Énergie

Les énergies renouvelables et le réseau électrique : un mariage de raison

Publié le 29 mars 2019

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Décryptage - N°19

Après la 2ème Guerre Mondiale, la France a opté pour un modèle centralisé de l’énergie fondé sur les ressources dites fossiles et pilotables (gaz ou nucléaire) assurant ainsi une égalité d’accès et le bon fonctionnement du réseau. Les ressources fossiles représentent aujourd’hui 70 % de la consommation d’énergie primaire de la France12. Leur raréfaction, leur conséquence sur la planète et les enjeux géopolitiques qu’elles recouvrent nous obligent à réfléchir à un nouveau modèle fondé sur les énergies renouvelables plus décentralisées et plus durables.
Le développement de ce nouveau modèle par nature local va venir bouleverser le fonctionnement de notre réseau électrique historiquement centralisé mais aussi la place occupée par le distributeur, le producteur et le consommateur. Ce décryptage analyse les impacts des énergies renouvelables sur le réseau et les contours de sa nécessaire adaptation.
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Un réseau centralisé pour des énergies décentralisées

 
Le réseau électrique par nature complexe et centralisé doit faire face à l’évolution du paysage énergétique et en particulier à l’augmentation des énergies renouvelables décentralisées.
 

Un réseau électrique au fonctionnement déjà complexe

Le système électrique repose sur trois piliers : la production, la consommation et le réseau qui assure l’acheminement de l’électricité des lieux de production vers les lieux de consommation. Le système est dimensionné de manière à avoir une adéquation entre ces différentes composantes. En particulier, le réseau électrique est conçu de manière à ce que les lignes électriques soient capables d’alimenter la totalité de la consommation et d’évacuer la totalité de la production à tout instant. Sa gestion est faite de manière à minimiser les coûts tout en respectant les contraintes qui peuvent peser sur le réseau3.  En effet, la quantité d’électricité injectée sur le réseau doit être égale à tout moment à la quantité soutirée pour assurer le bon fonctionnement du réseau et la bonne qualité de l’électricité. L’imprévisibilité de la quantité d’électricité produite peut donc constituer un vrai défi pour les gestionnaires du réseau.
Il est, par ailleurs, nécessaire de noter que la capacité des lignes électriques est fixe et qu’il n’est pas possible de dépasser la capacité maximale de transit. De ce fait, la quantité d’électricité produite dans une zone ne peut pas dépasser la capacité maximale des lignes électriques liées à cette zone sous peine de générer ce qu’on appelle des contraintes d’évacuation. De la même manière, la quantité d’électricité soutirée dans une zone ne peut pas dépasser la capacité des lignes électriques liées à cette zone sous peine de générer cette fois ci des contraintes d’alimentation.
Enfin, il y a des pertes par effet Joule sur le réseau4. Plus la distance parcourue est grande, plus il y a de pertes d’électricité. C’est pour minimiser les pertes que le réseau reliant les zones très éloignées transporte l’électricité sous des niveaux de tension élevés.
Cette complexité de notre réseau électrique centralisée va être accentuée par le développement des énergies renouvelables décentralisées.

 

 Le réseau centralisé à l’épreuve des énergies renouvelables décentralisées

Les énergies renouvelables se développent partout dans nos territoires en France mais aussi dans le monde entier. Elles représentent aujourd’hui environ 18 % de notre production d’électricité5. Avec la loi de transition énergétique pour la croissance verte, la France s’est fixé comme objectif de porter la part des énergies renouvelables à 32 % de la consommation énergétique finale d’énergie et à 40 % de la production d’électricité à l’horizon 2030. Au niveau de l’Union européenne, l’engagement a été pris par l’ensemble des Etats membres de porter la part des énergies renouvelables à au moins 27 % de la consommation d’énergie de l’Union d’ici à 2030. L’enjeu essentiel pour notre réseau historiquement centralisé est d’accueillir ces énergies décentralisées tout en maintenant l’équilibre du réseau. Le réseau, mais aussi le consommateur et le producteur vont devoir s’adapter sans cesse afin d’intégrer ces nouvelles énergies locales. Le citoyen passe progressivement du statut de simple consommateur au statut de « consom’acteur ». Le distributeur va, lui, devoir repenser un réseau historiquement unidirectionnel afin de le rendre bidirectionnel avec une énergie qui va désormais du producteur au consommateur mais aussi du « consom’acteur » à d’autres consommateurs.
Contrairement à ce que pourrait laisser penser leur caractère local, les énergies renouvelables ne signifient en aucun cas la fin du réseau qui demeure un élément important de notre modèle énergétique même décentralisé.

Le réseau comme élément essentiel au développement des énergies renouvelables

Le réseau demeure, en effet, nécessaire pour pallier l’intermittence mais aussi l’éparpillement forcé des énergies renouvelables.

