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Les terres rares, un enjeu de dépendance pour la transition écologique

Publié le 12 septembre 2024

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Décryptage - N°49

Le développement des nouvelles technologies, et notamment des “technologies vertes”, a pour effet direct l’exploitation des terres rares. La Chine possède aujourd’hui la majorité des terres rares connues et domine très largement leur exploitation à l’échelle mondiale. Ce décryptage dresse un état des lieux de l’enjeu réel des terres rares au sein de la transition écologique, du pouvoir que ces métaux procurent à la Chine sur la scène internationale et les possibilités pour la France de jouer un rôle dans ce domaine.
 
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Introduction

La nécessité d’une transition écologique durable incluant de nombreux changements structurels et conjoncturels pour parvenir aux objectifs fixés par l’Accord de Paris de 2015 n’est aujourd’hui plus mise en question, même si ses modalités restent largement à définir. La transition énergétique implique le développement de l’usage des terres rares, indispensables au développement des énergies renouvelables.
Ces métaux se retrouvent ainsi au centre de ce que certains appellent « la guerre des terres rares »[1], dans laquelle la Chine joue un rôle particulier compte tenu de ses ressources. L’acquisition de terres rares est devenue un réel outil de soft power pour les Chinois, lorsqu’il s’agit de se présenter comme la principale puissance mondiale « verte ».
 

I - Des terres rares pas si rares que ça au cœur d’une bataille mondiale

A. Des minéraux présents partout dans le monde mais très convoités

Le mot « terre » dans terres rares signifie en fait « minerai » selon le terme français utilisé au XIXème siècle dans les échanges internationaux[2]. Les terres rares ne sont pas rares en termes de gisements, il en existe partout dans le monde, mais leur extraction est très complexe. Cette appellation provient de leur très faible concentration dans les gisements lors de l’extraction.
Qu’est-ce que les terres rares ?
Les terres rares constituent un ensemble de seize éléments chimiques avec quatorze lanthanides auxquels s’ajoutent l’yttrium et le scandium qui ont des propriétés similaires. Il existe, en théorie, un quinzième lanthanide, mais celui-ci n’est pas stable dans des conditions naturelles et n’est pas toujours compté dans la dénomination de terres rares. La particularité de ces éléments réside dans leur composé chimique, c’est-à-dire que leurs couches externes d’électrons sont identiques, leur conférant des propriétés chimiques proches, mais avec à chaque fois un électron supplémentaire dans la couche profonde des électrons, les rendant uniques et très difficilement substituables. Cette catégorie de métaux est subdivisible en deux sous parties :  les terres rares légères qui vont du lanthane au praséodyme et qui sont aussi appelées « terres cériques », -ce sont les plus nombreuses, et les terres rares lourdes qui vont du samarium au lutécium, aussi appelées « terres yttriques »[3].
Les réserves mondiales de ces minerais sont estimées à 88 millions de tonnes par l’US Geological Survey. Aujourd’hui, selon l’état des connaissances sur les réserves mondiales, la Chine en possèderait 36 %, la Russie 19 %, les États-Unis 13 %, l’Australie 5 %, l’Inde 3 %[4] et l’Europe moins de 1 %. Les réserves mondiales en oxyde de terres rares, sous forme non raffinée mais extraite du minerai, sont estimées à 120 millions de tonnes. Chacune des terres rares, utilisées dans l’industrie, n’existe pas sous une forme pure à l’état naturel. Après extraction des minerais, le processus de purification fait intervenir un certain nombre de traitements physiques et chimiques.
Avec l’émergence des nouvelles technologies, notamment vertes, toujours plus performantes et innovantes, les terres rares sont présentes partout, que cela soit dans les objets du quotidien tels que les téléphones portables, les écrans d’ordinateurs, mais également le matériel militaire, le raffinage du pétrole, etc. L’industrie numérique par exemple, utilise un cinquième de la production de ces minerais qui sont considérés comme les « vitamines » indispensables au développement des nouvelles technologies[5].
Ces métaux sont principalement utilisés pour leur propriété magnétique permettant la fabrication d’aimants (par exemple les moteurs des voitures électriques). En 2018, il était estimé qu’environ 20 % de la production mondiale était utilisée à cet effet.
Les batteries constituent la deuxième source d’utilisation, avec notamment la montée en flèche de la production des véhicules électriques. Les terres rares sont présentes dans les batteries de véhicules électriques à travers les aimants qu’elles contiennent mais également dans les véhicules hybrides.
Ces métaux sont aussi présents dans l’industrie pétrolière du raffinage[6]. Il est également important de mentionner l’enjeu militaire, car les terres rares sont aussi indispensables à la fabrication d’armes sophistiquées. L’enjeu de défense nationale est donc lui aussi à prendre en compte. Ces minerais sont dits « stratégiques » c’est-à-dire essentiels à la politique économique d’un État, avec des enjeux géopolitiques et géostratégiques[7].

