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Alexandre Florentin : « Paris à 50 degrés : cuire, fuir ou agir »

Publié le 9 juillet 2025

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Article publié - N°5

Alors que la canicule s’installe comme une réalité durable, Alexandre Florentin, conseiller de Paris au groupe écologiste, alerte sur l’impréparation collective face aux effets du changement climatique. Il dénonce un certain déni, notamment budgétaire qui continue de prévaloir, permettant de reléguer les impératifs climatiques au second plan. Face à une crise systémique, Alexandre Florentin plaide pour une approche territorialisée, fondée sur l’anticipation et la justice sociale : témoignage.
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Alexandre Florentin conseiller de Paris, rattaché au groupe écologiste, a présidé une mission d’évaluation transpartisane — avec Maud Lelièvre membre du Modem, rapporteure — sur l’adaptation de Paris aux dérèglements climatiques « Paris à 50 degrés ». Ingénieur de formation, il a également pu accompagner, pendant près de 10 ans, des entreprises et des territoires, en France et à l’étranger, dans leur transition écologique au sein du groupe Carbone 4 dont il a fondé et dirigé le centre de formation.

Que révèle l’épisode de canicule qui s’annonce ?

Ce qui me frappe c’est la désorganisation et le fait qu’il y ait encore des gens étonnés ou surpris, alors que les alertes scientifiques et les canicules vécues se sont multipliées ces dernières années. En ce début de juillet, c’est déjà le deuxième épisode caniculaire de l’année. En dehors de Paris de nombreuses classes vont être fermées, l’ensemble des rythmes sociaux sont bouleversés. Je suis aussi frappé par la pauvreté des messages des responsables politiques, et même l’absence de message signifiants. Se mettre à l’ombre, boire de l’eau, prendre soin des personnes vulnérables. Certes. Mais comment cela doit-il se traduire concrètement en termes d’organisation collective ? On reste dans le grand flou.
Il faut bien se dire que quand le climat change tout change. Il y a trois champs qui interagissent : la sphère technique, la santé et l’organisation socio-culturelle. De cette interaction découle l’absence de solution applicable en toute situation. Il est nécessaire de disposer de connaissances appropriées pour décider, mais aussi et surtout pour discuter et négocier sur des bases concrètes.
Par exemple, beaucoup d’employeurs découvrent le sujet, et il n’y a pas de réponses simples aux questions posées. Faut-il favoriser le télétravail ou le travail au bureau ? Cela dépend évidemment du lieu où vous habitez, et du lieu où vous travaillez. Cela dépend aussi de votre métier, de vos vulnérabilités.
Il n’existe pas de solution applicable en toute situation. On ne pourra pas tout adapter, et encore moins si les scénarios climatiques vont vers le pire. Ce que l’on mesure, c’est que la nécessité de s’adapter à des changements de situation oblige à reconsidérer la manière de faire les choses dont nous avions hérité. Que pouvons-nous garder, à quoi devons-nous renoncer ? Ce sont des questions concrètes et existentielles tout à la fois.

La canicule renforce-t-elle les inégalités ?

De toute évidence, oui. Tout ce qui relève de l’adaptation est au croisement d’un aléa, d’une exposition à cet aléa et de la prise en compte de notre vulnérabilité. Tout le monde est exposé à la canicule mais tout le monde n’a pas la même capacité à encaisser le choc ou à développer les bonnes réactions. Le niveau de revenu, la classe sociale à laquelle on appartient, la situation concrète d’une famille, la santé jouent notamment. La vérité est qu’il n’y a pas de véritable référentiel qui ait été élaboré sur les conduites à tenir collectivement en cas de vague de chaleur, d’où le fait que je parle de « Cuire, fuir, agir » pour simplement décrire nos options. C’est quand les situations deviennent très concrètes que la réflexion collective s’enclenche, avec enfin une évaluation des risques. Mais évidemment cette réflexion tardive a des coûts humains et financiers. On le voit pendant cette canicule avec les écoles.

Comment expliquez-vous le succès de votre mission d’évaluation Paris à 50 degrés ?