L’intermittence des énergies renouvelables et l’obligation de recourir au réseau

Alors même que la consommation d’énergie varie faiblement d’une année sur l’autre, les énergies renouvelables sont, elles, dites intermittentes c’est-à-dire dépendantes des conditions météorologiques. Cette intermittence implique le recours au réseau pour éviter les déséquilibres entre l’offre/demande d’électricité qui peuvent engendrer des coupures de courant. Une production fondée uniquement sur les énergies renouvelables serait donc moins prévisible et plus fluctuante qu’une production fondée sur des énergies pilotables et activables plus rapidement. A l’inverse, notre consommation d’énergie journalière varie très faiblement d’une année sur l’autre. Le développement des énergies renouvelables rend donc plus difficile le nécessaire maintien de l’équilibre offre/demande en électricité du réseau. En Hiver, le faible temps d’ensoleillement réduit le rendement des panneaux photovoltaïques alors même que le froid engendre une hausse de la consommation d’électricité. Les faibles températures limitent également le niveau du vent donc le rendement des éoliennes comme le montre le graphique ci-dessous.
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En l’absence de solution de stockage accessible à tous, le développement des énergies renouvelables va accroître les situations de surproduction ou de sous-production. En cas de sous-production, les groupes qui produisent ralentissent et la fréquence du réseau baisse par rapport à sa valeur de référence de 50 Hz. En situation de surproduction, les groupes de production accélèrent et la fréquence augmente. Dans ces cas, le raccordement au réseau national alimenté par des réserves demeure nécessaire afin de maintenir l’équilibre du réseau. Les réserves primaires et secondaires sont activées automatiquement pour rétablir la fréquence à son niveau de référence. Dans le cas où elles sont insuffisantes pour maintenir l’équilibre du réseau, la réserve tertiaire est activée manuellement.
Au fur et à mesure que les énergies renouvelables se développent, la production d’électricité devient de moins en moins prévisible mais aussi de plus en plus éparpillée nécessitant également une évolution du réseau.

Le développement du réseau comme réponse à l’éparpillement des énergies renouvelables

Les énergies renouvelables sont notamment caractérisées par leur aspect local qui implique de créer de nouvelles lignes pour pallier leur intermittence mais aussi de les raccorder entre elles pour développer leur complémentarité. Cet éparpillement trouve sa source en tout premier lieu dans le caractère par nature local de ces énergies qui sont produites au plus près des citoyens donc étalées sur tout le territoire comme le montrent les deux cartes ci-dessous. Mais cet éparpillement des énergies renouvelables s’explique également par le manque de grande surface foncière disponible qui mène à la création de petites unités de production. Aujourd’hui, 82 % des installations d’autoconsommation solaires en France ont une puissance inférieure à 3Kw6.
Cette faible concentration des productions d’énergies renouvelables implique donc un renforcement du réseau pour relier ces unités de production aux lieux de consommation. Le développement du réseau sera également rendu nécessaire pour assurer la complémentarité entre ces différentes unités de production qui auront des rendements différents selon la période de l’année ou leur position géographique. Par exemple, en Hiver, les zones alimentées par les panneaux solaires comme le Sud-Est manqueront d’électricité et devront récupérer de l’électricité produite par les éoliennes du Nord de la France. Le réseau doit donc relier ces différentes unités éloignées entre-elles afin d’assurer leur complémentarité. Le développement de ces nouvelles lignes sera d’autant plus nécessaire que ces sites ne se situent pas au même endroit que les traditionnels lieux de production d’électricité.
Le système électrique doit, aujourd’hui, faire face à de nouveaux défis. L’augmentation de la part de la production d’électricité renouvelable diffuse et intermittente en opposition à la production centralisée représente une nouvelle situation à gérer. C’est ainsi que l’idée d’un réseau électrique intelligent peut paraître d’une grande pertinence pour améliorer le fonctionnement du système électrique.

Les nécessaires évolutions du réseau à l’aune des énergies renouvelables

Pour assurer l’équilibre offre/demande et la desserte d’une électricité de bonne qualité, le système électrique actuel repose sur une logique unidirectionnelle, de la production vers la consommation. Un réseau électrique intelligent ou smart grid repose sur une logique bidirectionnelle. En effet, un smart grid est un réseau qui se base sur des solutions intelligentes permettant d’intervenir au niveau de la production, de la consommation ou du réseau afin de minimiser les coûts pour la collectivité.
Le fonctionnement des smart grids repose sur des solutions qui assurent deux types de services : des services d’information ou d’observabilité et des services de flexibilité ou de commandabilité.
 