 

B. Des métaux indispensables mais sous tension

Depuis quelques années, certains États souhaitent devenir des modèles à suivre, des pionniers en matière de transition écologique. Les terres rares sont ainsi au centre d’une guerre d’influence entre États. Celui qui en possèdera le plus, fabriquera davantage de technologies vertes, pourra atteindre plus rapidement les objectifs de neutralité carbone et occupera une place de choix sur le marché mondial.
Une véritable diplomatie des terres rares s’est développée. Certains pays faiblement dotés ont commencé à nouer des partenariats avec des États en possédant davantage au travers d’accords et d’échanges de matières, entre autres. Consciente des enjeux autour de ces minerais depuis les années 1990, la Chine, a mis en place des politiques très ambitieuses, d’autant plus qu’elle possède sur son sol les réserves mondiales les plus importantes.
Mais posséder des minerais rares ne suffit pas, il faut également savoir les raffiner. La Chine s’y est efforcée depuis de nombreuses années, afin d’avoir un contrôle total sur sa production et son exploitation. Aujourd’hui, ce pays est le premier producteur mondial avec notamment l’important développement de son marché des « green tech ». En 2011, elle contrôlait déjà plus de 97 % de la production mondiale de terres rares tout en abritant 50 % des réserves terrestres connues. En 2020, 70 % des 140 000 tonnes commercialisées de minerai incluant les terres rares proviennent du territoire chinois[8]. Cette omniprésence a permis à la Chine d’établir un quasi-monopole en développant la production de métaux, mais aussi une stratégie avec des mesures de restrictions d’exportation comme moyen de pression. Ainsi en 2000, un système de quotas a été mis en place pour réguler ses exportations, la plaçant en position de force sur ce marché.
Pékin n’a pas été le seul à prendre conscience de l’importance de ces minerais. Les États-Unis, qui avaient fermé la production de terres rares sur leur territoire, ont de leur côté recommencé à en produire. Les pays émergents tels que le Brésil ou l’Inde, procèdent désormais à leur raffinage sur place plutôt que d’exporter ces métaux présents sur leur territoire en tant que matière première[9]. Beaucoup d’États souhaitent prendre place sur ce marché, notamment pour en exporter vers les pays avec une forte demande. Mais la Chine reste de loin la première productrice et exportatrice de ces métaux stratégiques.

