « si le climat avait été une banque il aurait été sauvé depuis longtemps », ou « les calottes sont cuites » ou encore « you broke my (h)earth » ont fait le tour du monde. Mais les réactions des dirigeants politiques oscillent pour l’instant entre observation prudente, minimisation, sarcasmes ou ironie. « Il faut que jeunesse se passe » semblent-t-ils dire ou « attendez votre tour et on verra ».
Et les réactions sont même parfois violentes. Anuna de Wever a été victime de cyber harcèlement, et a aussi dû faire face à une opposition déclarée de plusieurs politiciens belges comme Bart de Wever, président du N-VA enjoignant à la jeunesse de « ne pas croire en l’apocalypse ».
Les jeunes sont souvent accusés d’être hypocrites. Theo Francken, ex-ministre de l’immigration dans le gouvernement belge et représentant du N-VA a ainsi partagé un post sur Facebook ironisant sur les protestataires, racontant l’anecdote d’un lycéen désormais gêné de demander à son père de l’accompagner quelque part en voiture, ou de posséder un téléphone mobile parce qu’il avait convaincu ses parents qu’il fallait agir pour le climat. Ce post vient en écho aux critiques habituelles sur le consumérisme des jeunes. Il serait hypocrite qu’ils demandent au gouvernement de se mobiliser si eux-mêmes ne changent pas leur vie quotidienne. C’est aussi l’argument utilisé par des étudiants qui ne prennent pas part aux grèves, car ils ne souhaitent pas changer leur mode de vie. Mais il est fondé sur une vision caricaturale. Les jeunes qui ne font rien pour l’environnement et ne sont pas concernés par les effets du dérèglement climatique ne sont pas ceux qui vont manifester. La jeunesse n’est pas uniforme.
Aucune proposition pour organiser un dialogue opérationnel avec des responsables politiques ou institutionnels n’a été faite. Pourquoi ne pas avoir imaginé un mécanisme d’association -l’équivalent des réflexions menées sur l’expertise avec la chambre du long terme ? Pourquoi ne pas avoir porté au débat ou deux ou trois propositions fortes – en termes d’exemplarité du fonctionnement des institutions européennes ou nationales par exemple, ou de programmation de la fin des soutiens financiers aux énergies fossiles-? Pourquoi ne pas avoir organisé un Conseil européen extraordinaire pour traiter de ces préoccupations de la jeunesse et des réponses concrètes à y apporter ?
Les jeunes prennent la parole mais celle-ci se perd passée la mobilisation, elle existe par intermittences, quelques heures le temps d’un après midi, d’une marche, d’un slogan bien balancé. Sa portée n’est pas stabilisée. Certains chercheurs comme le collectif « Quantité critique » ont commencé à étudier les mobilisations, leurs processus, les motivations et la sociologie des jeunes manifestants. Mais la place du mouvement (contenu programmatique, capacité de pression sur les institutions, organisation à l’échelle nationale, européenne, internationale) reste à construire. Le monde des adultes et celui des jeunes sont encore largement deux mondes parallèles.
Construire des alliances et porter des propositions claires pour se donner une perspective
A court terme en Europe, avec la période des examens puis l’été, le mouvement devrait ralentir. Mais il ne fait pas de doute que face à l’urgence écologique il va s’enraciner. Reste à savoir sous quelle forme.
La démarche revendiquée est différente de celles qui ont pu être portées à d’autres moments par la jeunesse, en mai 1968 par exemple. Car selon le témoignage porté par Greta Thunberg à la COP24, il s’agit avant tout d’un appel à regarder les choses telles qu’elles sont vraiment. Les jeunes interpellent le monde des adultes au nom du principe de réalité, non pour prendre une place ou obtenir telle ou telle liberté. Ce qui est reproché aux dirigeants politiques, c’est un réalisme sélectif qui ne concerne que le court terme et se réduit à leurs propres enjeux. Ce sont donc deux principes de réalité qui se concurrencent : celui de la défense du monde tel qu’il est, et celui du monde tel qu’il va devenir. La vie devant soi, c’est la vie au temps du changement climatique.
