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La participation instituée sur la balançoire

 

 

Publié le 7 juillet 2016

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Décryptage - N°6

La réforme du dialogue environnemental était à l’ordre du jour. Mais l’actualité bouscule les processus de réflexion les mieux organisés. C’est ainsi que le projet d’ordonnance issu de la commission Richard laisse place à une ordonnance instaurant la consultation locale de forme référendaire. Et l’application de celle-ci pour trancher le cas de Notre-Dame-des-Landes (NDDL) par oui ou non, a été troublée par la publication d’un rapport demandé par la Ministre de l’Ecologie, qui évoquait des solutions de compromis, mais sans trancher entre rénovation du site actuel ou construction d’un nouveau site à Notre-Dame-des-Landes.
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Il est tentant pour ceux qui croient toujours à la participation instituée de la loi de 2002, qui l’ont pratiquée et pensent en avoir tiré des leçons 4, de se confronter à cette actualité. Car la possibilité du référendum changera l’interaction triangulaire entre élus locaux, associations et maîtres d’ouvrage, les acteurs qui se disputent le sort des projets « ayant une influence sur l’environnement ».Or le fait d’annoncer à l’avance le recours à une consultation locale de type référendaire ne risque-til pas de dissuader certaines parties prenantes de rechercher des compromis ? Sait-on même si une telle consultation est de nature à faire cesser les actions d’opposition directe des minoritaires ? A cet égard, l’exemple du transfert à NDDL (majoritairement approuvé, mais dont les opposants continuent de contester l’opportunité) sera instructif à suivre.

L’ingénierie de la maîtrise d’ouvrage publique, condition de la participation-compromis

La stratégie participation-compromis, qui enchaîne temps de débat critique et temps de recherche de convergences, ne peut réussir que si, in fine, elle invente un dépassement du conflit entre critique environnementale et projet de développement.
Cette invention ne peut revenir qu’aux équipes des maîtres d’ouvrage, compétentes aux deux sens du terme. Les personnes qui les composent en ont souvent la volonté. Et si le public se défie des institutions, il sait détecter les bonnes dispositions des personnes, et leur faire confiance.Faire fructifier cette conjonction, libérer son potentiel, c’est équiper les personnels de la maîtrise d’ouvrage pour inventer les étapes de la transition écologique, projet après projet. Or ces équipes sont aujourd’hui enfermées dans la posture que le maître d’ouvrage a décidée d’adopter5. Pour changer le positionnement et la culture de ces équipes les leçons des débats publics6, comme les récentes interventions du CGEDD, suggèrent trois types d’action7.
D’abord une formation, notamment des ingénieurs, autre qu’un « média training » pour affronter le public des réunions. Leur dialogue direct avec les gens et les associations est un révélateur de la société. Il faut savoir écouter, interpréter et valider cette expression. Car la définition administrative de l’environnement, même aussi complète que celle du rapport cité du CGEDD, n’est pas suffisante pour répondre à la critique exprimée par la société civile. Le débat public est un instrument d’observation, entre travail de groupe et psychologie des foules. Bien l’utiliser relève d’une bonne connaissance de la psychologie sociale, de ses méthodes et de ses résultats, comme de la compréhension du fait associatif, de ses raisons d’être et de ses
modes d’action. Les formations des écoles d’ingénieurs les dispensent-elles ?
Ensuite, par la mise à distance des équipes de projet par rapport à leurs institutions : faire autrement pour tenir compte de la critique civile ne se trouve pas toujours dans le champ du projet, et jamais dans ses seules dispositions techniques. Il faut voir plus large, et décentrer le point de vue. Il faut introduire le sensible lié aux attachements, donc l’architecte et le psychosociologue. Les rigidités des frontières, la composition des équipes, et les règles hiérarchiques le facilitent-elles ? Est-ce un hasard si la Ministre doive se retourner vers les membres d’un organe relativement indépendant, qui signent leur contribution, pour obtenir des idées d’alternative ?
Enfin, par le développement d’acquis sur lesquels les équipes projet puissent s’appuyer : répondre aux peurs demande que les avis des organismes chargés de dire la vérité administrative du moment sur les risques (santé, sécurité…) aient été soumis à la critique civile. Répondre à des attitudes récurrentes des gens (défiance du technicisme, de la rationalisation du risque, contradiction entre faire autrement et s’appuyer sur l’extrapolation du passé…) ne peut s’improviser à chaque projet.
Dialogues environnementaux et recherches sur ces thèmes sont-ils à l’agenda ?
Le moment est favorable à entreprendre ce changement de posture et de culture : une ministre qui souhaite la recherche de solutions de compromis, projet après projet, comme autant d’étapes d’une transition écologique ; un CGEDD qui fait la preuve que pour inventer le « faire autrement », il faut allier compétence, compréhension de la société et autonomie de pensée ; un corps des Pont des Eaux et des Forêts, composante influente de la maîtrise d’ouvrage publique, dont le nouveau slogan « l’ingénieur IPEF au service des citoyens » témoigne la prise de conscience que cette posture et cette culture doivent se diffuser. En tout état de cause, c’est le seul acteur du triangle interactif sur lequel le gouvernement ait une prise directe.