II - De nouvelles initiatives sur un marché dominé par la puissance chinoise

A. Une stratégie chinoise défiant toute concurrence

Si la Chine est aujourd’hui première productrice de terres rares, cela n’a pas toujours été le cas. C’est grâce à une stratégie cohérente qu’elle a obtenu et conservé cette position. Initialement, ce sont l’Europe, l’Inde et le Brésil qui ont commencé à exploiter ces minéraux. Puis les États-Unis se sont imposés pour extraire le minerai et le raffiner, notamment à travers la grande mine de bastnaésite[10] en Californie dénommée Mountain Pass. Cette mine a dominé la production mondiale avec 20 000 tonnes produites par an au début des années quatre-vingt.
Mais elle a ensuite cessé de fonctionner au début des années 2000, car le marché était devenu défavorable à la rentabilité de la mine et la société en charge de cette dernière était incapable de financer les investissements nécessaires au respect des mesures environnementales édictées par le gouvernement californien. La Chine y a vu une occasion, en ayant déjà conscience de l’importance de ces métaux. Dès 1992, Den Xiaoping avait déclaré que « les terres rares sont à la Chine ce que le pétrole est au Moyen-Orient »[11]. Durant les années 80, la Chine a investi et racheté de nombreuses sociétés américaines pour maîtriser les technologies de raffinage de ces métaux, et une fois fermées, la Chine a pu sans obstacle s’imposer sur ce marché.
Pour arriver à ce niveau, la Chine a procédé à la stratégie des 4R (Reduce, Reuse, Recycle, Recover the Waste) Elle a ainsi pu créer dans un premier temps un monopole avec des prix avantageux et la mise en place de quotas réservés aux acteurs implantés en Chine, favorisant un oligopole de production domestique. C’est surtout grâce aux transferts de technologies et à une guerre des prix, que la Chine est parvenue à s’imposer[12]. Pékin utilise à la fois le dumping économique avec des coûts de production réduits accompagné d’un dumping écologique, les conséquences environnementales n’étant pas intégrées dans les coûts de production. Le pays attire ainsi les grandes entreprises étrangères à fortes compétences technologiques.
Cette position lui permet d’avoir une forte incidence sur les prix de ces métaux établis par des négociations directes de contrats entre la production primaire et les transformateurs ou les utilisateurs par l’intermédiaire de négociants. En complément, la Chine possède la plus grande mine d’exploitation de terres rares au monde, Inner Mongolia Baotou Steel Rare Earth Hi-Tech Co du groupe Baotou Iron and Steel devenu China Northern Rare Earth Group, qui exploite les gisements de fer de Bayan Oho en Mongolie-Intérieure. Cette mine située à Baotou représente 40 % des réserves mondiales de terres rares[13]. Grâce à cette position dominante, le pays souhaite développer ses nouvelles routes de la soie, un projet qui permettrait à la Chine de consolider son rôle de premier exportateur au monde[14].
Pékin ne se contente pas de produire ces minerais rares, il continue de développer de nouvelles initiatives. En décembre 2021 par exemple, a été créée la China Rare Earth Group Co Ltd, la plus grande initiative de ce genre au monde, un conglomérat des principaux producteurs industriels, représentant 62 % des approvisionnements nationaux en terres rares lourdes. En janvier 2022, la Chine a lancé un programme d’observation géologique par satellite orienté vers la prospection minière, à la recherche de nouvelles ressources de terres rares à l’échelle mondiale. La Chine s’intéresse aussi à des pays tels que le Vietnam, le Canada, l’Afghanistan et surtout les pays d’Afrique qui possèdent aussi beaucoup de ces métaux. Il s’agit de prendre position dans la production de pays possédant ces ressources pour éviter qu’ils ne deviennent des concurrents, l’objectif restant le contrôle total de ces métaux[15]. Cette omniprésence chinoise à tous les niveaux inquiète fortement les autres puissances, qui souhaitent inverser cette tendance.

 

B. Une inquiétude grandissante conduisant à l’élaboration de nouvelles initiatives

Le Japon a fait l’expérience de la stratégie chinoise en 2010. En effet, à la suite de tensions autour des zones de pêches chinoise et japonaise, la Chine avait immédiatement suspendu toutes ses exportations de métaux rares, puis menacé d’un embargo.
Elle a également fait pression sur le marché des terres rares en menaçant de réduire ses exportations pour tous les pays, ce qui aurait engendré une multiplication par quatre des prix.
Les États-Unis voient d’un très mauvais œil le quasi-monopole chinois qui fait de la Chine un leader des technologies vertes, alors qu’ils étaient les premiers dans ce secteur dans les années 80. Les Américains ont donc rouvert en 2017 la mine de Mountain Pass, seule mine spécialisée dans les terres rares qui, en 2020, fournissait 15,8% de la production mondiale de terres rares depuis sa réouverture. En 2022, le département de la Défense américain a décidé de financer à hauteur de 120 millions de dollars la construction aux Etats-Unis d’une usine de séparation de terres rares[16]. Enfin, en janvier de la même année, le Sénat a déposé un projet de loi recommandant la création d’une réserve stratégique de terres rares d’ici à 2025 afin de réduire la dépendance à la Chine[17].
L’Union européenne voit aussi dans ce quasi-monopole un réel danger de dépendance qu’elle souhaite éviter. L’UE consomme 10 % des terres rares produites dans le monde et l’un des principaux enjeux au-delà de l’exploitation des gisements est de trouver la maîtrise de la transformation de ces minerais durant la séparation et le raffinage. Il existe des endroits dans l’UE et plus largement en Europe où les terres rares sont présentes, néanmoins aucune mine n’est aujourd’hui active. La prise de conscience de l’hégémonie de la Chine dans la production minière a conduit à l’initiative européenne pour les matières premières en 2008, réalisant que l’UE importait à cette époque déjà 95 % des terres rares utilisées depuis la Chine. D’autres projets et investissements ont été menés au fil des années et ont permis d’améliorer la connaissance du potentiel des terres rares dans l’UE[18].
Malgré les meilleures prévisions et initiatives européennes, il n’est pas sûr que l’UE ait la capacité de produire 30 % des besoins européens d’ici à 2030 et le risque de pénurie est réel. Un des principaux obstacles est la viabilité économique des exploitations. Il existe très peu d’études économiques sur les gisements les plus prometteurs et la possibilité de les comparer avec d’autres dans le monde. Peu d’entreprises européennes veulent prendre le risque d’investir dans ces exploitations, car les financements sont trop conséquents et constituent donc un frein majeur. L’enjeu pour l’UE est aussi de trouver une main d’œuvre qualifiée sans pour autant faire venir trop de personnel extérieur, notamment chinois.
En dehors de l’UE, d’autres États tentent de créer leur propre production de ces métaux rares, comme la Russie avec la Solikasmsk Magnesium Works qui exploite la mine de Karnasurt ou le Brésil qui développe ses stocks de monazite. Mais le leadership chinois est loin d’être menacé, dès lors que, pour certains métaux, la demande augmente de 25 % par an.
 

