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L’alimentation locale : atouts et limites
Publié le 30 avril 2024
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Décryptage - N°47
Le décryptage d’Ophélie Petiot vise à analyser les ressorts de la consommation locale : les raisons qui peuvent motiver cette pratique, ses avantages, mais aussi ses limites. Elle invite à se questionner sur les définitions du terme « local » qui varient selon le contexte socioculturel, la zone géographique, et les revendications associées. Ce décryptage propose également une analyse des répercussions écologiques liées à la consommation de certains produits spécifiques, et montre les résistances sociales et économiques pouvant découler de la relocalisation des moyens de production.
Sommaire
Introduction
I - Les avantages de l'alimentation locale : une définition selon le point de vue du consommateur.
II - L’alimentation locale : un acte d’engagement, plébiscité dans la limite du pouvoir d’achat du consommateur.
III - Les limites de l’alimentation locale pour le consommateur : un local toujours plus durable et sûr ?
Conclusion
Notes de bas de page
Introduction
En février 2024, le salon de l’agriculture s’est tenu dans une ambiance tendue. Les agriculteurs français ont notamment exprimé leur préoccupation concernant la concurrence déloyale d’autres produits provenant de l’Union européenne ou d’ailleurs, et leur mécontentement face à des rémunérations insuffisantes. La colère avait atteint son paroxysme en janvier 2024 : les agriculteurs avaient organisé des barrages à proximité de Paris dénonçant des rémunérations insuffisantes et les difficultés à produire face à l’augmentation des importations de denrées alimentaires à plus bas prix en provenance de l’extérieur de la France – Union européenne ou hors Union européenne.
Dans ce contexte, si l’alimentation locale est populaire auprès des consommateurs, les importations de certains produits continuent de croître fortement comme celle de la viande de poulet originaire d’Ukraine[1] moins coûteuse. En 2022, la FNSEA, avait déjà dénoncé ces importations qui ne sont pas soumises à la réciprocité des normes imposées[2] comme une concurrence déloyale. A ces difficultés s’ajoute une position de faiblesse des agriculteurs face aux industriels et aux distributeurs. Les principaux syndicats d’agriculteurs (FNSEA et Jeunes Agriculteurs) réclament dans une liste de revendications[3] le respect total des lois Egalim devant garantir une juste rémunération de leurs produits dans le cadre des négociations commerciales avec les industriels et les distributeurs. Comment dans ce cadre réussir à garantir le maintien d’une agriculture locale et de produits locaux ?
Hormis les relations entre les agriculteurs, les transformateurs et les distributeurs, le rôle du consommateur dans l’achat de produit locaux est central. Encourager la production de denrées alimentaires locales nécessite d’abord d’acheter ces produits. Bien qu’ils soient invités à consommer français, les consommateurs se tournent-ils plus naturellement vers les produits locaux ? Les consommateurs sont-ils prêts à payer plus cher une alimentation issue de la production française voire plus locale ? Pour répondre à ces questions, ce décryptage propose une analyse de « l’alimentation locale », de ses atouts et de ses limites.
I - Les avantages de l'alimentation locale : une définition selon le point de vue du consommateur.
L’alimentation locale était autrefois la norme pour les consommateurs. Achetés dans de petits commerces, à proximité immédiate de leur domicile, les produits locaux faisaient partie intégrante de leur alimentation. Avec la mondialisation et l’ouverture des marchés, l’origine géographique des produits consommés n’a cessé de se diversifier. Pourtant dans ce contexte, qu’il s’agisse de biens matériels ou d’alimentation, le local paraît plus sûr, de qualité et est de fait volontiers plébiscité. Dans le cas de l’alimentation, ce besoin de confiance est encore renforcé car le produit est avalé.
« Face à une consommation standardisée et largement désincarnée, face à une société de plus en plus fragmentée, les produits locaux, formidables vecteurs d’ancrage, d’identité, de confiance et de proximité, apparaissent comme une valeur refuge » précisent Emily Mayer et Philippe Goetzmann[4].