Les acteurs et la sortie référendaire : le débat public sur la balançoire

Les élus locaux, en dehors des cas où ils s’opposent, avec leurs électeurs, à un projet d’Etat, ont eu du mal à trouver leur place au sein des débats publics garantis par des personnalités indépendantes. Il est vrai, le cœur, et la noblesse, de la fonction d’élu local, et plus encore s’il est porteur d’un projet de développement, est bien le rapport avec les citoyens de sa circonscription. Voir un garant indépendant intervenir dans ce qui est forcément une interaction délicate, recèle beaucoup d’inconnues pour lui et donc d’appréhensions légitimes. D’ailleurs, en 2002, c’est au Sénat que se sont manifestées les seules réticences à la loi qui devait créer la Commission nationale du débat public (CNDP) en autorité indépendante. Et la CNDP, en 2004-2005, n’a pas réussi à ouvrir un dialogue avec présidents de conseils généraux et maires pour étendre le concept de la loi de 2002 au-dessous des seuils où il est obligatoire. Il aura fallu la triste affaire de Sivens pour qu’on envisage de la leur imposer8.
Le cas de Notre-Dame-des-Landes montre que les racines de ces préventions résident aussi dans le projet politique même de ces élus pour leur territoire. Le maire de Nantes l’a explicité dès 20119. Cela était logique dès lors que sa politique de développement est dans la ligne de l’aménagement du territoire suivi depuis 40 ans avec des succès incontestables : le développement de la façade atlantique grâce notamment aux effets induits par des infrastructures de transport en avance sur la demande. Ce que les signataires du CGEDD appellent, peut-être injustement, ressasser les mêmes arguments.
En face, ces auteurs décrivent la montée en généralité de la critique environnementale. Lors du débat de 2003 c’est la contestation des prévisions de trafic qui est l’argument principal contre un aéroport considéré inutile. Aujourd’hui les prévisions sont à peu près validées. L’argument est devenu la sobriété énergétique qui commande de limiter le trafic aérien, à tout le moins de ne pas en induire la croissance, ce que justement cherchent les promoteurs du projet. Le comité de dialogue instauré en 2013 semble être parvenu au point d’orgue de cet antagonisme. C’est bien qu’il n’est pas soluble localement.
Or, aussi particulier soit-il, NDDL n’est pas un cas isolé. La montée en généralité est la caractéristique du dialogue environnemental10. Le référendum local revient à l’ignorer. La mise à disposition d’un rapport équilibré, donc compliqué, y changera-t-elle quelque chose ? Les prises de position d’associations montrent déjà toutes les voies de recours qui s’ouvrent à elles à propos de l’impartialité de ce rapport. D’autant plus que la CNDP commet la maladresse de le rédiger elle-même, au lieu de rester dans son rôle d’arbitre et d’organiser une rédaction à plusieurs voix, comme l’ont fait pour la centrale de Flamanville et les déchets HAVL les CPDP qui ont organisé ces débats difficiles entre tous.
Les associations, quant à elles, sont toujours à la poursuite de la portée de leur critique sur la décision. Si les associations ont voulu la loi de 2002, après une dizaine d’années leur déception était réelle, et elle continue de l’être. Mais, alors que cette déception vient de l’insuffisante prise en compte de leurs critiques, on ne parle toujours que des protocoles de participation, comme si ceux-ci allaient naturellement conduire à celle-là. Jamais la discussion ne passe de la forme au fond, des procédures pour poser les problèmes aux conditions à réunir pour trouver des solutions11.
À la lumière des cas récents, on pourrait même penser que beaucoup de ces associations n’attendent plus grand chose de la participation instituée en 2002, entraînées par, ou optant pour, la spirale de la tension.
Celle-ci résulte naturellement des maladresses, inévitables dans un dialogue erratique et discontinu, qui
accroissent et généralisent la défiance envers les institutions12. Elle résulte aussi d’une opposition de riverains que les responsables ont trop tendance à mépriser sous le vocable de « NIMBY » alors qu’elle est, de plus en plus, l’expression d’un attachement collectif, aisément partagé très au-delà des riverains euxmêmes. Elle résulte enfin de la montée en généralité des arguments qui aboutit, inéluctablement dans le seul cadre local du projet, au « ni chez nous ni ailleurs ». Cette escalade a été décrite il y a longtemps13.
La concertation garantie d’après débat, à la seule initiative du maître d’ouvrage, au seul niveau du projet, prévue par la loi après le Grenelle de l’environnement, ne suffit pas à l’enrayer faute de donner ce pouvoir d’initiative aussi aux associations désireuses d’enrayer l’escalade, et faute d’être à même de traiter la montée en généralité. Au total, par le jeu des acteurs, la possibilité du référendum local, généralisation de la solution justifiée d’un cas très particulier, peut avoir, comme souvent en pareil cas, un effet très pervers. Car, elle crée un itinéraire concurrent à celui du débat suivi de recherche de compromis, qui pourrait bien tenter les deux acteurs des débats : celui de la décision tranchée par un référendum local.
Cet itinéraire nouveau est du côté de la simplicité, et, comme toujours avec le référendum, du côté de « La Démocratie », formelle tout au moins. Il peut avoir l’intérêt pour les promoteurs du projet d’éviter une participation garantie désagréable à vivre, remplacée par un exercice qu’ils connaissent bien, la campagne électorale. Il peut aussi leur permettre de tenir l’intégralité d’un projet clairement dédié à induire le développement, comme ont appris, et aiment à les concevoir, leurs ingénieurs14. Pour le mouvement écologiste il peut représenter un bénéfice éthique, qui deviendra bien un jour politique15, celui de rester dans la pureté de ses options. Enfin, cet itinéraire n’exclut pas toute participation, selon des protocoles qu’une approche techniciste saura bien inventer ou copier16.