Les jeunes avaient-ils anticipé une telle surdité du monde politique ? Non sans doute. Surmonter le découragement, ne pas en rester à la seule rébellion, trouver la voie à des alliances efficaces et définir en quelques mesures simples qui ne soient pas seulement symboliques les objectifs concrets qu’ils poursuivent, voilà l’enjeu. Manifester au nom du réel, annoncer la catastrophe et vouloir la contrer, implique donc de rechercher soi-même les voies d’une transformation du système.
Ce mouvement devrait donc devenir contre-pouvoir pour ne plus être cantonné aux registres événementiel et émotionnel. Le principal obstacle est-il de ne pas avoir (encore) le droit de vote? Ce sentiment peut être relativisé en rappelant l’exemple de Greta Thunberg: son âge a symbolisé l’indépendance à l’égard du système. La démocratie ne se résume pas aux élections, élections dont la légitimité est d’ailleurs affaiblie par la montée de l’abstention. L’urgence écologique est une urgence démocratique. Dans l’aspiration à une démocratie continue, qui laisse place à l’émergence des idées, des transformations sociales, des sans-voix, le mouvement des jeunes a toute sa place. Dans la montée des préoccupations écologiques il indique une urgence vitale encore trop rarement évoquée.
Se posent les questions des leviers et des alliances.
D’abord bâtir des alliances. Avec tous ceux qui sont déjà dans le monde des adultes, mouvements citoyens et ONG bien sûr, mais aussi acteurs engagés de différents milieux (éducation, social, parents d’élèves) est indispensable. C’est la responsabilité de toute la société de reprendre l’alerte de la jeunesse et d’en faire une dynamique.
Les 20-30 ans, ceux qui sont à la frontière entre vie professionnelle et étudiante, soit qu’ils aient commencé à travailler, soit qu’ils s’apprêtent à le faire, représentent bien sûr des alliés essentiels. En octobre 2018, un manifeste étudiant pour un réveil écologique a été publié par des élèves de différentes grandes écoles en France. Les signataires affirmaient vouloir « prendre leur avenir en main en décidant collectivement d’anticiper et d’inclure dans leur quotidien et leurs métiers une ambition sociale et environnementale pour changer de cap et ne pas finir dans l’impasse ». Concrètement, le manifeste appelait à utiliser la marge de manœuvre face aux futurs employeurs pour inciter les entreprises à changer, et à préférer ceux en accord avec les objectifs de lutte contre le changement climatique. Des préoccupations proches de celles exprimées par les lycéens et qui démontrent la volonté partagée d’agir concrètement.
Un collectif des enseignant-e-s pour la planète s’est également emparé de ces enjeux, appelant ainsi à encourager les mobilisations lycéennes en suscitant le soutien des enseignants et des parents, déposant un préavis de grève pour le 24 mai. « L’enjeu est immense, l’urgence absolue. Nos élèves et nos enfants ont le droit de grandir dans la paix et la sécurité et de se choisir un avenir. », affirment-ils.
La question du soutien parental et de ses développements est cruciale. L’appui des proches a été un élément important pour les jeunes manifestants, prenant la forme d’une sorte d’abstention plus ou moins bienveillante, un soutien en coulisses. Les parents sont face à un dilemme. Soutien au fait de manquer l’école? Oui mais c’est aussi prendre le risque que les résultats scolaires en pâtissent. Et si l’échec aux examens se profilait et les sacro-saints parcours scolaires étaient remis en question? Faut-il débattre en famille de cet engagement qui pose très différemment la question de l’avenir? Ces interrogations montrent que le mouvement est bien au-delà d’une démarche d’émancipation générationnelle et pose différemment la question des responsabilités respectives. C’est un projet transgénérationnel dont la jeunesse est l’avant-garde avancée.