C. Une place de leader qui coûte cher à la Chine

Les conséquences environnementales en Chine sont désastreuses et des villages entiers sont abandonnés à cause des mines présentes partout sur le territoire chinois. L’exploitation des métaux crée énormément de résidus qui contaminent les sols sur des surfaces importantes. À côté de la plus grosse mine de terres rares au monde à Baotou, située en Mongolie-Intérieure, les Chinois ont construit d’immenses industries qui produisent des rejets sauvages des eaux usées. Ces eaux contaminées s’infiltrent ensuite dans les sols et les nappes phréatiques, entraînant de nombreuses maladies pour les habitants environnants. L’eau potable est, elle aussi, extrêmement contaminée et les gaz à effet de serre émis par l’extraction de ces minéraux sont en constante augmentation.
Beaucoup de pays ont arrêté l’extraction ou alors l’ont sous-traitée à la Chine, mais les effets sur l’environnement sont encore visibles aujourd’hui, malgré un arrêt de la production cinquante ans auparavant. Les coûts de production à bas prix incitent les entreprises du monde entier à délocaliser ou sous-traiter l’extraction des métaux rares en Chine, augmentant considérablement les émissions nationales. L’extraction et la séparation des métaux rares nécessitent des procédés hydro-métallurgiques et le recours répété à des traitements en cascade par des solutions acides pour séparer les minerais. Ces traitements génèrent des boues toxiques qui se déversent dans la nature.
Les habitants de Baotou par exemple, ont été contraints de quitter leur domicile, au point qu’on évoque désormais des « réfugiés des technologies vertes ». La ville de Dalahai environnante à la mine de Baotou a même été surnommée « la ville des cancers ». En plus des habitants des villages environnants touchés par cette activité, les milliers de travailleurs des mines sont les premières victimes directes. Les règlements concernant les conditions de travail dans des mines de métaux rares ne sont pas vraiment respectées, les travailleurs n’ont pas toujours les protections nécessaires et sont exposés durant de longues heures.
Un dernier problème est celui des déchets non recyclés. Le recyclage est trop peu rentable, par conséquent, les techniques de recyclage sont encore trop peu développées. Certains industriels ont cherché à recycler des métaux tels que le cuivre, l’or ou l’argent, mais les terres rares ne sont pas concernées. Le Japon estime qu’il serait possible de retrouver 300 000 tonnes de métaux rares dans les 200 millions de téléphones usagés.
Selon la Convention de Bâle[19], les déchets électroniques doivent être traités dans le pays où ils ont été collectés, mais les États-Unis notamment, n’ont pas signé ce texte et envoient leurs déchets en Asie et principalement en Chine. L’Europe fait de même[20].
La population chinoise paye donc un lourd tribut pour rester la principale puissance productive et exportatrice de terres rares au monde. A long terme, les conséquences environnementales de cette position seront irréversibles, le pays ne souhaitant pas interrompre cette cadence effrénée et souhaitant même l’accroître dans les années à venir. Certains affirment que « le peuple chinois a sacrifié son environnement pour nourrir la planète entière de terres rares »[21].