Le produit local dispose de plusieurs atouts pour le consommateur. Ces produits participent d’abord à l’encouragement de l’activité économique à proximité du lieu de vie. Ils sont perçus comme étant à l’origine d’emplois et de dynamisme pour les territoires qui les accueillent car les aliments locaux consommés sont souvent des aliments transformés. Les Français ont en effet réduit de de 25 %[5] entre 1986 et 2010 le temps consacré à la préparation de leurs repas à domicile. Cette réduction du temps de préparation des repas s’accompagne d’une hausse de la consommation des aliments transformés. Souvent perçus comme pratiques, découpés, voire déjà cuisinés, ils sont intégrés à l’alimentation quotidienne. Selon l’INSEE la part des plats préparés dans les achats alimentaires des Français a d’ailleurs augmenté de 4,4 % par an[6] en volume depuis les années 1960. Ces aliments transformés le sont en amont par des acteurs économiques via l’industrie agroalimentaire.
« Nous consommons beaucoup de produits transformés. La clé du local se situe certes dans l’agriculture, mais encore plus dans l’industrie. » Emily Mayer et Philippe Goetzmann, La consommation de produits locaux, de l’héritage à la richesse productive, Fondation Jean-Jaurès, 2023.
Même si un aliment local est souvent caractérisé comme artisanal et en circuit court[7], pour acheter local les consommateurs se tournent plus naturellement vers les supermarchés et hypermarchés où les produits agroalimentaires occupent une place essentielle. Finalement, peu de produits locaux n’y ont pas recours. Cette consommation favorise la production industrielle au sein des territoires. Par ailleurs, la sécurité sanitaire des produits est un autre atout perçu par les acheteurs, français ou internationaux. Les normes sanitaires imposées aux entreprises françaises sont de fait un réel facteur de compétitivité[8].
Aussi, les produits locaux sont associés à un gage de qualité dont les consommateurs français sont attentifs. Entré au patrimoine immatériel de l’humanité de l’Unesco en 2010, le repas gastronomique[9] fait partie intégrante de la culture française. La France bénéficie d’une alimentation de plaisir, une véritable culture alimentaire souvent enviée dans le reste du monde. Disposant de nombreux terroirs et d’une grande diversité de produits alimentaires, les spécialités sucrées, salées, ainsi que les nombreuses boissons sont autant de produits cuisinés et consommés chaque année en France et dans le monde. Cette culture particulière s’exprime d’abord par le temps passé à table où, en ce domaine, les Français sont champions du monde selon l’OCDE.
Graphique présentant le classement des Etats passant le plus de temps à table, selon Statista[10]
Avec une moyenne de 2 h 13 par jour passés à table, les Français sont les premiers au monde à passer autant de temps autour d’une table pour se nourrir. Cette spécificité s’explique par le fait que l’alimentation est, en plus d’un acte nourricier, un acte social et de culture. Le choix des aliments consommés y est aussi très varié. Lors du petit-déjeuner, déjeuner ou dîner les aliments consommés diffèrent. Cette culture de l’alimentation est d’autant plus complexe qu’elle varie aussi de région en région, voire à une échelle plus fine. Certaines villes s’identifient à leurs plats emblématiques (la bouillabaisse à Marseille, le cassoulet à Toulouse etc.), tandis que certains territoires préfèrent la cuisine au beurre et d’autres à l’huile… Ces spécificités locales sont un marqueur d’identité. Même si une multitude de produits locaux sont consommés en France, le repas est de part et d’autre du territoire un moment de plaisir dans lequel le choix des produits est central.
« Le repas gastronomique met l’accent sur le fait d’être bien ensemble, le plaisir du goût, l’harmonie entre l’être humain et les productions de la nature. Parmi ses composantes importantes figurent : le choix attentif des mets parmi un corpus de recettes qui ne cesse de s’enrichir ; l’achat de bons produits, de préférence locaux, dont les saveurs s’accordent bien ensemble ; le mariage entre mets et vins ; la décoration de la table ; et une gestuelle spécifique pendant la dégustation (humer et goûter ce qui est servi à table) » Claire Villiers, Les Français champions du monde du temps passé à table », à partir des sources OCDE, Statista, 2023.
