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COP30 à Bélem, et si on écoutait enfin les peuples autochtones ?
Publié le 7 novembre 2025
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Article publié - N°2
Dans ce nouvel Agenda Ecologique, nous revenons sur la COP30 à Bélem qui a lieu du 10 au 21 novembre 2025. Nous faisons le constat du manque de considération des peuples autochtones dans les politiques climatiques et négociations internationales, à la fois vis-à-vis de leur pouvoir politique et de la pertinence de leurs savoirs pour préserver la biodiversité. Ils ne reçoivent que 1% des fonds internationaux destinés à la lutte contre le réchauffement climatique alors qu’ils préservent 80% de la biodiversité. Afin de leur redonner leurs voix, nous nous appuyons sur leur déclaration politique prononcée pendant la Pré-COP à Brasilia en juin 2025.
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Si pour une fois on écoutait enfin ce que les peuples autochtones ont à dire, ou plutôt, ce qu’ils ont toujours dit mais qu’on a délibérément ignoré ? Les États ont une nouvelle opportunité de répondre à cette injustice lors de la 30ème édition de la COP qui aura lieu au sein de l’Amazonie à Belém, au Brésil.
Les peuples indigènes ont été parmi les premiers à mettre en garde contre l’effondrement du climat. Le leader Kayapo Raoni Metuktire déclarait déjà en 1989 lors du concert Humans Rights Now! : “si vous continuez de mettre le feu à nos forêts, les vents souffleront très fort, le soleil brûlera. la Terre. Nous tous, et pas seulement les indigènes, cesserons de respirer. Si vous continuez de détruire la forêt, nous serons tous réduits au silence”
Comment expliquer que leurs paroles aient été invisibilisées ? Comment expliquer qu’ils ne reçoivent que 1 % des fonds internationaux destinés à la lutte contre le changement climatique, alors qu’ils préservent 80 % de la biodiversité restante ?1
“La planète a été consumée par une minorité riche, majoritairement blanche, provenant du nord du globe”
Eliane Brum le résume bien dans son livre intitulé “Banzeiro Okoto : Amazonie, le centre du monde”. La journaliste s’est installée en Amazonie en 2017 pour raconter la lutte contre la destruction de l’environnement et le rôle central qu’y tient l’Amazonie, “la planète a été consumée par une minorité riche, majoritairement blanche, provenant du nord du globe, notamment d’Europe et des États Unis, associée aux élites financières issues de l’extractivisme des pays du Sud, pour la plupart convertis en nations par le projet colonial”.
Pour obtenir ne serait-ce qu’un semblant de justice environnementale, il serait grand temps d’écouter les peuples autochtones et de les considérer comme des acteurs essentiels de la protection de l’Amazonie et du monde.
Cela tombe bien, ils ont déjà formulé des principes et des demandes à respecter pour cette nouvelle COP, lors de la “Pre-COP Indígena”, la conférence qui a eu lieu du 2 au 5 juin 2025 à Brasilia . Ce n’était pas un évènement secondaire, mais une déclaration de souveraineté, élaborée par une douzaine d’organisations indigènes amazoniennes, représentant plus de 500 peuples autochtones et plus 188 peuples isolés.
Dès le début, ils rappellent qu’ils “seront les hôtes et les protagonistes de la trentième session de la COP à Belém. Pour la première fois, le monde discutera de l’avenir du climat sur notre territoire, en Amazonie”.
(1) Rapport de la Rainforest Foundation Norway, “Funding with prupose: a study to inform donor support for indignenous and local community rights , climate and conservation, 2021”
Les six priorités énoncées par les peuples autochtones de l’Amazonie
1. La reconnaissance et la protection de tous les territoires autochtones
Cette priorité concerne en particulier les territoires où vivent des Peuples autochtones isolés et récemment contactés (PIACI), dans le cadre d’une politique et d’une action en faveur du climat.
Les peuples autochtones rappellent que pour eux, “le territoire va au-delà d’un espace physique : c’est un lieu sacré où tous les êtres coexistent en harmonie, unissant le spirituel et le matériel, l’individuel et le collectif, le passé et le présent.”