Il y a eu en moyenne un rapport d’évaluation sur les politiques publiques à Paris chaque année depuis 25 ans. Le rapport Paris à 50 degrés est à ma connaissance le seul à avoir eu un tel retentissement, en France et à l’étranger.
Ce succès s’explique bien sûr par le sujet lui-même, sa gravité, le fait que l’ensemble du territoire national est touché. La canicule c’est un sujet qui parle à tout le monde. Indéniablement, le titre très explicite a joué – c’était un pari. Habituellement on discutait dérèglement climatique en raisonnant sur la base de moyennes assez abstraites – le scénario de l’Accord de Paris c’est justement une moyenne-, parler de 1,5 degrés ou même de 2 degrés cela ne permet pas de comprendre ce qui va se passer réellement. Avec les 50 degrés c’était un choc et une prise de conscience. Et le travail d’enquête transpartisane a permis de mettre en avant nos vulnérabilités individuelles et collectives.
Nous avons par exemple discuté concrètement avec des syndicalistes pour mesurer comment évoluaient les conditions de travail en période caniculaire. Quand vous travaillez dans le BTP, et plus spécialement quand vous bitumez une rue, vous avez des relevés de température au-dessus de 70 degrés.  Quelles peuvent être les conséquences d’être exposé à ces températures sur votre espérance de vie ? Avec cet exemple on comprend aussi les limites de toute politique d’adaptation, la nécessité de réduire drastiquement les émissions. Mais l’entrée par l’adaptation est aussi la meilleure pour mesurer les situations concrètes et proposer des remèdes qui ne pourront cependant s’appliquer que jusqu’à une certaine limite : que les ouvriers des chantiers aient accès à des caissons de rafraichissement, que les horaires soient adaptés, qu’il existe aussi une saisonnalité des chantiers. Cela va évidemment modifier profondément l’organisation des travaux pour les collectivités locales. Dans le cadre de la mission nous avons pu faire un point approfondi avec la secrétaire générale de la ville de Paris. Elle a reconnu honnêtement un défaut d’anticipation sur certains champs et la nécessité de construire des renoncements.
On peut aussi citer le secteur de la restauration. A Paris les cuisines des restaurants font 14 m2 en moyenne. Cela pose des problèmes de sécurité et d’hygiène redoublés en période de canicule. On peut imaginer aussi le choc thermique que vivent les serveurs entre la salle rafraichie et la terrasse caniculaire. En cuisine il y a une solution simple en théorie : adapter la carte. Cela suppose que les consommateurs s’adaptent aussi1.
[1] le lendemain de l’entretien, le chef Thierry Marx faisait cette proposition sur BFM TV.

Comment expliquez-vous ce succès partout en France alors que le rapport parle de Paris ?

Quand on part de la notion de vulnérabilité, il y a des questions qu’on retrouve partout, en tout cas dans les grands centres urbains, une résonance par rapport à la vie réelle. C’est moins le cas à la campagne.
J’ai pu débattre dans plusieurs villes de Seine Saint-Denis, à Lyon, Marseille, Strasbourg, Bordeaux, Toulouse ou Nantes. Je suis allé à Charenton-le-Pont une ville dont le maire appartient au parti des Républicains. J’ai été invité dans des entreprises, beaucoup autour des enjeux dans le BTP qu’il s’agisse des assurances, de la promotion immobilière, de la conception des bâtiments. Pour rendre les échanges concrets ces débats ont impliqué aussi bien des géographes, que des élus, des maraîchers, des sportifs de haut niveau, des citoyens d’horizons très divers.
Je sais qu’à Clermont-Ferrand un cycle de conférences Clermont à 50 degrés a été organisé. Plusieurs acteurs du bâtiment se sont regroupés pour collectiviser leurs tests et apprentissages dans un programme appelé « Nos villes à 50 degrés. ». Le secteur de la restauration s’est aussi mobilisé autour du thème « Chaud devant, manger à 50 degrés ». A l’étranger, j’ai été contacté par une conseillère municipale écologiste de Tokyo élue dans un district de 500 000 habitants pour organiser une manifestation. Il y a des mobilisations aussi au Brésil, en Australie.

