27

février

2024

Autres Événements

Évènement passé

Colloque Transition juste des mobilités : quelles attentes et quelles solutions ?

Lucile Schmid

Vice-présidente de La Fabrique Ecologique

Programme
La Fabrique Ecologique a co-organisé le colloque « Transition juste des mobilités : quelles attentes et quelles solutions ? », le mardi 27 février 2024, chez Leonard, 6 place du colonel Bourgoin, 75012 Paris ; avec La Fabrique de la Cité, l’Ecole des Ponts ParisTech et le Lab recherche environnement, en partenariat avec Mobilettre, NewsTank Mobilités, L’Hémicycle, et avec le soutien de VINCI Autoroutes. 13 millions de citoyens français se trouvent dans une situation de précarité liée à la mobilité. Dans quelle mesure les solutions déployées, comme la gratuité des transports, la tarification différenciée, le covoiturage, les services express régionaux métropolitains, etc. peuvent-ils la résorber ? Comment concilier les attentes et besoins relatifs à la mobilité avec la transition écologique ? Cette matinée a permis de réfléchir et débattre sur la transition juste en matière de mobilité, de la clarifier, d’en comprendre les enjeux et les limites.
Lucile Schmid, vice-présidente de La Fabrique Ecologique, a posé la question introductive : assumer la dimension sociale et politique de la transition écologique. Quelle traduction dans la vie de la cité ? Elle a notamment souligné la similitude entre l’origine du mouvement des gilets jaunes et la révolte actuelle du monde agricole, qui découlent tous deux d’une incapacité politique à faire de la transition écologique une transition sociale. Ces crises révèlent une inadéquation entre les objectifs environnementaux des mesures et leur traduction sociale dans le quotidien des citoyens.
Anthony Briant, directeur de l’école des Ponts ParisTech, a rappelé l’importance de la responsabilité des ingénieurs dans la transition juste. Pour un changement de paradigme dans un monde confronté au dérèglement climatique, il a opérée une transformation au sein de PontsParisTech : les cours dispensés sortent de la logique scientifique unique et s’ouvrent à d’autres champs disciplinaires, intégrant plus de sciences sociales.
La séquence 1 visait à définir les grands enjeux d’une transition juste.
Solange Martin, sociologue à l’ADEME, a mis en garde sur le terme « transition juste », qui peut s’apparenter à un mot valise dont il faut se méfier. Il ne faut pas renier la dimension holistique de la transition, qui n’est pas juste environnementale, mais aussi sociale et économique. Elle a aussi rappelé que le niveau de revenu et le taux de chômage évoluent pour bien d’autres raisons que la transition. Il faut donc sortir de cette tendance à la diaboliser la transition, et de manière générale les mesures écologiques, qui n’ont pas à « payer les pots cassés ».
Puis Rayane Al-Amirn Dache, doctorante au sein du laboratoire Ville Mobilité Transport, a illustré les inégalités sociales de déplacement, épaulée par Marie Dégremont, directrice des études de La Fabrique de la Cité. Selon les études du labo LVMT, le constat est clair : les plus pauvres dépensent bien plus dans les transports (en termes de part de revenu). Les ménages les plus modestes habitent généralement en dehors des centres-villes. Les inégalités se matérialisent donc dans les temps de transports, et en termes de vulnérabilité générale. Car ils sont les premiers impactés en cas d’augmentation du prix du pétrole ou du forfait de transport. Le manque d’alternative marque aussi ce caractère contraignant des transports pour les bas revenus.
Virginie Boutueil, chercheuse de l’Ecole des Ponts ParisTech, a remarquablement mis en perspective les initiatives françaises de transition juste dans un contexte international divers. La réflexion sur les mobilités est menée au niveau européen, mais mérite d’avoir une vision plus globale, en regardant les situations sur d’autres continents. Ainsi, même si l’Union Européenne interdit la vente de véhicules thermiques à partir de 2035, l’industrie européenne continuera d’en produire et d’en exporter à travers le monde. Les initiatives et règlementations nationales doivent donc s’inscrire dans une dynamique transnationale pour ne pas être caduques.
La séquence 2 a abordé l’adhésion des citoyens français à la transition juste.
Lors d’un regard croisé avec André Broto, auteur de « 40 idées reçues sur les transports », le chercheur Aurélien Bigo a montré que les plus gros pollueurs n’étaient pas incités à réduire leurs déplacements, et donc la pollution inhérente. Il a mis en avant les véhicules intermédiaires, à la mi-chemin entre vélo et voiture, qui devraient jouer un rôle déterminant dans la transition des transports. Cette thèse est particulièrement bien détaillée dans la note « Pour une mobilité sobre : la révolution des véhicules légers » rédigée par Jill Madelenat, directrice des études de La Fabrique Ecologique. Puis Franck Dhersin, sénateur du Nord, a montré comment les régions s’endettent pour sauver les infrastructures de transport.
La séquence 3 s’intéressait aux politiques pour enclencher et accompagner cette transition.
Gilles Dansart, directeur de Mobilettre, a animé une première table ronde sur la place des incitations économiques, avec Yves Crozet, économiste, et Dominique Bureau, de l’Inspection général de l’Environnement et du Développement durable. Pour Yves Crozet, du laboratoire Aménagement Economie Transports, la gratuité des transports est possible dans une partie du Nord, comme c’est le cas à Dunkerque, grâce aux nombreuses industries à Dunkerque qui rapporte des contributions financières, mais pas partout. Il cite une autre modalité mise en place à Strasbourg, où la tarification des transports est fonction du niveau de revenu (tarif solidaire).
La seconde et dernière table ronde, animée par Mathilde Boitias, directrice de La Fabrique Ecologique, traitait de l’importance d’adapter la transition aux spécificités des territoires. Pour Pierre Zembri, chercheur au laboratoire LVMT, on a tendance à « troquer de la proximité pour de la vitesse ».
Bertrand Folléa, paysagiste-urbaniste, a souligné le risque de se limiter à une approche macro et quantitative de la transition juste et la nécessité de réintroduire une approche sensible dans le débat. Au-delà des chiffres et des histogrammes, qui ont certes leur pertinence, il a invité à partir du point de vue du citoyen dans son quotidien. La transition implique une transition culturelle, il faut redonner de la désirabilité aux transports. La symbolique doit s’allier à la pratique, car le bus et le train ne doivent pas rajouter du temps de transport et de l’incertitude à ceux qui en souffrent déjà le plus. La sobriété n’est pas qu’une question d’énergie, mais aussi de rapport au temps.
Julien Thomas, de VINCI Autoroutes, a présenté le cas du bassin toulousain, dense et étendu, où 1/3 des travailleurs de l’agglomération font au moins 25 km aller pour se rendre au travail. Enfin Manon Eskenazi, chargée de recherche à l’École des Ponts ParisTech, labo LVMT, a rappelé que si le vélo est l’objet vitrine de la transition écologique, la politique du vélo n’est pas égalitaire. Elle ne touche pas tous les profils ou pas de la même manière. Dans les faits, ce sont davantage les hommes actifs qui utilisent régulièrement le vélo. Et les politiques de transport ont aussi tendance à invisibiliser les déplacements en vélo.
En conclusion, Gilles Dansart, directeur de Mobilettre, a souligné la richesse des interventions et la pluralité des points de vue partagés, nécessaire à l’avancée démocratique pour une transition juste !