L’engagement croît d’ailleurs dans les milieux associatifs qui portent la cause écologiste. En France, 77 organisations dont la Ligue des droits de l’homme, la FIDL, Nous voulons des coquelicots, le RAC etc, ont diffusé un appel à la grève climatique le 24 mai. « Respect existence or expect resistance » affirment-ils.
L’effet de contagion et de soutien devrait en définitive concerner l’ensemble des « mondes de l’écologie ». C’est la responsabilité de ceux qui sont pionniers sur ces engagements (politique, économique, juridique, science et recherche) de donner une légitimité et d’organiser des espaces et des agendas communs avec les jeunes grévistes du climat pour porter contenus et actions. Voire même investir l’espace diplomatique. L’intervention de Greta Thunberg à la Cop24 montrait ainsi des convergences avec l’interpellation portée par certains Etats du Sud déjà largement touchés par le dérèglement climatique. Une convergence Nord-Sud inédite pourrait être construite.
Comment alors s’inscrire dans les espaces publics et l’agenda ?
Dans ce contexte, la force prescriptive du droit apparaît essentielle. Lorsque les procès climatiques se multiplient, lorsque des pétitions comme l’Affaire du siècle recueillent plus de 1,5 millions de signatures avec la perspective d’un procès à l’Etat, c’est l’enjeu de trouver un point de référence stable pour construire un autre système économique et social qui émerge. Pour donner à la parole des manifestants sa pleine portée, le prétoire présente bien des avantages. La justice pourrait ainsi devenir une institution centrale pour construire la démocratie écologique.
Le message du mouvement devrait à court terme (à l’automne) se définir autour de deux ou trois propositions clé suffisamment concrètes pour être compréhensibles par tous et ayant une portée internationale. Les enjeux du climat et de la biodiversité, très fortement liés par les jeunes manifestants sont tous deux concernés. On pourrait ainsi penser à une proposition forte sur la taxation du kérosène alors que les débats sur les restrictions au transport aérien, grand ignoré des négociations des COP, prennent de l’ampleur. Et à une proposition volontariste portant sur la restauration de la biodiversité autour de deux trois espèces animales ou végétales emblématiques. Tant il est aujourd’hui nécessaire de montrer que la catastrophe annoncée peut être combattue efficacement.
Enfin la possibilité d’imaginer une forme de représentation de ce mouvement autour de quelques jeunes leaders (et non de la seule figure de Greta Thunberg) apparaît essentielle. Faut-il imaginer une représentation qui serait uniquement celle des jeunes ou qui pourrait incarner le caractère transgénérationnel et la diversité de la mobilisation ? Le choix reste ouvert.
¹Paul Spence est un lycéen de bientôt 16 ans qui étudie à l’école européenne de Bruxelles. Il aime les sciences et le sport et fait partie du groupe des lycéens qui ont adhéré aux marches pour le climat via des amis grâce aux réseaux sociaux. Son engagement est devenu une partie importante de sa vie.
²Lucile Schmid est vice-présidente de La Fabrique Ecologique et cofondatrice d’un prix littéraire qui récompense des romans francophones de qualité où l’inspiration écologique est centrale.
³ https://nca2014.globalchange.gov/report/our-changing-climate/future-climate-change
4https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2018/12/04/energy-efficiency-renewables-governance-of-the-energy-union-council-signs-off-on-3-major-clean-energy-files/?utm_source=dsms-auto&utm_medium=email&utm_campaign=Efficacit%C3%A9+%C3%A9nerg%C3%A9tique%2c+%C3%A9nergies+renouvelables%2c+gouvernance+de+l%27union+de+l%27%C3%A9nergie%3a+le+Conseil+approuve+3+grands+dossiers+en+mati%C3%A8re+d%27%C3%A9nergie+propre
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