Les aliments ne sont pas choisis au hasard pour composer un repas par les consommateurs français : une multitude de facteurs entrent en compte lors de l’acte d’achat. Ils privilégient des produits de qualité, des produits dans lesquels ils s’identifient, intégrés à leur culture alimentaire, sûrs d’un point de vue sanitaire mais également abordables financièrement. De nombreux critères entrent en compte dans le choix des produits locaux.
« Quand on pense « aliments », les premières idées qui viennent à l’esprit gravitent généralement autour des questions de goût et de plaisir sensoriel, puis de sûreté, de nutrition et de santé, mais également de technologie, de provenance et d’agronomie, et souvent de prix. Puis en approfondissant la réflexion, d’autres dimensions s’associent, notamment sociales et culturelles (socialisation, convivialité, identité, patrimoine, etc.), politiques et économiques (sécurité et souveraineté, plans nationaux, droit, commerce international, emplois, etc.) et environnementales (émissions de gaz à effet de serre, pollutions chimiques, exploitation des ressources naturelles, biodiversité, etc.). » Christine Cherbut, « De la complexité du rapport à l’aliment », Annales des Mines – Réalités industrielles, mai 2020[11].
Dans le choix des produits alimentaires, il existe donc aussi des facteurs culturels, sociaux et politiques. Le consommateur exprime sa culture et ses convictions par l’acte d’achat. La consommation relève de fait d’une marque d’engagement du consommateur.
II - L’alimentation locale : un acte d’engagement, plébiscité dans la limite du pouvoir d’achat du consommateur.
L’engagement du consommateur pour une alimentation locale dépend en substance de sa définition de ce qu’est le « local » avant l’acte d’achat. Consommer des produits alimentaires locaux, c’est se nourrir à proximité immédiate de l’espace dans lequel on vit. Cette acception renvoie à la notion de proximité, en réalité très relative. Correspond-t-elle à la ville ou au village dans lesquels le consommateur réside ? Ou bien au département, à la région ou au pays tout entier ? Toute la question est de pouvoir caractériser le « local » d’un point de vue géographique, ce que certains consommateurs ont réussi à définir pour leur propre alimentation. Ces consommateurs particuliers sont surnommés les « locavores ». Selon Monique Poulot, il s’agit d’un mouvement initié dès les années 1980 qui consiste à s’approvisionner en aliments dans un périmètre géographique restreint.
« Cette belle histoire s’inscrit dans un mouvement de fond, initié aux États-Unis dans les années 1980, de remise en cause des habitudes alimentaires contemporaines fondées sur l’internationalisation croissante des marchés et le développement d’instruments efficaces de distribution alimentaire. » Poulot, Monique. « Vous avez dit « locavore » ? De l’invention du locavorisme aux États-Unis », Pour, numéro 3, 2012, p. 349‑54.
Initié aux Etats-Unis, ce mouvement engagé du locavorisme s’exporte peu à peu sur la planète. Pour être locavore, les biens consommés doivent être produits au maximum entre 160 km et 250 km. Mais cette définition du local varie d’un consommateur à un autre : elle peut être synonyme d’une consommation régionale, ou nationale. Elle varie en fonction du sentiment d’appartenance de chacun à un territoire et de sa façon de le percevoir. Cet élément est perceptible en Europe où la considération de ce qu’est le « local » n’est pas la même d’ouest en est. Par exemple, si les Français, les Allemands, les Italiens, les Espagnols et les Portugais déclarent à plus de 70 % que consommer local c’est d’abord acheter des biens de consommation régionaux, il n’en est pas de même à l’est. Les Hongrois, Roumains ou Tchèques considèrent en effet qu’une production locale est avant tout nationale[12].
Les produits locaux recouvrent une dimension militante du consommateur. Ce dernier achète local par choix. Le consommateur éclairé modifie ainsi sa consommation pour qu’elle réponde davantage à ses valeurs. Il devient acteur de sa consommation, ou « consom’acteur ».
