Le 19 janvier 2022, en partenariat avec Sorbonne Développement Durable, s’est déroulée la dixième édition des Controverses Écologiques. Le débat « Quelle nouvelle organisation du territoire pour la transition écologique » a été animé par Géraud Guibert, président de La Fabrique Ecologique. Hélène Peskine, Secrétaire permanente du Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA) au sein du Ministère de la Transition écologique ; Magali Reghezza-Zitt, géographe, co-directrice du Centre de formation sur l’environnement et la société de l’ENS, membre du HCC ; Xavier Desjardins, professeur en urbanisme et Aménagement de l’espace à Sorbonne Université, chercheur et consultant (coopérative Acadie), auteur de nombreux ouvrages sur l’aménagement du territoire et Olivier Razemon, journaliste indépendant et auteur du livre : « Les Parisiens », une obsession française – anatomie d’un déséquilibre étaient en notre compagnie pour débattre de cet enjeu .
En introduction, il a été rappelé que cette controverse s’inscrit dans un cycle de discussions sur des sujets structurels qui devraient être au cœur des débats autour de la présidentielle. Le choix du terme « organisation » plutôt que celui d’« aménagement » est volontaire car il ne s’agit pas ici seulement d’un enjeu d’infrastructures. Par ailleurs, s’il est évident que le mille-feuille territorial ne facilite pas la transition écologique, cette controverse n’a pas vocation à traiter des problèmes de l’architecture des collectivités locales.
Les intervenant.e.s ont commencé par expliciter leur vision de l’organisation du territoire dans la transition écologique. Aujourd’hui, elle est trop souvent considérée comme le mode de relation entre l’Etat et les collectivités locales alors qu’une vision holistique permettrait de s’en servir comme un levier invisible permettant d’aborder l’ensemble des dimensions de la transition écologique. D’un autre côté, l’organisation du territoire appelle à une refondation intellectuelle : il faut penser la diversité des modèles de transition par les territoires.
La première partie du débat s’est concentrée sur l’approche locale de l’organisation du territoire en termes de rapprochement entre domicile, lieu de travail, lieu de loisir et lieu de consommation. Les intervenant.e.s ont d’abord rappelé la nécessité de se méfier des limites d’une telle conception : la vie n’étant pas linéaire, les individus ne sont pas assignés à résidence, il est donc impossible de fixer un lien perpétuel entre là où on travaille et là où on vit. D’autre part, l’objectif de rapprochement des emplois et des habitations est, certes souhaitable, mais extrêmement difficile à mettre en œuvre, notamment parce que tous.tes les citoyen.ne.s ne vivent pas dans un seul logement (10 % des français.e.s vivent quotidiennement dans deux logements différents). De la même manière, si les français.e.s prennent de plus en plus conscience de l’aspect subi, imposé de leurs transports quotidiens, des contradictions demeurent. En effet, une enquête de l’Insee montre que les individus désirent à la fois se rapprocher de leur lieu de travail mais refuse d’abandonner la voiture et le pavillon. L’intérêt ici serait donc davantage d’apprendre à articuler les fonctions urbaines entre elles. Enfin, il convient de regarder l’ensemble des parties prenantes, en particulier les entreprises, qui dépendent et impactent l’organisation du territoire et dont les flux ont un gros impact carbone. D’un autre côté, l’organisation du territoire va devoir prendre en compte une nouvelle donne : l’environnement et le climat changent, ce qui sous-tend des pressions supplémentaires sur les systèmes (en termes de valeurs, de co-bénéfices). Dans ce contexte, les aspirations de gouvernance peuvent changer très vite. Certains facteurs qui incitaient auparavant les populations à s’installer quelque part ne vont plus être rentables (augmentation du coût des énergies fossiles, pression sur les ressources alimentaires/agricoles, exposition aux risques…). La discussion sur l’organisation du territoire perd son sens si on ne prend pas en compte ces données changeantes. Pourtant, les documents d’urbanisme sont très en retard dans la prise en compte de tous ces nouveaux impacts à court terme.
La seconde partie de la Controverse a cherché à analyser deux enjeux sous-jacents à l’organisation du territoire : l’étalement urbain et l’artificialisation des sols. S’il existe tout un arsenal juridique pour contraindre l’occupation des zones à risques, l’enjeu principal est de parvenir à le faire respecter. Or, à ce titre, la question foncière joue un rôle déterminant. C’est pourquoi l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) ne résiste pas à la pratique du terrain et ne doit pas être pensé uniquement à travers une seule dimension. L’objectif ZAN est aussi problématique de par son ambiguïté : on ne sait pas vraiment ce dont on parle. En outre, les modalités actuelles de fonctionnement des services publics ne permettent pas sa mise en œuvre.
Enfin, la troisième partie du débat s’est intéressé aux fractures territoriales. Les intervenant.e.s ont rappelé que les métropoles n’étaient pas vivables à long terme d’un point de vue écologique (pollution) mais aussi psychologique (mal-être) ou économique (coût de l’immobilier à Paris). D’où le rejet de la part des autres régions vis-à-vis de la région parisienne, une autre forme de fracture territoriale qui sous-tend la question de la vivabilité du territoire. Par ailleurs, le but d’une politique d’aménagement du territoire n’est pas de redistribuer les populations mais d’égaliser les conditions de chance et de vie entre les territoires. En France, les villes ont tendance à avoir une oscillation démographique lente. Il faut donc affronter de manière plus réaliste l’évolution démographique : comment vivre bien tout en étant plus ou moins nombreux, sans chercher à atteindre une taille de population optimale et sortir de l’idée que l’attractivité d’une ville est liée au nombre de ses habitants.
Pour conclure, les intervenant.e.s ont noté l’ambition que soulève la question de l’organisation du territoire dans un contexte de transition écologique. L’adaptation signifie qu’il va falloir des grands travaux avec une vision nationale. Pour cela, il faut dépasser le débat local versus national qui empêche d’avancer. A l’heure actuelle, les objectifs de la Stratégie Nationale Bas carbone (SNCB) ne peuvent être remplis car l’organisation du territoire ne le permet pas : il faut à la fois des objectifs, des jalons temporels et des mécanismes de compensation.