C’est aussi ce qu’explique Eliane Brum, qui est allée à la rencontre de ces peuples : “les peuples de la forêt n’appartiennent pas à la forêt, ils sont la forêt, car être un Beiradeiro, un Quilombola et un indigène, bien au-delà de tout statut, c’est se comprendre comme nature. Ce ne sont donc pas des peuples de la forêt mais des peuples-forêt”.
“Ces territoires sont des puits de carbone vitaux et des sanctuaires de biodiversité et doivent être protégés contre toute forme d’activité extractiviste.”
Par ailleurs, Paula Alvarado, dans son article “A mandate from the forest : Indigenous Peoples of the Amazon deliver climate demands ahead of COP30º » pour l’association TINTA souligne que cette protection des territoires autochtones n’est pas seulement une question de droits humains mais aussi une priorité pour la stratégie climatique : “Ces territoires sont des puits de carbone vitaux et des sanctuaires de biodiversité et doivent être protégés contre toute forme d’activité extractiviste”.
2. Financement direct et autonomie financière
Les peuples autochtones précisent cette priorité en disant que “les mécanismes financiers […] doivent inclure et donner la priorité à des mécanismes d’accès direct aux ressources pour les peuples autochtones.”
Cette priorité d’autonomie financière est aussi un enjeu de justice environnementale. Le rapport des Nations Unies intitulé “La situation des peuples autochtones dans le monde” avertit que si les actions en faveur du climat continuent d’être conçues et mises en œuvre sans placer les peuples autochtones au centre, elles risquent de reproduire les systèmes d’extraction et d’exclusion qui ont alimenté la crise en premier lieu. Le rapport révèle que le rôle des peuples autochtones dans l’élaboration et la mise en œuvre de la politique climatique reste très limité, tant en termes de financement que de gouvernance.
Ainsi, Paula Alvarado conclut que “la finance climatique doit être au service des communautés indigènes à travers des mécanismes de leur propre gouvernance et non pas filtrés à travers des structures étatiques qui échouent souvent à protéger leurs droits”.
3. Représentation et participation effective
Cette priorité fait écho au préambule de leur déclaration où les peuples autochtones affirment qu’il n’y aura pas d’avenir possible sans les peuples autochtones au centre des décisions mondiales”.
Il s’agit de “garantir la représentation et la participation complètes, équitables, inclusives, efficaces et sensibles au genre des peuples autochtones à la prise de décision dans tous les espaces de prise de décision sur le climat, y compris la COP30.”
4. Protection des défenseurs autochtones
Ces défenseurs autochtones sont les leaders qui continuent d’être persécutés, criminalisés et assassinés pour avoir défendu les forêts et les rivières.
Malheureusement, ces attaques ne sont pas nouvelles. Eliane Brum rappelle que “les attaques contre les Indigènes n’ont jamais cessé depuis les années 1500”. Elle fait bien sûr référence à la colonisation, mais aussi plus récemment à l’utilisation d’une arme biologique inattendue par Jair Bolsonaro dans son plan de destruction des peuples indigènes, le virus du COVID-19. “Lorsque le Covid-19 est arrivé, les terres indigènes se sont retrouvées à la merci du virus. Non seulement le gouvernement n’a pas élaboré de plan d’urgence de protection des populations autochtones, mais il a opposé son véto à des droits fondamentaux tels que des lits d’hôpitaux et à l’eau potable. Il a même refusé qu’on diffuse une campagne d’informations dans les différentes langues indigènes”. Elle conclut alors que “les mondes indigènes n’en sont donc pas à leur première fin”.
5. Inclusion des systèmes de connaissance autochtones
Les peuples autochtones affirment que ces systèmes de connaissances doivent être reconnus “comme des stratégies légitimes d’atténuation, d’adaptation et de restauration de l’environnement.”
Le rapport sur “l’évaluation thématique des causes sous-jacentes de la perte de biodiversité et des déterminants du changement transformateur” de l’IPBES insiste sur le fait qu' »il est essentiel […] de reconnaître les différentes façons d’appréhender le savoir, de relier les connaissances à l’action et de trouver des moyens de transcender les limites de l’imagination. Cela implique de décoloniser le monde universitaire et de faire place aux connaissances autochtones et locales. La revitalisation et le soutien de ces cultures […] offrent la possibilité de passer de relations anthropocentriques de domination à des relations éco-centriques de bienveillance envers tous”.