« Le consom’acteur veut consommer différemment : citoyen informé, conscient de son rôle, il veut utiliser son pouvoir d’achat pour faire passer un message, un choix en faveur de produits éthiques et équitables, qui ne répondent pas seulement à des caractéristiques commerciales, mais à des données sociétales. Il interroge, de l’intérieur, le système de consommation ; il lui demande des engagements, des principes, des valeurs ». Dominique Schelcher, Le bonheur est dans le près : le commerce au cœur du vivre ensemble, Paris, L’Archipel, 2022, p.5
Cette conscientisation croissante du consommateur s’accompagne d’une augmentation de l’achat de produits locaux. Selon une enquête IPSOS[13], les consommateurs français étaient en 2014 de plus en plus attentifs à l’origine des produits, mais également au lieu de fabrication de ces derniers. 8 Français sur 10 déclarent être plus vigilants sur l’origine d’un produit alimentaire. Cette enquête précise que 69 % de ces consommateurs déclarent acheter des produits locaux de manière plus fréquente. En achetant des produits locaux, le consommateur se voit donc muni de différents moyens d’action, principalement trois selon l’observatoire Cetelem : encourager l’économie locale, favoriser l’emploi de proximité et consommer des produits de bonne qualité[14]. D’autres motivations existent cependant, comme la volonté de réaliser des achats plus écologiques, participer au rayonnement culturel des produits locaux de sa région, ou encore mieux connaître la composition des produits. Si cette consommation est bien ancrée en France et en croissance, ailleurs la consommation locale est également un mode de consommation décrit comme « responsable ». En Allemagne, les circuits courts apparaissent ainsi comme des alternatives intéressantes pour la consommation de produits alimentaires. L’alimentation locale est une réelle demande en Europe, bien qu’elle ne soit parfois pas la première préoccupation des consommateurs.
Graphique issu du rapport Food Safety in the EU de l’EFSA, avril 2022, page 14.
Quand vous achetez de la nourriture, lequel de ces éléments est le plus important pour vous ? En premier ? Et ensuite ? (Au maximum 3 réponses sont attendues)
À la question « quand vous achetez de la nourriture, lequel des éléments suivants est le plus important », les personnes appartenant à 5 pays mettent en premier « l’origine géographique du produit » (dans l’ordre : Slovénie, France, Luxembourg, Suède et Allemagne). En revanche dans 15 Etats c’est « le coût » qui est le premier critère. Si l’origine géographique des produits est une vraie préoccupation, le pouvoir d’achat des consommateurs reste une priorité. Dans le cas français, d’autres études montrent d’ailleurs que le prix reste aussi la première motivation d’achat[15].
Selon l’observatoire Cetelem, le prix est ainsi le principal critère d’achat suivi de la qualité et du goût[16]. A 58 %, les consommateurs accepteraient de payer un produit local plus cher, entre 5 % et 10 % au maximum, ce qui pèse sur la marge potentielle des produits locaux. Cela explique que malgré le fait que les consommateurs français souhaitent à plus de 51 % davantage de produits locaux et à 49 % des produits fabriqués en France[17] dans les hypermarchés ou supermarchés[18], la consommation de produits locaux reste modérée. Ainsi les produits locaux ne représentent que 2,2 % du chiffre d’affaires des produits de grande consommation en France[19].
III - Les limites de l’alimentation locale pour le consommateur : un local toujours plus durable et sûr ?
La consommation locale semble aller de pair avec une durabilité alimentaire. Dans la mesure où les biens consommés seraient produits localement ils sont spontanément considérés comme plus écologiques. En réduisant les distances et le transport des marchandises, la consommation locale réduirait de fait la production de gaz à effet de serre. Pourtant, ce calcul n’est pas si simple et représente la première limite de l’alimentation locale. Les émissions de gaz à effet de serre (GES) varient beaucoup entre produits et modes de production. Par exemple, selon l’Ademe, la consommation de haricots verts de contresaison importés par avion depuis l’Afrique subsaharienne présente un volume très important de GES émis. Un kilogramme de ces légumes équivaut en effet, depuis sa production à son transport jusqu’au lieu de consommation (en passant par sa transformation et son conditionnement) à plus de 22,8 kg de GES par kg d’aliment ingéré[20]. Par comparaison, dans le cas de haricots verts locaux, les émissions reviendraient à 0,7 kg de GES. En produisant localement, la réduction de la production de gaz à effet de serre semblerait donc très nette pour un même produit. Mais tout dépend des techniques de production et du respect de la saisonnalité. L’empreinte carbone d’une alimentation locale, fondée sur des fruits et légumes de saison sera faible. Mais selon Gautier Avril fondateur de la société Pure control qui propose des solutions de pilotage énergétique, une tomate produite en France sous serre en Bretagne et en hiver émet autant de gaz à effet de serre qu’une tomate produite en Afrique du Sud et transportée en camion jusqu’au marché français[21]. Et, dans le cas de la consommation de viande locale, les émissions de carbone restent très élevées. Selon l’Ademe, le kilogramme de viande de veau de race à viande (charolaise, limousine, etc.) équivaut à 48,6 kg de GES en production locale.
