Politique Société
« Nature » de Baptiste LANASPEZE, Éditions Anamosa
Publié le 2 juin 2022
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Article publié
« Si une clé de voûte du désastre écologique est la mort de l’idée de nature, alors la rénovation de l’idée de nature est le grand chantier des pensées de l’écologie. » (p.96-97)
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Au vu du rapport froid et distant qu’entretiennent nos sociétés avec la nature, où cette dernière est perçue comme une machine dénuée d’âme, de sensibilité et de vie, l’auteur souhaite réinvestir cette notion. La nature ne s’arrête pas à l’extérieur de nous : le monde est vivant et nous en faisons pleinement partie.
Partant du constat que nos sociétés font face à une crise globale (régime alimentaire déréglé, mauvaise santé, mode de cultures déséquilibré) qui témoigne d’une société humaine malade, Baptiste Lanaspeze insiste sur la nécessité de faire société avec la nature. Selon lui, la nature est une « vaste société de sociétés », car la nature est vivante et le propre du vivant est de faire société.
S’inscrivant dans une pensée descolienne, et en se basant sur les travaux de Carolyn Merchant, il revient sur les méfaits de l’ontologie naturaliste dans laquelle s’est globalement enfermée l’Europe – puis l’Occident – à partir du XVIe siècle. Jusqu’à ce tournant, la Terre était perçue comme un être vivant, et l’homme considéré comme un membre à part entière de ce grand tout. Cependant, avec le développement des sciences et du règne de la raison, les savants ont pris leurs distances avec ce monde, perçu désormais comme une machine gigantesque dénuée de vie. Cette rupture entraîne également un déplacement ontologique ; l’homme se plaçant ainsi au-dessus des autres composantes de la nature. En se détachant de cette vision du monde empli d’existences qui sont interreliées et interdépendantes, la civilisation moderne est devenue une administration de la mort.
Symbole de cette administration de la mort : ce que Donna Haraway nomme le « plantationocène » (l’auteur ne cite pas ce néologisme). Les entreprises coloniales ont conduit à la mise en esclavage de plusieurs millions d’individus provenant majoritairement d’Afrique, déplacés et exploités sur d’autres continents, où leurs travaux forcés dans des plantations de monoculture ont également mené à un écocide. L’auteur rapporte les propos de Jack Forbes qui met en exergue le concept d’une psychose pandémique appelée « wetico » (mot issu de la langue amérindienne cree qui signifie : « maladie de l’agression envers les autres créatures, et de l’absorption de la force vitale des autres vivants ») qui s’avère consubstantielle de l’idée de civilisation.
Baptiste Lanaspeze qualifie ce mode de gouvernance occidentale de « nécropolitique », en s’inspirant de la biopolitique foucaldienne. L’Occident semble mener une guerre contre le vivant, et donc contre sa propre personne y compris. Toutefois, en se référant à l’hypothèse Gaïa – développée par Lovelock et Margulis et réactualisée dans le monde francophone par Bruno Latour – l’auteur considère que les composantes de la nature mènent une guerre insurrectionnelle contre le néo-colon, à l’instar des peuples autochtones contre les colons. Cinq siècles à subir cette nécropolitique dans la chair et dans l’âme, cinq siècles de lutte contre une civilisation malade et administratrice de la mort, cinq siècles d’espoir qui doivent ériger en modèle ces garants de notre humanité.
En s’intéressant enfin à l’œuvre colossale de Carl Gustav Jung, l’auteur considère que la guérison de nos sociétés malades passera par une reconsidération de notre âme et des relations qu’elle nous permet de tisser avec les humains et les non-humains qui composent notre cosmos. La nature n’est pas qu’une matière inerte, elle détient également une âme : telle est la rupture épistémologique à laquelle nous invite Lanaspeze ; une véritable révolution de l’idée occidentale de la nature, le grand chantier des pensées de l’écologie.
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