Faire pencher la balançoire du côté du dialogue : une affaire hautement politique

Décision tranchée ou compromis transitoire ? En face de la simplicité et du label démocratique du référendum, peut-on encore défendre une option compliquée, qui doit aller du débat public à la recherche de convergences puis au compromis voté pour qu’elle soit équivalente, en force démocratique, à la décision tranchée, de fait, par le référendum ?
S’imposant par une analyse des suites données aux débats de la CNDP17, cette option est confirmée par le succès reconnu, au lendemain du vote, par l’enchaînement qui a conduit à la loi sur la transition énergétique18.
Pour compenser la complexité de cet enchaînement, le pari que nous avons déjà proposé est de donner au mouvement écologisssste un nouvel intérêt à la participation instituée19.
Pour cela un volet civil et un volet politique :
– Premier volet, donner au mouvement écologiste intérêt à aller jusqu’à la recherche de convergences au cours de l’itinéraire civil de préparation des projets, la participation instituée. Cela s’appuie sur les enseignements combinés de la pratique du débat public et du Comité pour la Transition Energétique.
Récapitulons-les20 :
1/ définir et mettre en oeuvre, dans ce Ministère chargé de l’Ecologie et d’une grande part de la maîtrise d’ouvrage publique, une politique de transformation de la posture et de la culture des équipes de projet. Et mobiliser sur cette politique et ses progrès par une action de communication sur les comptes rendus des débats publics plus que sur leurs rapports introductifs ;
2/ s’entendre pour assigner une double finalité à la participation. L’une, procédurale, est la recherche de convergences et pas seulement la construction d’une critique, chacune comme un moment et une modalité de participation, que l’on peut appeler débat et concertation garantis. L’autre, politique, est de substituer au développement durable source de tant de malentendus, le concept de Transition Ecologique qui introduit le temps, paramètre incontournable de toute recherche de convergences en la matière ;
3/ élargir le pouvoir de saisine de la CNDP par les associations nationales qui portent le projet écologique dans la société civile, pour des concertations garanties à deux niveaux : celui des projets et celui d’options générales. En rééquilibrant la fabrique de l’agenda de la participation, et en plaçant la CNDP en arbitre de cet équilibre dans l’esprit même de la loi de 2002, cette mesure fait des associations les maîtres du sort de la balançoire21.
– Deuxième volet, transformer ces convergences civiles en compromis voté. La seule proposition logique pour cela, après ce qui précède, est de miser d’abord sur la délibération d’assemblée. Mais la délibération d’assemblée telle qu’elle se pratique n’est pas une garantie de « bonne délibération » dit-on partout. La loi sur les déchets nucléaires l’a confirmé, comme l’après Grenelle de l’environnement. La question ne doit pas être insoluble.
Suffirait-il de tirer les leçons de ces exemples en obligeant l’assemblée délibérante à s’imprégner, plus sérieusement que cela a été fait pour les déchets nucléaires en 2006, des résultats du travail de la société civile, débat et convergences ? Faut-il suivre l’exemple réussi de la loi de transition énergétique et faire participer une représentation significative de l’assemblée délibérante au travail civil ? Et qui dira et quand qu’un projet n’est plus du seul ressort de l’exécutif compétent et qu’il doit faire l’objet d’un passage devant une assemblée délibérante ?
La survenue du référendum met la participation sur la balançoire et fait surgir la question de la manière de trancher les controverses environnementales les plus conflictuelles. Les deux volets du problème sont inégalement mûrs. Traitons au moins le premier avant qu’il ne soit trop tard.

Éléments de réponse à Georges Mercadal (Dominique Hoestlandt)

Voilà quelques jours, Georges Mercadal écrivait un article publié par La Fabrique Ecologique, La participation instituée sur la balançoire. Titre intrigant, avouons-le, et clin d’oeil à Roger Quilliot. Que disait-il ? Que les consultations locales de forme référendaire, en réduisant des questions d’aménagement du territoire parfois complexes à la radicalité d’un oui ou d’un non risque d’exacerber les tensions au lieu de les apaiser, et de décourager la participation du public à la recherche de consensus.
Résumant cette participation à un jeu triangulaire entre équipes du maître d’ouvrage, élus locaux et associations environnementales, il suggérait de mieux former les maîtres d’ouvrage, d’accoutumer les élus à ce genre de participation, et de conforter les associations dans leur responsabilité d’éviter la montée aux extrêmes pour augmenter les chances de compromis consensuels entre acteurs. Bref, de rendre ces associations « maîtres du sort de la balançoire » (autrement dit, soit de laisser se faire « la montée en
généralité » des arguments environnementaux des opposants, soit au contraire « d’enrayer l’escalade »). Il fallait dès lors imaginer – disait-il – une « participation instituée » qui saurait transformer « ces convergences civiles en compromis votés ». D’où l’institution d’une « assemblée délibérante » sur laquelle l’auteur restait discret. S’agissait-il d’utiliser des structures existantes, ou d’en créer une nouvelle ?…
Georges Mercadal parle d’expérience, en matière d’aménagement du territoire ou de participation du public à certaines décisions touchant à l’environnement. Ingénieur général des Ponts et Chaussées, il fut, voilà une dizaine d’années, vice-président du Conseil général des Ponts (devenu CGEDD ou Conseil général de l’environnement et du développement durable), et vice-président de la CNDP (commission nationale du débat public).
Pour autant, peut-on le suivre dans certains de ses propos ?