En fonction des produits achetés, privilégier une alimentation locale semble plus durable et s’inscrit dans une démarche d’engagement du consommateur. Néanmoins, d’après la sociologue Sophie Dubuisson-Quellier membre du Haut conseil pour le climat, cet engagement de la part du consommateur est variable d’un pays à l’autre de l’Europe[22]. Si 61 % des consommateurs suédois pensent que la consommation locale permet de s’engager en faveur de l’environnement, ils ne sont que 16 % en Bulgarie[23]. En France, 44 % des consommateurs considèrent que consommer local est d’abord un acte en faveur de l’environnement[24]. En effet, privilégier les productions alimentaires locales permet de réduire les coûts de transport ainsi que les chaines d’approvisionnement. Pourquoi alors ne pas relocaliser certaines productions ? Ce n’est pas si simple. En effet ces relocalisations peuvent se heurter à certaines résistances locales. Leur impact paysager, leur utilisation des ressources locales, les nuisances qu’elles apportent (bruits, odeurs, etc.) sont un frein potentiel à l’implantation de nouvelles industries agroalimentaires.
L’alimentation locale peut s’apparenter, dans l’imaginaire du consommateur, à un produit réalisé entièrement dans un périmètre restreint. Or ce n’est pas toujours le cas. Pour consommer local, l’acheteur se tourne naturellement vers des certifications, des labels qui encouragent les produits régionaux. Ceux-ci sont répartis dans la France entière. Label rouge, Appellation d’Origine Protégée (AOP), Appellation d’Origine Contrôlée (AOC), Indication Géographique[25], Indication Géographique Protégée (IGP), Spécialité Traditionnelle Garantie et Production Biologique, etc., sont autant de signes de qualité et d’origine des produits que l’on trouve sur le territoire français. Ces labels imposent un cahier des charges à la production alimentaire. Parfois strictes, les règles à appliquer pour obtenir ces précieux labels sont un gage de qualité. Ces labels à vocation nationale sont aussi couplés à de nombreux labels régionaux qui certifient une production de l’aliment à l’échelle d’une région. Mais bénéficier d’un label régional ne signifie pas nécessairement que l’entièreté des produits utilisés dans la confection de l’aliment provient de la région. Des labels régionaux mentionnent explicitement l’utilisation d’aliments extérieurs à la région dans la confection de leurs produits finis. C’est le cas du sigle Produit en Bretagne respectant la règlementation européenne.
« Des ingrédients bretons quand ils sont disponibles
Quand un ingrédient est disponible dans la qualité et la quantité nécessaire, il doit être sourcé en Bretagne. Si le ou les ingrédients principaux ne sont pas disponibles dans la qualité et/ou la quantité requises, ils peuvent être achetés à l’extérieur, mais le produit ne pourra revendiquer le logo que s’il a été transformé substantiellement (cf définition du règlement européen) et apporte une valeur ajoutée notable. Ce qui prime, c’est le savoir-faire et l’emploi. Produit en Bretagne n’est pas Produit de Bretagne. C’est pour nous l’action de produire qui importe en tout premier lieu, et de ce fait l’emploi. » Passage issu du site internet officiel du label « Produit en Bretagne »[26].
Certains acteurs locaux dénoncent sur ce point un manque d’informations sur des produits commercialisés dans cette région. L’association Blé Noir Tradition Bretagne, titulaire d’une Indication Géographique Protégée (IGP), se préoccupe ainsi de la concurrence déloyale de transformateurs qui utilisent du blé noir en provenance de l’Europe de l’Est, voire même d’Asie[27]. En ce sens, consommer local, peut aussi être à l’origine d’une empreinte environnementale importante bien qu’elle favorise l’activité et l’emploi sur le territoire d’origine.