III - Les initiatives de notre pays pour réduire sa dépendance

A. De multiples efforts dans ce sens

Si l’Union européenne tente de mettre en œuvre différentes stratégies afin d’importer moins de terres rares de Chine, la France s’efforce également de mener une stratégie d’indépendance propre. Dès 2010 en France, à la suite des différends entre le Japon et la Chine, le gouvernement de l’époque décide de mettre en place un plan d’action nommé « métaux stratégiques » conduisant l’année suivante à la création de la COMES[22].
La France possédait aussi une firme spécialisée dans les métaux rares, Rhône-Poulenc, créée en 1928, qui était l’un des deux anciens leaders mondiaux de la transformation de ces minerais. Néanmoins, en 2011, l’entreprise a délocalisé sa production située à La Rochelle en Chine, entraînant par la suite un rachat, révélant la difficulté de faire face au géant chinois. Mais notre pays a continué de développer sa politique en faveur des terres rares et a créé en 2011 le laboratoire d’Excellence Ressource 21, un projet stratégique, pour lequel la France a investi 13 millions de dollars pour développer les approches structurantes autour du cycle de vie des métaux stratégiques. Ce projet vise aussi à mieux comprendre le cycle géochimique des terres rares.
Les années suivantes, différents programmes d’investissements ont été mis en place pour tenter de développer le plus possible la recherche et la production autour de ces métaux rares. En mars 2021, la ministre des Armées expose dans un de ses discours son inquiétude vis-à-vis de la dépendance de la France face à la Chine dans le domaine militaire. Pour consolider cette stratégie, les ministres de la transition écologique et la déléguée chargée de l’industrie ont annoncé l’ouverture d’appel à projet opéré par Bpifrance dans le cadre du plan d’investissement France 2030 ciblé sur les métaux critiques à destination des filières industrielles. L’une des recommandations principales est la création d’un observatoire des métaux critiques confié au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).
Ce plan d’investissement préconise la création d’un fonds d’investissement public/privé dans les métaux stratégiques avec pour objectif de sécuriser l’approvisionnement des usines de production de batteries, d’environ 1 milliard d’euros. Il recommande le développement de deux plateformes industrielles, l’une à Dunkerque pour regrouper les acteurs de la filière batteries électriques, l’autre à Lacq pour celle des aimants permanents, le raffinage, la fabrication des précurseurs des batteries, la formation, le recyclage, etc.
En 2021, la start-up française MagREEsource met au point un procédé breveté de frittage d’anciens aimants pour en extraire les terres rares qui vont ensuite être réduites en poudre par l’hydrogénation. Cette méthode est considérée comme bien moins polluante que celle utilisée en Chine. La société prévoit de lever des fonds de 3,5 millions de dollars afin d’entrer dans la phase d’industrialisation avec la création d’une ligne pilote.
Il y a là un enjeu de souveraineté pour la France qui souhaite, elle aussi, développer de nouvelles techniques d’extraction de terres rares en prenant en compte les conséquences environnementales, ce que la Chine ne fait pas jusqu’à ce jour.
 