Les services d’observabilité ou d’information

Il s’agit des dispositifs permettant de mesurer à tout instant l’état des différents composants du système électrique pour permettre aux différents acteurs et notamment aux gestionnaires de réseau de connaître l’état du système et d’adopter les stratégies nécessaires pour un fonctionnement optimal. Parmi les différentes fonctions existantes, on peut citer l’estimation dynamique des capacités de transit ou DLR (Dynamic Line Rating).
Le DLR permet de mesurer d’une manière dynamique les capacités réelles de transit qui varient en fonction des conditions météorologiques. Cela permet de prendre en compte, par exemple, l’effet d’une augmentation de la température sur les lignes. Plus la température est élevée, plus les lignes se dilatent et plus la distance qui les sépare du sol diminue, diminuant ainsi leur capacité à transporter de l’électricité. Autre facteur que la température, le vent peut aussi affecter la capacité des lignes à transporter l’électricité. En effet, plus le vent est important, plus les lignes refroidissent vite et deviennent donc capables de faire transiter plus d’électricité. C’est ainsi que l’estimation dynamique des capacités de transit en fonction des conditions météorologiques optimise l’utilisation du réseau et peut constituer un vrai gisement de valeur en cas de contraintes d’évacuation de production éolienne7.
 

Les services de commandabilité ou de flexibilité

Il s’agit de dispositifs qui permettent d’agir sur la production ou la consommation afin de résoudre des problèmes de réseau ou d’assurer l’équilibre offre demande avec un coût moins important. Les solutions smart grids qui appartiennent à cette catégorie sont :
  • Le stockage qui peut être utilisé en cas de contraintes d’évacuation pour différer l’évacuation de la production en stockant le surplus d’électricité ou en cas de contraintes d’alimentation pour alimenter ma consommation grâce à l’électricité stockée en période creuse. Ainsi, cette technologie permettrait de lisser la puissance (produite ou appelée) pour mieux faire face à la variabilité de la production et de la consommation, qui peuvent tous les deux être très thermosensibles. Le stockage est déjà intégré dans le système électrique sous forme de step et sous forme de consommation différée comme la charge/décharge des véhicules électriques et de l’eau chaude sanitaire. Cependant, d’autres moyens de stockage pourraient être utilisés pour faciliter l’intégration des énergies renouvelables dans le réseau, comme les batteries.
  • La commandabilité des énergies renouvelables (écrêtement de la production éolienne et solaire) qui a de la valeur en cas de contrainte d’évacuation. En effet, l’insertion des énergies renouvelables intermittentes dans le système électrique fait que la quantité produite peut dépasser les prévisions et générer des contraintes d’évacuation sur le réseau si la quantité produite dépasse la capacité maximale des lignes. Pour éviter ce problème, il est possible de moduler la puissance produite par des moyens renouvelables à la baisse. Il s’agit certes d’une perte d’électricité à coût marginal nul, mais cela peut s’avérer très utile pour garantir une bonne qualité d’électricité et éviter de faire des investissement réseau non nécessaires.
  • L’effacement de consommation qui a de la valeur en cas de contraintes d’alimentation. En effet, il a s’agit de l’aptitude de certains consommateurs (dans le secteur industriel ou résidentiel) à adapter leur consommation aux besoins du système électrique. Il s’agirait de différer leur consommation en périodes de pointe où les moyens de productions appelés ont des coûts marginaux élevés (comme les centrales à gaz) et/ou où le réseau est surchargé.
Les compteurs Linky constituent également un outil pour équilibrer l’offre et la demande d’électricité et moderniser notre système électrique. Les données importantes et précises qu’ils font remonter permettent une meilleure quantification des économies d’énergies issues des effacements, tout en apportant des informations supplémentaires sur la consommation énergétique des ménages.
Le dernier rapport du GIEC8 publié en novembre dernier rappelle la nécessité d’une politique ambitieuse de lutte contre les émissions gaz à effet de serre qui passe notamment par l’accélération du développement des énergies renouvelables. Ces énergies locales et durables vont continuer à se développer dans les années qui arrivent appelant ainsi à une refonte de notre système électrique historiquement centralisé. L’évolution et la modernisation de notre réseau est une des conditions de la réussite de la transition énergétique. Le numérique à l’image des Smart Grids sont des viviers d’innovation qui pourraient permettre d’améliorer le fonctionnement de notre réseau électrique qui demeure, même avec le développement des énergies renouvelables, un élément clé de notre système électrique9.
1 Source : AIE, 201
2 Etude Global Carbon Project, 2018, Émissions de gaz à effet de serre.
3 Coûts de production liés aux moyens de production appelés et les coûts des pertes électriques sur le réseau.
4 Il s’agit des pertes d’énergie sous forme de chaleur à cause de la résistance des ligne électriques.
5 Source RTE
6 Ministère de l’Environnement, de l’Energie et de la Mer, l’autoconsommation en France, 2017
7 Si des contraintes d’évacuation de production éolienne apparaissent, cela veut dire qu’il y a beaucoup de vent qui est capable d’augmenter les capacités de transit des lignes et d’évacuer donc plus d’électricité. Ainsi, le volume de contraintes est réduit.
8 Rapport du GIEC, “Les impacts d’un réchauffement climatique global”, octobre 2018
9 Une étude de RTE de 2017 estime que l’installation des solutions smart grids permettrait d’éviter 48M€/an en coûts de réseau

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