Une technique référendaire critiquée, plus qu’analysée

On le sent sévère à l’égard des techniques référendaires retenues pour les consultations locales tout récemment instituées (ordonnance du 21 avril 2016). Il invoque l’exemple de Notre-Dame-des-Landes
(NDDL). On verra si, comme il le craint, la consultation du 26 juin dernier augmente ou réduit les tensions (malgré un taux de participation significatif : 51%). Notons en tout cas qu’elle faisait suite à un débat public (2003), à une enquête publique (2008), à une commission du dialogue (2013). NDDL n’est donc pas l’exemple d’une consultation se substituant de force à la concertation. D’ailleurs, les « tensions » ou « montées en généralité » des critiques suscitées par ce projet s’étaient manifestées de façon aigue bien avant elle. Là où l’on rejoint ses craintes, c’est sur le fait que la radicalité d’un questionnement référendaire risque de susciter une réponse en forme de retour à l’envoyeur plus qu’à la question posée. En matière politique, le constat en a été fait depuis longtemps. Cette fragilité constitutive des référendums est augmentée encore par la définition donnée de la consultation locale : il faut, dit l’ordonnance qui l’institue1, qu’elle décrive le projet « de façon claire et objective », confiant à la CNDP le soin de constituer ce dossier d’information (sur ce point, Georges Mercadal se méprend lorsqu’il regrette que la CNDP ait commis « la maladresse de le rédiger elle-même » ; la loi l’y obligeait). Cette définition est d’ailleurs dans la droite ligne de textes européens ou internationaux traitant de l’information du public. Sauf que…

Une difficulté passée sous silence : comment éclairer le citoyen convié à répondre ?

Sauf que la nécessité d’éclairer l’électeur suppose qu’il ait une vision tout aussi claire et objective des conséquences d’un vote négatif de sa part. Que se passe-t-il si les Français refusent le projet de constitution européenne, en mai 2005 ? Que se passe-t-ils si les Britanniques votent pour le leave (autrement dit le Brexit) le 23 juin dernier ? Que se passe-t-il si les électeurs de Loire-Atlantique refusent le transfert de l’aéroport de Nantes à Notre-Dame-des-Landes ? Le silence du nouvel article 123-26 du code de l’environnement sur ce point est symptomatique de notre méconnaissance des techniques référendaires. Ses partisans diront qu’en Suisse, les votations sont courantes. Mieux même : dans le canton de Glaris, depuis six siècles, chaque citoyen est convié à donner son avis sur la gestion des affaires communes, en une assemblée annuelle2, qui ressemble à de la démocratie directe. Mais justement : une telle démocratie directe suppose une longue habitude, et n’est pas précisément référendaire.
Dans le cas de NDDL, la CNDP a choisi de documenter autant que faire se pouvait l’alternative au transfert, à avoir la rénovation de l’aéroport existant ; elle a choisi de faire une part égale aux défenseurs du oui et du non au transfert. Ce faisant, a-t-elle été impartiale ? Multi-partiale ? Objective (en faisant place à des arguments des uns et des autres qui ne l’étaient pas toujours) ?
Autres questions : puisqu’on veut associer la société aux projets d’aménagement qui la concernent, a-t-on bien réfléchi à la différence qu’il y a entre équipements ponctuels et linéaires ? Le propre des équipements linéaires est de servir à ceux qui habitent aux extrémités, et d’embêter ceux qui sont sur son parcours sans pouvoir en profiter. Le propre des équipements ponctuels est de réunir en un même périmètre ceux qui peuvent en profiter et en être gênés. Pense-t-on pratiquer les mêmes procédures de concertation selon la nature de l’équipement en projet (linéaire ou ponctuel) ? Voilà quelques-unes des questions qu’il serait intéressant de discuter demain à La Fabrique Ecologique, et que l’article de Georges Mercadal n’a fait qu’effleurer.

Une schématisation abusive de la société civile

Mais le propos central de son article était de mettre en place ce qu’il appelle une « participation instituée »,à propos de ces projets qui impactent l’environnement. Pourquoi pas ? Il est clair qu’il vaut mieux éviter ces blocages qui retardent les projets, surtout lorsqu’ils sont utiles à la société. Mais, en réduisant les débats à trois catégories d’acteurs, et trois seulement (les équipes du maître d’ouvrage, les élus et les associations,), n’évacue-t-il pas la société civile elle-même ?