B. Un partenariat avec le continent africain ?

Le continent africain possède de nombreuses ressources. Les terres rares n’y font pas exception, rendant cette région stratégiquement très attractive. La Chine y est depuis longtemps bien implantée, elle y est même le principal fournisseur en terres rares . Elle finance également beaucoup de projets d’infrastructures et, en échange, les pays africains lui cèdent les métaux rares. La Chine est aussi le premier bailleur de fonds et créancier de certains pays tels que le Cameroun qui possède beaucoup de métaux précieux[23].
La France développe de son côté des projets de partenariat. Celui de l’entreprise Eramet, le développement du projet Mabounié au Gabon, n’a cependant pas abouti. Cette entreprise est aussi présente au Sénégal et la France souhaite se tourner aussi vers le Maroc et l’Algérie qui possèdent des ressources en terres rares. La France souhaite se distinguer en imposant notamment un pourcentage de traitement dans le pays d’origine qui leur fournirait les terres rares, ce que ne fait pas la Chine. Notre pays, et d’une manière plus générale, l’Union européenne aspire à s’orienter vers un approvisionnement durable de ces minéraux présents dans cette région, en permettant aux pays africains de conserver et d’exploiter leurs droits souverains permanents sur les ressources naturelles et de responsabilité environnementale.
Sur le continent africain, la lutte d’influence inclut d’autres pays comme les États-Unis. Les visites institutionnelles se sont multipliées pour approfondir la conclusion d’accords commerciaux et économiques. D’autres pays tentent aussi de s’implanter en Afrique, comme au Malawi, où la société canadienne Mkango Resources prévoyait de démarrer l’exploitation d’une mine à Songwe Hill en 2020. D’autres compagnies, comme Britannique Altona Energy, l’Australien Globe Metals & Mining et Lynas Corporation ou encore l’Indian Resources, sont présentes sur des projets d’exploration. La compagnie minière Namibia Critical Metals a signé un accord de partenariat avec la Japan Oil Gaz and Metals National Corporation (Jogmec) pour le développement du projet de terres rares Lofdal.
 

C. Une trajectoire à rendre compatible avec la nécessaire sobriété

Un des principaux projets que la France souhaite mener à bien pour faire face à la concurrence chinoise est la relocalisation minière. Durant la période gaullienne, la France a commencé à développer une politique minière, car même si elles sont présentes en petite quantité comparée à la Chine, il existe des terres rares sur le territoire français, dans le Massif armoricain en Bretagne ou en Polynésie française par exemple[24]. Mais la rentabilité des investissements n’était pas assurée et ces tentatives n’ont pas débouché sur une stratégie organisée.
La donne a changé et aujourd’hui, avec le développement grandissant des « green tech », la réouverture des mines apparaît comme une solution à ce problème de dépendance. Certains emploient même la notion de « géant minier en sommeil », traduisant le potentiel du sol français[25], d’autant plus avec un territoire très large en dehors de l’Hexagone. Se pose également un défi d’action publique avec des investissements manquants et hétérogènes[26].
Le principal problème reste d’ordre environnemental, car la réouverture des mines implique une pollution accrue des sols. Certaines technologies permettent de réduire l’impact environnemental, mais non de les faire disparaître. Malgré ces contraintes, le plan France Relance 2030 a prévu l’allocation d’un fond pour rouvrir des mines dans l’ouest du pays. Dans ce contexte, il est important de réfléchir aux conséquences environnementales que cela impliquerait et de penser une nouvelle façon de disposer de terres rares, comme le développement du recyclage ou la réduction de l’utilisation de ces métaux.
Ainsi, même si la France voit en la réouverture des mines un moyen de réduire sa dépendance face à la Chine, elle se tourne également vers d’autres leviers tels que le recyclage des terres rares. En effet, en 2021, la Direction Générale des Entreprises (DGE) du Ministère de l’Économie et des Finances a mené une étude qui a identifié les trois principales sources de recyclage d’aimants permanents Nd-Fe-B contenant des terres rares en France. Ces sources sont les véhicules électriques et hybrides, les éoliennes offshores, ainsi que les déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE).
Prenons l’exemple des véhicules hors d’usage (VHU) : actuellement, les aimants permanents qu’ils contiennent ne peuvent pas être récupérés par recyclage, car les centres de broyage ne sont pas équipés pour les extraire. Les aimants sont donc soit endommagés lors du broyage, soit mélangés à d’autres matériaux. La France compte actuellement 47 centres de broyage, dont 27 appartiennent à seulement trois groupes industriels (Derichebourg, Galoo et Ecore). Ces acteurs traitent 70 % des carcasses de VHU en France, représentant ainsi un levier d’action important. Un des projets les plus avancés en matière de recyclage en France est celui de la société Carester. Un démonstrateur industriel, nommé CAREMAG, devrait être implanté à Lacq d’ici 2024 (comme évoqué précédemment). Basé sur le modèle de la boucle longue, ce projet vise à traiter 1 000 tonnes d’aimants Nd-Fe-B en fin de vie par an, de tous types, pour produire des oxydes de terres rares. À terme, le principal marché visé est celui de l’automobile[27].
La France multiplie donc les actions pour se détacher de sa dépendance concernant les terres rares. Il faut cependant ne pas sous-estimer les lourdes conséquences environnementales que supposerait le développement de certains projets, bien que la France souhaite également miser sur le développement de la filière du recyclage.

