À l’occasion de la publication de sa note : « Les prairies et l’élevage des ruminants au cœur de la transition agricole et alimentaire », La Fabrique Écologique a organisé son 48e Atelier Co-Écologique le 23 mars 2022, en présence de François Demarcq, président du groupe de travail, Géraud Guibert, président de La Fabrique Écologique, Bernard Chevassus-au-Louis, président d’Humanité et Biodiversité, inspecteur général de l’Agriculture, de Christian Huyghe, directeur scientifique Agriculture à l’Inrae, Mathilde Boitias, directrice de La Fabrique Ecologique et membre du groupe de travail et les autres membres du groupe de travail.
Mathilde Boitias a d’abord présenté le point de départ du groupe de travail : la contradiction inhérente à l’élevage des ruminants. D’un côté, ce secteur représente 9 % des émissions de gaz à effet de serre en France mais de l’autre, les prairies constituent des stocks de carbone importants et permettent le maintien de la biodiversité. Ainsi, la question à laquelle a tenté de répondre la note est la suivante : Quelle est la vision d’un élevage idéal et comment peut-on y parvenir ?
François Demarcq a ensuite précisé que la note suivait une démarche scientifique en effectuant un tour d’horizon de la littérature sur le climat, la biodiversité et la santé publique. La dimension climatique concerne à la fois le volet émissions et les capacités de stockage carbone. Les prairies permanentes permettent de stocker 80 tonnes de carbone par hectare. Toutefois, ces prairies ne fixent quasiment plus de carbone. Si les prairies permanentes constituent indéniablement un large potentiel de stock de carbone, l’argument climatique doit être utilisé avec précaution car il ne suffit pas à justifier le maintien de l’élevage. Cependant, un second argument vient s’ajouter en faveur des prairies permanentes : leur rôle dans la préservation de la biodiversité. En effet, les prairies sont riches en biodiversité et rendent des services écosystémiques (présence de pollinisateurs, aide à la lutte contre les ravageurs). Enfin, la note prend en compte la dimension de santé publique. De manière générale, nous consommons trop de protéines d’origine animale. Il existe toutefois des différences notables en termes de qualité nutritionnelle des produits en fonction du mode d’élevage. Or, l’alimentation des ruminants à l’herbe à un effet très positif sur la qualité nutritionnelle de la viande et du lait.
La vision pour l’avenir dessinée par la note incite donc à redimensionner l’élevage des ruminants à la baisse et à le recentrer sur les prairies permanentes. Elle invite à un mouvement puissant de retour à l’herbe accompagné d’une réduction du cheptel de l’ordre de 30 à 50 % pour libérer 3 à 5 millions d’hectares de terres arables. L’idée est ainsi de développer une marge de manœuvre pour ouvrir la voie à davantage de production végétale. En outre, la production de viande de bœuf devrait être assurée par des races issues de l’élevage laitier qui sont plus adaptées à un engraissement à l’herbe. Si le prix des produits va vraisemblablement augmenter, cela devrait permettre une meilleure valorisation de la production des éleveurs grâce à la mise en place d’un label dédié. Du point de vue des consommateurs, le surcoût devrait être compensé par une politique incitative à la moindre consommation.
Christian Huyghe a apprécié le travail de promotion de la culture de la complexité et du compromis effectué par le groupe de travail. Il a souligné que la note est parvenue à trouver une forme d’équilibre entre biodiversité, climat et santé humaine. Il a toutefois relevé l’absence de prise en compte de plusieurs enjeux. Tout d’abord, l’absence de mention de l’azote qui est pourtant essentiel puisqu’elle est nécessaire à la stabilisation du carbone. La question de la durée est aussi centrale dans la mesure où l’on ne peut pas nourrir un animal à l’herbe toute l’année, il faut donc faire des stocks.
Bernard Chevassus-au-Louis a quant à lui insisté sur la nécessité de peser l’importance du discours par rapport aux éleveurs qui rencontrent des difficultés. S’il considère que la note propose une thèse forte, elle offre aussi des possibilités de progression, notamment en argumentant davantage sur l’intérêt de conserver les prairies tout en gardant à l’esprit les logiques sous-tendues par le système actuel.
Enfin, les recommandations de la note ont ensuite été évoquées :
En premier lieu, la note invite à promouvoir le « moins mais mieux » dans la consommation d’animaux grâce à une politique de labellisation. Celle-ci devrait être soutenue par des campagnes de promotion des produits à l’herbe. Deuxième, le groupe de travail propose des financements innovants afin d’accompagner économiquement et socialement les éleveurs pour maintenir l’attractivité du métier et éviter toute casse sociale. En outre, l’introduction de nouvelles méthodes dans le cadre du label bas carbone devrait permettre de valoriser l’intention de réduire le cheptel. Une autre source de financement envisagée est le développement des paiements pour services environnementaux, ce qui devrait conduire au maintien des bonnes pratiques. Enfin, la note recommande de donner aux collectivités territoriales le moyen de jouer un rôle important en raison de la diversité des situations existant sur le territoire. Pour cela, il faut introduire des délibérations locales : intégrer les problématiques locales dans des plans climats territoriaux et développer des projets alimentaires territoriaux. Tout cela permettrait d’aider la constitution de filières locales vertueuses.
Cet Atelier Co-Ecologique aura donc ouvert un espace de débat très intéressant grâce aux interventions enrichissantes des participant.e.s. Il ouvre ainsi avec succès cette phase de co-construction pendant laquelle chacun peut amender et ajouter des propositions à la Note.