L’hypothèse qu’un projet existe déjà est trop restrictive

D’autre part, en posant qu’il existe à la fois un projet et un maître d’ouvrage – ce que font aujourd’hui les textes en préparation sur la participation du public – ne manque-t-il pas l’une des causes habituelles des plus vives oppositions, à savoir l’utilité même d’un projet, le principe même de son existence ? La racine de ce qu’il nomme l’escalade en généralité (à savoir l’invocation de principes plus généraux3), ne doit-elle pas être discutée avant même qu’il y ait projet (donc maître d’ouvrage) ? Ainsi les oppositions au stockage souterrain de déchets radioactifs se nourrissent-elles d’une opposition au nucléaire, et non d’une préférence pour un stockage aérien de ces déchets (ce qui est aujourd’hui le cas, faute d’alternative acceptée). On voit donc que, souvent, un projet est attaqué non pour la façon dont il a été conçu ou est présenté, mais plus fondamentalement parce qu’il rencontre des oppositions de principe. Or ne faut-il pas dès lors susciter les moyens d’en débattre en amont (ce que d’ailleurs les évolutions législatives récentes envisagent de faire, en parlant de planification, de programmation, plutôt que de projets déjà constitués). L’article n’en dit rien.

Pourquoi renoncer à défendre la notion de développement durable ?

Mais revenons au cas où un projet existe. Dans cette hypothèse, réduire le débat à trois acteurs (dont les
élus – souvent sceptiques, et soucieux de leur représentativité, dit l’auteur – et les associations) est méconnaître, pour le coup, les dimensions économiques et sociales qu’ont beaucoup de projets d’infrastructures (qui sont l’essentiel des sujets à traiter). Et l’on voit à quel point les modèles de concertation que cite Georges Mercadal sont peu adaptés : suggérer d’abandonner la notion de développement durable pour celle de transition écologique, c’est lâcher la proie pour l’ombre, et renoncer à défendre un aménagement du territoire (qui impacte l’environnement et sa dimension écologique, même si elle accompagne des projets de développement, et des créations ou des maintiens d’emploi). C’est se résigner à ne pas défendre les projets d’infrastructures nouvelles (qui induisent de la croissance). Instituer les associations en « maîtres de la balançoire », c’est se priver trop vite, et bien légèrement, des mécanismes de la démocratie représentative (pourquoi priverait-on certaines campagnes électorales locales de sujets tels que projets locaux d’équipement ?). Peut-on accepter que la représentation sociale soit principalement confiée à des associations environnementales ? Où sont les partis politiques ? Où sont les syndicats représentatifs de salariés ou de branches d’activité ? En quoi consisterait la participation instituée ? L’auteur n’en dit pratiquement rien.