Conclusion

La volonté d’accélérer la transition écologique créée des tensions autour de certaines ressources, dont les terres rares, et une véritable guerre d’influence. De nombreux États se disputent ces minéraux. La Chine, par ses réserves naturelles et les différentes stratégies politiques et économiques mises en place de longue date, a placé les autres puissances dans une position de dépendance. Mais les États-Unis, l’Europe et la France, tentent de rétablir un certain équilibre.
Avec le développement des batteries des véhicules électriques, la demande de terres rares serait multipliée par 10 d’ici à 2050[28]. Ces minerais vont donc devenir des éléments encore plus essentiels qu’ils ne le sont aujourd’hui. Or la production intensive de nouvelles technologies, bien qu’elles soient bien moins émettrices de gaz à effet de serre dans leur utilisation, pourrait générer d’autres types de pollution.
Le modèle de transition actuel révèle donc certains paradoxes. Certaines analyses vont même plus loin en évoquant le « greenwashing » et en affirmant que « nous sommes dans une mauvaise transition » basée non pas sur la sobriété, mais sur la production de nouvelles technologies dites vertes[29]. La transition n’est qu’à ses débuts et la demande de terres rares ne va pas diminuer, bien au contraire. Ce processus a créé une sorte de nouvelle dépendance qui va s’intensifier, créant ainsi un danger de pénurie, car au rythme actuel, les besoins seront trois fois supérieurs à ceux d’aujourd’hui et dans vingt ans, certains métaux pourraient même disparaître. Désormais c’est vers l’espace que certains pays se tournent [30], pour assouvir les besoins en terres rares. Jusqu’où l’homme est-il prêt à aller pour parvenir à cette « transition écologique » ?