De plus toutes les marques locales ne sont pas détenues par des artisans ou de petits industriels locaux. Les grandes entreprises développent aussi des stratégies d’investissement dans des marques locales pour diversifier leur offre. Consommer local, ne signifie pas nécessairement encourager les petites et moyennes entreprises des territoires où elles sont situées.
« Comme les distributeurs, les grands industriels de l’agroalimentaire sont confrontés à ce mouvement. Depuis cinquante ans, le développement de la grande classe moyenne les a amenés à adopter des stratégies de massification et de standardisation. Ils ont ainsi souvent absorbé les capacités de production et les produits de marques locales. Comme celui des enseignes qui ont connu le même mouvement, le cimetière des marques est rempli de marques locales qui se sont développées en perdant leur ancrage. […] Des années 1960 à l’an 2000, les grands brasseurs mondiaux ont absorbé la quasi-totalité des brasseurs locaux et concentré la production sur quelques marques internationales. Vingt ans plus tard, l’explosion des microbrasseries les a amenés à inverser leur stratégie et, à côté des marques mondiales, à distribuer une grande variété de petites marques, de niche ou locales. » Fondation Jean-Jaurès. Emily Mayer et Philippe Goetzmann, à partir de l’étude de l’IRI, « La consommation de produits locaux : de l’héritage à la richesse productive ».
Lorsque des entreprises transnationales investissent dans des marques locales, une concurrence se développe donc entre producteurs locaux et grands groupes. En Haute-Savoie, par exemple, des petites coopératives laitières ont résisté face à l’installation de Lactalis par son acquisition de la marque locale Pochat et Fils[28]. Ces luttes d’influence peuvent rendre plus difficile la communication à l’égard des consommateurs voire les détourner des marques concernées.
Enfin, pour que l’offre en produits locaux soit suffisamment abondante pour le consommateur, il faut que le tissu productif local permette de la produire. Or, toutes les régions ne sont pas en mesure de transformer tous les produits de consommation quotidienne. Si la région Bretagne dispose de 1187 unités légales en agroalimentaire, la région Centre Val-de-Loire n’en dispose que de 509[29]. Certaines régions peuvent donc davantage répondre aux besoins de produits locaux des consommateurs. La consommation locale est ainsi plus importante dans les régions où l’identité régionale est forte. En Alsace, dans le Bas-Rhin, les produits locaux représentent par exemple 8,3 % du chiffre d’affaires des produits de grande consommation, de frais et libre-service contre 0,4 % en Seine-et-Marne[30].
Conclusion
Ce décryptage sur les différentes formes prises par l’alimentation locale a permis de décrire un paysage plus complexe qu’on ne l’imagine au premier abord : implication des grands groupes agroalimentaires dans la production et la distribution locale, ambivalence des consommateurs qui continuent majoritairement à faire passer le prix au premier rang dans l’acte d’achat, complexité des labels et des appellations de qualité qui ne traduisent pas toujours le recours ultime aux produits locaux, empreinte carbone élevée de certains produits locaux.
Il n’en demeure pas moins que le goût des Français pour les aliments locaux, reflet d’une culture gastronomique qui a des racines historiques et populaires, offre un fondement solide à un renforcement de la place de l’alimentation locale dans la consommation. C’est un atout indéniable en termes de santé et environnement et de relocalisation des productions.
Notes de bas de page
[1] L’interprofession ANVOL déclarait dans son bulletin numéro 489 du 06 septembre 2023, une augmentation de 137% des importations de poulets ukrainiens sur le marché européen.
[2] Information tirée du communiqué de presse de la FNSEA intitulé « l’exigence de réciprocité des normes à l’importation est possible et indispensable ! » du 15 juin 2022.
[3] Liste de revendications issue du communiqué « #on marche sur la tête / synthèse des revendications FNSEA » du 24 janvier 2024.
[4] Etude d’Emilie Mayer et Philippe Goetzmann publiée sur le site de la Fondation Jean-Jaurès, à partir des données IRI/CIRCANA : https://www.jean-jaures.org/publication/la-consommation-de-produits-locaux-de-lheritage-a-la-richesse-productive/
[5] Chiffre issu du rapport INSEE Première numéro 1568, Cinquante ans de consommation alimentaire : une croissance modérée, mais de profonds changements, octobre 2015.