Une vision iréniste qui méconnait les conflictualités persistantes

Plus que tout, il nous présente une vision iréniste de la société, dont Il méconnait la conflictualité inhérente à toute collectivité, à ce pluralisme agonistique conceptualisé par Chantal Mouffe4, à cette démocratie paradoxale qui aura beau faire, dit-elle : il restera toujours des adversaires irréconciliables, et le rapport de force continuera d’avoir de beaux jours, malgré qu’on en ait. Non qu’un compromis soit impossible. Il est même très souhaitable de le rechercher avec patience et obstination, chaque fois qu’il est possible (c’était l’un des principes majeurs de la méthode dite Rocard, l’un des parrains qui ont facilité la naissance de La Fabrique Ecologique). Mais il arrive qu’à la fin la force d’une décision politique doive l’emporter et faire avancer. Les conditions dans lesquelles il convient de jouer de ces armes de la décision collective pourraient là aussi faire l’objet de futurs travaux de LFE.
1 – En l’occurrence, l’ordonnance 2016-488 du 21 avril 2016 « relative à la consultation locale (…) » institue un nouvel article L 123-26 au code de l’environnement, dont le premier alinéa est ainsi rédigé :
« Un dossier d’information sur le projet qui fait l’objet de la consultation est élaboré par la Commission nationale du débat public. Ce dossier comprend un document de synthèse présentant de façon claire et objective le projet, ses motifs, ses caractéristiques, l’état d’avancement des procédures, ses impacts sur l’environnement et les autres effets qui en sont attendus. Il mentionne les principaux documents de nature à éclairer les électeurs et comporte les liens vers les sites internet où ces documents peuvent être consultés ».
2 – Il s’agit des Landsgemeinde, ou assemblées délibérantes annuelles, auxquelles chaque citoyen est convié (on y vote à main levée). Précisons toutefois que ce canton ne compte que 39.000 habitants, pour une surface de 685km² (ce qui n’est pas grand). Mais il ressemble, de ce point de vue, à l’antique cité d’Athènes dont la démocratie, au Ve siècle avant notre ère, comptait environ 30.000 citoyens.
3 – Ainsi, pour NDDL, le fait que le transport aérien émette du CO² a-t-il été invoqué par certains opposants comme contredisant l’objectif de la COP21 de réduire l’émission de gaz à effet de serre, sans préciser que ce qui leur posait problème était l’accroissement de ce transport aérien, et non l’emplacement de l’aéroport (quasiment neutre, de ce point de vue).
4 – Chantal Mouffe. Le paradoxe démocratique. Beaux-Arts de Paris éditions 2016.
1 Ce texte a vocation à être publié dans notre rubrique Décryptage car il soulève sur des bases rigoureuses des questions importantes. Il reflète aussi les points de vue de son auteur qui ne sont pas forcément partagés par d’autres responsables, experts ou intervenants de La Fabrique Ecologique. Nous nous réservons donc bien sûr la possibilité d’y revenir avec d’autres papiers sous un angle différent.
2 Inspiré du titre de l’un des derniers livres de Roger QUILLIOT, « La démocratie sur la balançoire ».