Notes de bas de page

[1] « La sale guerre des terres rares », titre du documentaire réalisé par Guillaume Pitron en 2012
[2] Munier, Jean-Charles, « Le glaive chinois », Revue Projet, vol. 393, no. 2, 2023, pp. 72-75.
[3] Butstraen Emmanuel, Clamadieu Jean-Pierre, « Les terres rares, des matières premières minérales stratégiques », Annales des Mines – Responsabilité et environnement, vol. 58, no. 2, 2010, pp. 92-98.
[4] Ngom, Abdoulaye, « Les terres rares d’Afrique, un potentiel recours pour l’Union européenne dans le respect du droit international », Revue internationale de droit économique, vol. xxxvi, no. 1, 2022, pp. 5-27.
[5] Fontanel Jacques, « Les terres rares, au cœur des conflits économico-politiques de demain », HAL, 2021.
[6] Butstraen Emmanuel, Clamadieu Jean-Pierre, « Les terres rares, des matières premières minérales stratégiques », Annales des Mines – Responsabilité et environnement, vol. 58, no. 2, 2010, pp. 92-98.
[7] « Les métaux stratégiques, qu’est-ce que c’est ? », GEO, 2014, Les métaux stratégiques, qu’est-ce que c’est ? – Geo.fr
[8] Munier, Jean-Charles, « Le glaive chinois », Revue Projet, vol. 393, no. 2, 2023, pp. 72-75.
[9] Labbé Jean-François, Lefebvre Gaétan, « Panorama du marché des Terres Rares », Séminaire du COMES, 15 juin 2016.
[10] La bastnaésite est un minéral appartenant à la catégorie des carbonates, et se caractérise par sa richesse en terres rares. Ces éléments chimiques sont utilisés dans diverses industries, notamment l’électronique et les énergies renouvelables.
[11] Ngom, Abdoulaye, « Les terres rares d’Afrique, un potentiel recours pour l’Union européenne dans le respect du droit international », Revue internationale de droit économique, vol. xxxvi, no. 1, 2022, pp. 5-27.
[12] Ruet, Joël. « Quand la Chine structure le nouvel écosystème mondial des technologies vertes », Le journal de l’école de Paris du management, vol. 141, no. 1, 2020, pp. 15-21.
[13] Fontanel Jacques, « Les terres rares, au cœur des conflits économico-politiques de demain », HAL, 2021.
[14] Labbé Jean-François, Lefebvre Gaétan, « Panorama du marché des Terres Rares », Séminaire du COMES, 15 juin 2016.
[15] Damiano Jean-Pierre, « Matières premières, métaux critiques, terres rares : contexte international et enjeux », HAL Science, 2022.
[16] Goetz Étienne, « Le Pentagone sécurise le raffinage de terres rares sur le sol américain », Les Echos, 2022, https://lc.cx/bNRtxq
[17] Damiano Jean-Pierre, « Matières premières, métaux critiques, terres rares : contexte international et enjeux », HAL Science, 2022.
[18] « Ressource en terres rares de l’Europe et du Groenland : un potentiel minier remarquable mais tabou ? », HAL Science, 2021.
[19] Traité international qui a été conçu afin de réduire la circulation des déchets dangereux entre les pays. Il s’agissait plus particulièrement d’éviter le transfert de déchets dangereux des pays développés vers les pays en développement (PED).
[20] Fontanel Jacques, « Les terres rares, au cœur des conflits économico-politiques de demain », HAL, 2021.
[21] Déclaration de la responsable du développement de Frontier Rare Earths dans « la sale guerre des terres rares », de Guillaume Pitron sortie en 2022.
[22] Comité pour les métaux stratégiques chargé de conseiller le ministre de l’écologie et du développement durable dans l’élaboration et la mise en œuvre d’une politique des métaux stratégiques.
[23] Bat, Jean-Pierre. « L’Afrique centrale : le nouveau « Grand Jeu » », Hérodote, vol. 179, no. 4, 2020, pp. 91-107.
[24]  « Ressource en terres rares de l’Europe et du Groenland : un potentiel minier remarquable mais tabou ? », HAL Science, 2021.
[25] Pitron Guillaume, « La guerre des métaux rares, la face cachée de la transition énergétique et numérique », Éditions les liens qui libèrent, 2018, pp. 231-248.
[26] Gallé Jennifer, « Pourquoi la réouverture des mines en France constitue un triple défi », The Conversation, mai 2023
[27] MineralInfo, « Le marché des terres rares en 2022 : filières d’approvisionnement en aimants permanents », MineralInfo, BRGM, 2021 https://www.mineralinfo.fr/fr/ecomine/marche-des-terres-rares-2022-filieres-dapprovisionnement-aimants-permanents
[28] Damiano Jean-Pierre, « Matières premières, métaux critiques, terres rares : contexte international et enjeu », HAL Science, 2022.
[29] Pitron Guillaume, « La guerre des métaux rares, la face cachée de la transition énergétique et numérique », Éditions les liens qui libèrent, 2018, pp. 231-248.
[30] Steyn Elizabeth, « L’exploitation minière dans l’espace n’est pas de la science-fiction, et le Canada pourrait y occuper une place de choix », The Conversation, 2021

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Biodiversité

Climat

Politique Société

Santé environnementale

La sensibilité à la nature, levier de transformation écologique et sociale

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Décryptage - N°50 - Publié le 1 octobre 2024

Synthèse

Les humains se sont peu à peu éloignés de la nature perdant à la fois leur contact avec elle et la connaissance qu’ils en avaient. Les chiffres montrent en effet que cette déconnexion avec notre environnement ne fait que s’aggraver de génération en génération, mais augmente également chez les familles les plus précaires. La nature s’éloignant de notre réalité, elle disparaît aussi peu à peu de nos imaginaires. Cependant, une volonté de renouer avec la nature permettrait non seulement au grand public peu sensible aux données scientifiques de se sentir davantage concerné par la crise écologique, mais aussi d'améliorer notre bien-être individuel.

Biodiversité

Climat

Consommation

Économie, Finances

Énergie

Politique Société

Le design territorial : une méthode pour faciliter les transformations liées aux enjeux écologiques en impliquant tous les acteurs locaux

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Article publié - Publié le 19 septembre 2024

Synthèse

A l'occasion de l'événement du 26 septembre 2024 à Rennes "Faire l'écologie des territoires", co-organisé avec l'Eclozr, La Fabrique Ecologique  présente la méthode du Design territorial ou design de territoire. Emmanuel Thouan explique ici les étapes de cet outil facilitant la mise en place de projets territoriaux avec les acteurs concernés et une approche systémique, face aux enjeux collectifs de la transition écologique. Cette méthode sera présentée lors de l'évènement, ainsi que des exemples de projets sur des territoires.