Au moment des Jeux Olympiques de Paris l’année dernière, vous aviez tiré la sonnette d’alarme sur les risques de canicule. Paris avait été épargnée mais ce qui se passe cette année permet de mesurer les risques encourus.

Dès le vote du budget à l’automne 2023, j’avais alerté sur le sujet. Toutes les hypothèses budgétaires qui nous étaient présentées reposaient sur la réussite des Jeux Olympiques et cela me semblait déraisonnable. Le modèle économique restait celui de la croissance et de l’attractivité, c’était Paris l’éternelle, celle qui gagnera toujours contre le changement climatique. Comprenons-nous bien, je suis très attaché au rayonnement de Paris. Mais on ne peut pas aller contre les faits. Le barrage contre le Pacifique pour reprendre le titre d’un roman de Marguerite Duras cela n’existe pas même si c’est une tentation permanente face à la nécessité de changer.
En 2023 j’ai donc été le seul conseiller de Paris, appartenant à la majorité, à m’abstenir au moment du vote du budget en faisant valoir que ce budget n’était pas un budget climatique quoi qu’en dise l’argumentaire qui l’accompagnait. C’était un budget Jeux Olympiques point.
Nous avons eu de la chance cet été 2024. Il y a eu une forte canicule en Espagne, une forte canicule aussi dans les pays de l’Est. Mais à Paris il faisait beau et pas trop chaud. Heureusement car aucune des infrastructures n’avait été pensée pour cette situation. Il a tout de même fait très chaud à la Concorde et aux Invalides. Je me rappelle ce journaliste commentateur de la compétition de BMX qui a dit qu’en 25 ans de métier il n’avait jamais à ce point souffert de la chaleur. Mais évidemment au regard de ce qui arrive, on se pose différemment la question de la manière dont les jeux pourront se dérouler à Los Angeles qui a subi cet hiver plusieurs semaines de feux intenses. La nécessité d’anticiper paraît vitale en termes d’organisation des circuits, d’horaires, d’infrastructures.
Il me semble aussi que cette situation va obliger à revoir le déroulement et le nombre des grands festivals culturels l’été. Jusqu’à présent il n’a pas été question de renoncement. Mais cela viendra inévitablement.

Pensez-vous que la France pourrait être moteur sur les enjeux d’adaptation ? N’est-ce pas le sens de la stratégie qu’avait choisie Christophe Béchu l’ancien ministre de l’écologie en mettant en avant son scénario d’une France à 4 degrés à l’horizon 2100 ?

C’est clair que sur la mise en avant de stratégies d’adaptation il y a une place à prendre. On cite toujours les Pays-Bas mais ce n’est pas du tout la même complexité, et les mêmes défis que ceux que la France doit relever, ni les mêmes atouts en termes de recherche, d’outils d’action publique, de diversité des territoires. Lorsque Christophe Béchu a fait son annonce sur la France à quatre degrés à l’été 2022 et la stratégie d’adaptation à mener, je venais d’être chargé de ma mission d’évaluation. Cela montrait effectivement une coïncidence de préoccupations et de calendrier. Nous avons essayé de rencontrer le ministre avec la rapporteure de la mission, Maud Lelièvre, rattachée au Modem, sans succès.
Ce que j’observe c’est que réfléchir à l’échelle d’une collectivité locale cela permet d’aller plus loin dans les solutions proposées, d’être assez prescriptif, de montrer les dialectiques de choix. Or sur ces sujets la France reste un Etat très centralisé. Le Plan national d’adaptation au changement climatique (PNAC) est faible entre autres choses pour cette raison. Il y a un fossé entre des documents élaborés avec une méthode technocratique et les réalités territoriales vécues. Nous sommes face à des défis assurantiels gigantesques. Comment s’assurer contre un phénomène climatique qui est certain ? Faut-il imaginer une sécurité sociale climatique ? Nous devons envisager l’adaptation comme un enjeu de sécurité collective, une question régalienne. Pour cette raison je m’intéresse beaucoup à la culture de l’armée, une organisation institutionnelle qui a l’habitude de fonctionner dans des situations chaotiques et de prendre des décisions difficiles.
Je pense aussi que les villes dirigées par des maires écologistes peuvent, et doivent, être moteurs sur les enjeux d’adaptation.

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