3 CGEDD, Mars 2016 établi par Pierre CAUSSADE, Nicolas FORRAY et Michel MASSONI.
4 « Le débat public : pour quel développement durable ? » GM Presses des Ponts.
5 Il a fallu attendre 2016, après un débat pourtant houleux en 2004, pour qu’une équipe dotée d’une certaine indépendance évoque des solutions de compromis pour NDDL. Ce défaut d’ouverture tue dans l’oeuf le processus de recherche de compromis.
6 GM, op citée et mélanges pour Claude MARTINAND, à paraître, Documentation Française.
7 C’est parce que le hasard, et le temps, ont créé de telles conditions que des cas très difficiles ont pu être résolus : CDG express, THT France Espagne, et le plus remarquable, Transition Energétique. C’est parce qu’elles ont fait défaut que d’autres ont pris la spirale de la tension : déchets HAVL, NDDL.
8 Le projet d’ordonnance prévoit que les associations puissent demander au Préfet de le faire.
9 Tribune d’un collectif d’élus, dont le Maire de Nantes, dans Le Monde du 11 Février 2011.
10 « La critique et sa globalisation, objectif des associations », citations in GM, op citée.
11 Rapport de la commission présidée par M. le sénateur Alain Richard.
12 L’erreur inaugurale de NDDL a bien été la décision laconique du Ministre en 2004, après le débat public pourtant houleux : « Les études continuent ».
13 Rapport pour le Ministère de l’Equipement de 2008, sur l’opposition au doublement de l’A8 dans les Alpes Maritimes, décrivant la montée en généralité se conjuguant à l’opposition viscérale des riverains.
14 Témoin les pressions des maîtres d’ouvrage publics pour être dispensés de l’obligation de débat public ou le fait que l’école nationale des ponts et chaussées ait supprimé l’enseignement, pourtant modeste, qui portait sur l’ingénieur et le débat public.
15 « Lors de la présidentielle de 2027 » a-t-il été annoncé!
16 Une telle approche semble la solution à la conflictualité prônée par certains articles dans Annales des Mines, janvier 2016, « La participation des populations aux décisions environnementales ».
17 GM, op cité notamment pages 63 et 64.
18 Précisons la lecture que nous en faisons : débats publics locaux sur des projets énergétiques (20 débats de la CNDP qui ont touché plus de 60 000 citoyens et qui ont posé la problématique civile du conflit entre énergie et environnement), un comité pour la transition énergétique composé de tous les acteurs représentés dans les débats, au fait de cette problématique civile, et conduit par une Présidente, à citer en modèle à tous les présidents de concertations garanties nommés par la CNDP , et enfin la transformation en compromis politique, par le parlement, des convergences esquissées dans ce comité.
19 M mélanges pour Claude MARTINAND.
20 Idem.
21 Les associations préfèreront-elles le référendum local, venant après la spirale de la tension ? Elles étaient pour à Bar le Duc. Elles semblent contre à NDDL. N’en ayant pas l’initiative, elles risquent de l’avoir quand elles ne le voudraient pas, et réciproquement.

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