Le rapport des Nations Unies appelle aussi à un changement radical dans la manière dont les connaissances autochtones sont comprises et respectées, en les considérant non pas comme “traditionnelles” ou folkloriques, mais comme des connaissances scientifiques et techniques. Selon les auteurs, les systèmes de connaissances autochtones sont “éprouvés par le temps, fondés sur des méthodes” et reposent sur des relations directes avec les écosystèmes qui ont permis de maintenir la vie pendant des millénaires. Par exemple, les Comcaac du Mexique encodent les connaissances écologiques et maritimes dans leur langue. Des noms comme Moosni Oofia (où les tortues vertes se rassemblent) et Tosni Iti Ihiiquet (où les pélicans éclosent) agissent comme des points de données vivants – “vitaux pour leur survie”.
6. Protection des défenseurs autochtones
Ce dernier point vise la création d’un décret qui établisse les territoires autochtones comme des zones exemptes d’activités extractives, afin de protéger la vie, les droits et les écosystèmes.
“Grâce aux richesses des terres étrangères, […] ils ont mené la révolution industrielle et posé les bases du capitalisme, à la 6ème extinction de masse”
Eliane Brum rappelle à quel point l’extractivisme du colon blanc nuit à la planète. “Grâce aux richesses des terres étrangères, dont ils se sont emparés et qu’ils ont converties en colonies, ils ont mené la révolution industrielle et posé les bases du capitalisme, à la 6ème extinction de masse”.
Selon le rapport d’Antonio Nobre, agronome activiste brésilien, intitulé “L’avenir climatique de l’Amazonie”, 47 % de la forêt brésilienne a été touchée par l’activité humaine au cours des 40 dernières années.
En plus des six priorités, les peuples autochtones de l’Amazonie ont rédigé des demandes…
La déclaration va plus loin, offrant un ensemble de demandes répondant aux six priorités, chacune dirigée à l’attention d’un public spécifique.
Dans leur déclaration politique, les demandes sont réparties en fonction de la cible. D’abord aux États parties à la CCNUCC. Puis, aux États parties de l’Organisation du traité de coopération amazonienne (l’OTCA). Enfin, aux gouvernements des pays amazoniens.
Ainsi, il n’y a plus aucune excuse pour ne plus prendre en compte les peuples autochtones dans les négociations internationales. Leurs demandes et priorités formulées dans leur déclaration sont claires, il ne reste plus qu’à y répondre.
Certains prévoient déjà d’y répondre, notamment au “Peoples’ Summit”, qui réunit plus de 1000 organismes et aura lieu du 12 au 16 novembre en parallèle de la COP. Ils offrent une analyse répartie en six axes.
Celle-ci tente de faire accepter non seulement la reconnaissance des peuples indigènes mais aussi de compléter l’action avec une pluralité d’approches. Ces dernières portent sur le décolonialisme, la communauté LGBTQIAPN+ en plus d’une dimension écoféministe.
Par exemple, le sommet promeut la construction d’une économie féministe prenant le contrepied de l’économie néolibérale, ou encore des politiques mémorielles, de justice et de réparation pour les peuples historiquement touchés par le racisme environnemental et l’injustice climatique.
Alors, la COP30 changera-t-elle la donne ? A vous d’en juger !
Annexe
Demandes récupérées de la “DÉCLARATION POLITIQUE DES PEUPLES AUTOCHTONES DU BASSIN AMAZONIEN ET DE TOUS LES BIOMES DU BRÉSIL POUR LA COP30″.
