Politique Société
« La Forêt » de Claire BRAUD, Éditions Casterman
Publié le 8 juin 2022
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Article publié
« Abondance, voilà c’est ça ! Que ça croule sous les fruits, qu’il y ait à manger et à offrir ! De l’invention à tire-larigot ! De la vie, bon sang ! Qu’on y chante et qu’on y danse ! Fini ce siècle. » (p. 203)
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Des planches, parfois lugubres ou lumineusement belles, d’un onirisme à la Chagall. Des aquarelles timides, puis tout à coup des aplats de couleurs primaires qui accélèrent la narration, replacent l’intrigue dans le réel. De grandes doubles-pages foisonnantes, entre regards expressifs et visions troubles, ébauchées, garnies des jeux de lumière sur la robe des chevaux, dans les sous-bois ou sur les troncs d’arbres. Une ode à la forêt, à sa faune, à ses esprits. Une dénonciation de la toute-puissante chasse, ce “sport” intouchable, doublé d’un influent lobby. Un côté grandiose, macabre parfois, enfantin, mais aussi réaliste et cru. Une simplification par le loufoque du rapport intime à la nature, qui permet d’en exprimer le caractère brut et innocent. Des bandes sans texte, qui sont des promenades colorées. Les prémisses d’une enquête sur la chasse à la rencontre brève avec les gitans, qui ouvre à d’autres rencontres encore.
La dessinatrice retrouve la forêt, alors, elle veut enquêter sur son compte, la dessiner ensuite, commençant par la piste de la chasse, n’y débusquant pas le passionnant pot aux roses escompté, ainsi de fil en aiguille, elle peint ce que la forêt veut bien amener à ses pinceaux. L’inspiration de Chagall se renforce chez les gitans, avec des chevaux galbés, des taches de couleurs vives, diluées dans un décor aux contours inachevés, et ces regards saisis, effrayés parfois. La forêt comme refuge à la cruauté humaine, thérapeute et victime à la fois, du même agresseur. Les couleurs de l’aquarelle s’accordent avec le ton du récit, sa technique aussi.
À mesure, on suit l’histoire des gitans pendant la Seconde Guerre mondiale, un ermitage au fond des bois, la xénophobie latente de cette petite ville oubliée, les valeurs rurales exacerbées, distordues, le rôle des loups dans la régulation de la faune et la santé des sols, la vie de la philosophe Edith Stein, les ravages de la monoculture, du gibier surabondant.
Mais surtout, le changement climatique. Au sommet de la hiérarchie des maux, ce plus grand péril qui plane sur la forêt française, et qui écrase tous les autres par son potentiel d’anéantissement.
Remettre la forêt au centre de la société, demande d’abord de la valoriser pour ses bienfaits (services écosystémiques), sa vie, au-delà des revenus qu’elle offre par les baux de chasse et la vente du bois.
À la fin, le top départ est tracé : agir, et changer notre relation à l’environnement. Faire ce dont on sent partout la nécessité.
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