24

mars

2021

Les controverses écologiques

Évènement passé

Les Controverses Écologiques : Les jeunes et l’urgence climatique : avec, contre ou hors du système ?

Les intervenants

Benjamin Carboni

Éco-infuenceur et président de la fédération CleanWalker

Cha Bou

Étudiant membre d'Extinction Rébellion

Patrick Degeorges

Philosophe et professeur à l'école urbaine de Lyon

Yann Le Lann

Maître de conférences en sociologie à l'Université de Lille et coordinateur du collectif Quantité Critique

Pauline Bureau

Membre du bureau de La Fabrique Écologique

Lucile Schmid

Vice-présidente de La Fabrique Écologique

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Le 24 mars 2021, en partenariat avec Sorbonne Développement Durable, se déroulait la 7ème édition des Controverses écologiques. Le débat « Les jeunes et l’urgence climatique : avec, contre ou hors du système ? » a été animé par Lucile Schmid, vice-présidente de La Fabrique Écologique, et Pauline Bureau, membre de La Fabrique Écologique. Quatre intervenants ont participé à cette Controverse : Benjamin Carboni, éco-influenceur et président de la fédération CleanWalker, Cha Bou, étudiant et membre d’Extinction Rebellion, Patrick Degeorges, philosophe et professeur à l’école urbaine de Lyon, et Yann Le Lann, maître de conférences en sociologie à l’Université de Lille et coordinateur du collectif Quantité critique.
En introduction, les organisatrices de la Controverse ont rappelé que la jeunesse était souvent pensée comme quelque chose d’englobant, alors qu’il existe en réalité une grande diversité au sein de cette jeunesse qui s’engage pour l’écologie. Le point de départ de cette conférence est de déconstruire cette vision d’une jeunesse uniforme portée par celles et ceux qui ne sont plus jeunes. La suite de la conférence s’est articulée autour de trois grandes questions.
La première a porté sur le rôle et les actions des jeunes. Les deux intervenants venus témoigner en tant que jeunes, Cha Bou et Benjamin Carboni, ont souligné les difficultés rencontrées par la jeunesse aujourd’hui : l’impossible insouciance traditionnellement associée à cette période de la vie, le burn-out militant, la bienveillance hypocrite des pouvoirs publics qui tiennent la jeunesse éloignée des postes de pouvoir, la précarité, etc. Les autres intervenants ont questionné la définition de la jeunesse dans le contexte de l’urgence écologique. Pour Patrick Degeorges, il est possible d’imaginer une définition objective de la jeunesse en fonction du temps d’exposition à la dégradation de la planète : plus on est jeune, plus on sera exposé.e sur une longue période de temps aux risques climatiques et la destruction de la biodiversité. Yann Le Lann apporte son regard de sociologue des mouvements sociaux. Les enquêtes menées par son collectif Quantité Critique lors des marches pour le climat révèlent que ce que l’on appelle le « mouvement climat » n’est pas un mouvement de la jeunesse d’un point de vue sociologique. C’est en réalité un mouvement intergénérationnel. Les caractéristiques sociales des manifestants du vendredi (élèves et étudiants prenant part au mouvement « Friday for Future ») et de ceux du samedi (marches pour le climat) sont les mêmes : capital culturel important, sensibilité politique de gauche, etc. Il apparaît alors que les effets de transmission intergénérationnelle sont largement sous-estimés. Il y a pourtant une continuité des luttes entre les mouvements écologiques des années 1970 et les mouvements actuels qui ne sont pas le fruit d’une génération spontanée, mais bien d’un héritage culturel. La particularité des jeunes dans le mouvement climat tiendrait plus à la forme de leurs actions, qui sont souvent plus spectaculaires et visibles.
Sur la forme des actions, les intervenants ont tous abordé les enjeux de la radicalité. Le respect de l’intégrité des personnes est consensuel dans le mouvement climat. Les débats portent sur les dégradations matérielles telles que les sabotages. La dégradation matérielle ne semble pas si radicale si on l’inscrit dans le contexte de l’urgence climatique. Patrick Degeorges a précisé que les jeunes sont en train de rendre opérationnel sur le plan politique un certain nombre d’actions radicales, ceci dans un contexte opposé à la pensée de la radicalité, où le militant radical est considéré comme un terroriste.
La deuxième question abordée est celle de l’efficacité des actions menées par la jeunesse militante pour le climat. Les organisatrices ont souhaité adresser cette question aux intervenants, car d’une part, on reproche au mouvement climat son caractère élitiste qui peut réduire la portée de ses actions, et d’autre part les militant.e.s manifestent souvent un sentiment d’essoufflement. Cha Bou, membre d’Extinction Rebellion, souligne que la question de l’efficacité des actions dépend des objectifs visés. Certaines actions visent à faire changer l’opinion publique pour à terme faire évoluer la loi. Dans ce cas, les mobilisations peuvent prendre la forme de communication sur l’inaction des politiques. Il peut également s’agir de former de nouveaux.elles militant.e.s sur des actions avec de faibles risques juridiques. Dans ce cas, les actions sont efficaces. En revanche, si l’on s’attarde sur la courbe des émissions de CO2, les actions du mouvement climat semblent inefficaces, car elles n’ont pas réussi à infléchir sa trajectoire. Patrick Degeorges met en avant que l’efficacité des actions dépend des échelles. Aujourd’hui, il est difficile d’imaginer des actions ayant un réel impact à l’échelle globale, mais elles peuvent en avoir à l’échelle locale. Il est donc nécessaire d’inventer un nouveau récit permettant d’articuler ces échelles. Yann Le Lann juge quant à lui qu’il est trop tôt pour faire le bilan du mouvement climat, car d’une part, ce mouvement est très récent, surtout si on le compare au mouvement ouvrier qui a rencontré des succès après plusieurs décennies de lutte et d’autre part, le programme que se fixent les militants est immense.
Enfin, la troisième partie du débat a porté sur le rôle des institutions. Patrick Degeorges suggère qu’il y a des leviers de transformations importants du côté du droit à travers la reconnaissance des droits de la nature. Par ailleurs, le rôle de l’État doit évoluer pour que celui-ci soit le garant de la régénération des conditions de vie. Il est également nécessaire de faire évoluer le rôle du principe de précaution, qui suit actuellement une logique de gestion adaptative du risque. Selon Patrick Degeorges, il est nécessaire de réinvestir le principe de précaution pour en faire un principe d’expérimentation et de transformation. Pour Yann Le Lann, la question institutionnelle ouvre un chantier immense. Le mouvement climat est pris dans une contradiction, car il pense que l’action de l’État est une condition de réussite (d’où les actions d’interpellation).
Finalement, plusieurs personnes ont souligné que « les institutions ne sont pas faites de bois », mais d’êtres humains, et que c’est la transformation intérieure des personnes qui pourra faire évoluer les institutions et la société dans son ensemble.
 
Ouvrages cités lors de la conférence :
  • Le gang de la clef à molette, Edward Abbey (1975)
  • Comment saboter un pipeline, Andreas Malm
  • Pouvoir de la non-violence, pourquoi la résistance civile est efficace ? Erica Chenoweth / Maria J.Stephan, Calmann Levy, mars 2021 (sorti en 2011 aux Etats-Unis)
  • Le contrat naturel, Michel Serres
  • Nature humaine, Serge Joncour, Flammarion
  • Les finalités éducatives scolaires, tome 1 et tome 2, sous la direction de Yves Lenoir, édition Cursus universitaire
  • Le maître ignorant, cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle, Jacques Rancière, Fayard
  • Les besoins artificiels : comment sortir du consumérisme, Razmig Keucheyan, Édition Zones