[6] Ibid
[7] Fondation Jean-Jaurès. Emily Mayer et Philippe Goetzmann, à partir de l’étude de l’IRI, « La consommation de produits locaux : de l’héritage à la richesse productive ». https://www.jean-jaures.org/publication/la-consommation-de-produits-locaux-de-lheritage-a-la-richesse-productive/
[8] Selon Ly, Carole. « L’excellence sanitaire : une obligation, qui constitue un facteur de compétitivité à l’international ». Annales des Mines – Réalités industrielles Mai 2020, no 2 (2020): 46 50.
[9] https://ich.unesco.org/fr/RL/le-repas-gastronomique-des-francais-00437
[10] Lien de référence du graphique : https://fr.statista.com/infographie/13223/heures-minutes-passees-manger-et-boire-par-pays/
[11] L’analyse de Christine Cherbut est accessible sur ce lien : https://www.cairn.info/revue-realites-industrielles-2020-2-page-5.htm.
[12] Étude Think Local, Act Local de l’observatoire Cetelem en 2019, les consommateurs de 17 pays européens sont ici interrogés (échantillon de 13 800 individus âgés de 18 à 75 ans dans les Etats suivants : France, Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Danemark, Espagne, Hongrie, Italie, Norvège, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Slovaquie, Suède. Accessible sur ce lien : https://observatoirecetelem.com/lobservatoire-cetelem-de-la-consommation/think-local-act-local-penser-local-agir-local
[13] Réalisée en partenariat avec Bienvenue à la ferme, accessible sur ce lien : https://www.ipsos.com/fr-fr/consommer-local-ce-que-veulent-les-francais
[14] Selon l’étude Think Local, Act Local de l’observatoire Cetelem en 2019 (lien à la page précédente).
[15] D’après le sondage l’inflation, quel impact sur le frigo des Français, par OpinionWay pour Sofinscope, février 2023.
[16] Selon l’étude Think Local, Act Local de l’observatoire Cetelem en 2019.
[17] Ibid
[18] Chiffre de l’IRI, issu de l’étude shopperscan 2021
[19] Chiffre IRI, l’offre locale en Grande Distribution, 2022.
[20] Selon l’étude Food GES de l’Ademe, 2015.
[21] Selon les chiffres de l’article Bilan carbone : une tomate sous serre équivaut-t-elle à une tomate d’Afrique du Sud accessible sur ce lien : https://france3-regions.francetvinfo.fr/bretagne/ille-et-vilaine/rennes/bilan-carbone-une-tomate-sous-serre-equivaut-elle-a-une-tomate-d-afrique-du-sud-2691438.html
[22] Dubuisson-Quellier, Sophie. « Chapitre 2. Consommation et respect de l’environnement », La consommation engagée, sous la direction de Dubuisson-Quellier Sophie. Presses de Sciences Po, 2018, pp. 31-50.
[23] Ibid
[24] Selon l’étude Think Local, Act Local de l’observatoire Cetelem en 2019.
[25] Indication s’appliquant aux spiritueux, la France en compte 35 selon le « Panorama des industries agroalimentaires » du Ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, 2022.
[26] Site officiel : https://www.produitenbretagne.bzh/les-garanties-du-logo/
[27] Information issue l’entretien avec Christine Larsonneur, directrice de l’association Blé Noir Tradition Bretagne, dans le journal Ouest France : https://www.ouest-france.fr/bretagne/ploermel-56800/ploermel-ble-noir-ras-le-bol-de-la-concurrence-deloyale-5198941
[28]Information issue de l’article du journal Le Monde, « Au pays du reblochon, les petites coopératives laitières s’organisent face au géant Lactalis », par Fanny Hardy en 2022 : https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/09/27/au-pays-du-reblochon-les-petites-cooperatives-laitieres-s-organisent-face-au-geant-lactalis_6143371_3234.html
[29] « Panorama des industries agroalimentaires ». Ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, 2022.
[30] Selon Le scan de l’info de l’IRI, « Très grande disparité de l’ancrage des marques locales sur le territoire », mai 2022.
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