CCNUCC |
OCTA |
Pays amazoniens |
Garantir la protection des territoires autochtones en tant qu’action climatique prioritaire. |
Demandent que le Secrétariat de l’OTCA transmette officiellement la Déclaration autochtone de la pré-COP aux espaces de négociation de la COP30 |
L’intégration pleine et juridiquement contraignante des savoirs, systèmes de gouvernance, plans de vie et mécanismes propres aux peuples autochtones dans les contributions déterminées au niveau national (CDN) et les plans nationaux d’adaptation (PNA) |
Inclure la protection des territoires autochtones dans les négociations au sein des cadres d’atténuation et d’adaptation |
Opérationnaliser les engagements liés à la protection des droits humains, des droits autochtones et des droits territoriaux des peuples autochtones1, y compris les peuples autochtones isolés et récemment contactés (PIACI), |
La garantie de la sécurité juridique et légale des territoires et des ressources des peuples autochtones, y compris ceux des peuples autochtones en isolement et en contact initial (PIACI) |
Aligner le Programme de travail pour une transition juste (JTWP) sur les droits des peuples autochtones. |
Adopter une déclaration politique régionale reconnaissant l’Amazonie comme une zone exempte d’activités extractives, en tant que mesure stratégique pour une transition énergétique juste et l’élimination progressive des combustibles fossiles, dans le respect des droits des peuples autochtones. |
La promulgation d’instruments juridiques nationaux déclarant les territoires autochtones amazoniens comme zones d’exclusion pour les activités extractives |
Adopter un calendrier contraignant (feuille de route) pour l’élimination progressive des combustibles fossiles |
Mettre en œuvre le mécanisme de l’Amazonie pour les peuples autochtones |
Accorder des mesures légales au niveau national pour la protection des peuples autochtones isolés et récemment contactés (PIACI)
|
Garantir aux peuples autochtones un accès direct au financement climatique |
Créer un mandat formel pour que les structures financières de l’OTCA incluent des mécanismes d’accès direct pour les peuples autochtones de l’Amazonie, conformément à nos propres systèmes de gouvernance et priorités territoriales. |
Garantir la pleine et effective représentation et participation des peuples autochtones dans tous les espaces nationaux de prise de décision qui affectent nos territoires et ressources |
Assurer la représentation et la participation pleines et effectives des peuples autochtones à tous les niveaux de la prise de décision de la CCNUCC. |
Opérationnaliser l’Observatoire sur les défenseurs et défenseuses des droits des peuples autochtones et environnementaux |
Garantir l’accès direct au financement climatique pour les peuples autochtones au sein des espaces nationaux |
Intégrer la protection des défenseurs des droits territoriaux |
Traiter les impacts du mercure sur les peuples autochtones et les écosystèmes amazoniens |
— |
Assurer la protection des systèmes de connaissances des peuples autochtones. |
— |
— |
Sources
Rapport des Nations Unies, “La situation des peuples autochtones dans le monde, 2010. https://www.un.org/esa/socdev/unpfii/documents/SOWIP/executive%20summary/sowip-summary-fr.pdf
Banzeiro Okoto : Amazonie, le centre du monde, Eliane Brum, 2024
“A mandate from the forest: Indigenous Peoples of the Amazon deliver climate demands ahead of COP30″, Paula Alvarado, 17 juin 2025 https://thisistinta.org/a-mandate-from-the-forest-indigenous-peoples-of-the-amazon-deliver-climate-demands-ahead-of-cop30/
Rapport de l’IPBES sur la biodiversité, “Thematic Assessment Report on the Underlying Causes of Biodiversity Loss and the Determinants of Transformative Change and Options for Achieving the 2050 Vision for Biodiversity” 2024 https://www.ipbes.net/transformative-change-assessment
Peoples’ Summit toward COP30 https://cupuladospovoscop30.org/en/peoples-summit/
Déclaration politique des peuples autochtones du bassin amazonien et de tous les biomes du Brésil pour la COP30 https://coiab.org.br/wp-content/uploads/2025/06/FR_DECLARATION-POLITIQUE-DES-PEUPLES-AUTOCHTONES_COP30.pdf
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Acteur social majeur, fort d’une implantation territoriale unique et d’un réseau de plus de 38 000 personnes en France, le mouvement Emmaüs a initié, en 2024 et 2025, un cycle de conventions citoyennes internes dédiées à l’écologie. Avec son activité historique de récupération, de tri, de réparation et de mise en vente d’objets de « seconde main », Emmaüs a parfois été décrit comme une organisation qui, depuis soixante-dix ans, fait de l’écologie sans le savoir. Pouvait-on mettre des mots sur ces pratiques et dessiner les contours d’une écologie réellement solidaire ? La Fondation Jean-Jaurès et La Fabrique écologique se sont associées à cette démarche, conscientes de l’opportunité rare qu’elle représentait : observer comment les enjeux écologiques sont perçus, débattus et pratiqués par des publics variés, incluant des personnes en situation de grande précarité.
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