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Étude n°3 : « Le véhicule autonome : quel rôle dans la transition écologique des mobilités ? »
Publié le 11 mars 2021
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Article publié - N°3
Depuis plusieurs années déjà, le véhicule autonome, aussi appelé véhicule automatisé, fait l’objet d’un engouement extraordinaire. Il est présenté comme le futur de la mobilité motorisée, que ce soit en termes de sécurité, de services et d’écologie et semble interroger la pertinence des transports collectifs traditionnels. Pourtant, de nombreuses questions persistent. Alors que cette innovation majeure pourrait définir l’avenir de la mobilité et dans un contexte où le secteur des transports fait face à l’urgence de réduire ses émissions de CO2, le Forum Vies Mobiles a demandé à La Fabrique Écologique d’évaluer la contribution réelle du véhicule autonome sur route (hors transport de marchandises) à la transition écologique à l’horizon 2050.
Video de la conférence de présentation
Depuis plusieurs années déjà, le véhicule autonome, aussi appelé véhicule automatisé, fait l’objet d’un engouement extraordinaire. Il est présenté comme le futur de la mobilité motorisée, que ce soit en termes de sécurité, de services et d’écologie et semble interroger la pertinence des transports collectifs traditionnels. Pourtant, de nombreuses questions persistent. Alors que cette innovation majeure pourrait définir l’avenir de la mobilité et dans un contexte où le secteur des transports fait face à l’urgence de réduire ses émissions de CO2[1], le Forum Vies Mobiles a demandé à la Fabrique Écologique[2] d’évaluer la contribution réelle du véhicule autonome sur route (hors transport de marchandises)[3] à la transition écologique à l’horizon 2050[4].
Un objet complexe et polymorphe
L’idée de voiture sans conducteur apparaît aux États-Unis dans les années 1920, d’abord en réponse au fort taux de mortalité sur les routes puis, dans les années 1950, comme un moyen de libérer le temps du déplacement pour permettre aux familles de se retrouver. Aujourd’hui, les recherches sur le véhicule autonome portent sur de nombreux possibles, dont l’avenir dépendra des progrès technologiques et des choix économiques et politiques qui sont faits.
Un véhicule autonome sur route peut être un véhicule individuel ou partagé (voiture en autopartage, robot-taxi, navette autonome). Pensé dès sa genèse comme un véhicule électrique en raison de la convergence des temporalités liées à ces deux innovations, le véhicule autonome n’est pas en luimême porteur de la motorisation thermique ou électrique, ni du recours à certains types d’énergie en particulier (gaz naturel, hydrogène, etc.). De nombreuses incertitudes persistent encore sur les types de motorisations et d’énergie auxquelles il pourra avoir recours.
On distingue actuellement cinq niveaux d’autonomie, dont les deux premiers sont en réalité des assistances à la conduite déjà largement diffusées dans le parc automobile actuel. Ce n’est qu’à partir du niveau 3 que l’on peut parler de véritable conduite autonome, mais celle-ci est limitée à certaines conditions (par exemple sur autoroute) et le conducteur doit être en permanence en mesure de reprendre le contrôle. Le niveau 4 désigne l’autonomie complète sous certaines conditions météorologiques et dans certaines zones géographiques, tandis que le niveau 5, encore très largement hors de portée, désigne l’autonomie complète en toutes conditions. Ainsi, le véhicule autonome, loin d’être une technologie de rupture, est développé selon une logique incrémentale d’adaptation d’un véhicule classique.
Pour assurer la conduite autonome, les véhicules doivent être dotés de multiples équipements (caméras, radars et lidars, logiciels informatiques) leur permettant de détecter leur environnement immédiat et plus lointain, d’analyser ces informations et de prendre des décisions. Les cartographies haute définition, continuellement mises à jour, permettent de compléter les informations enregistrées par les capteurs. Le déploiement des véhicules autonomes requiert également un haut niveau de connectivité pour assurer la communication des véhicules entre eux et avec l’infrastructure, ou pour une supervision à distance, ce qui nécessitera probablement le déploiement de la 5G.
Des investissements massifs
Face à de telles exigences technologiques, des investissements colossaux sont nécessaires, d’abord dans le domaine de la recherche et du développement. En France, des dizaines de millions d’euros ont été investis dans des expérimentations[5]. À l’échelle internationale, une étude du cabinet The Brookings Institution estime à 80 milliards de dollars les investissements en faveur du véhicule autonome entre 2015 et 2017, essentiellement en R&D. Alors qu’aujourd’hui, une grande partie de ces investissements est portée par les acteurs privés, le coût de déploiement des infrastructures nécessaires à la circulation des véhicules autonomes (marquage au sol, panneaux de signalisation, équipement numérique, aménagement de voies séparées, etc.) constituera une nouvelle dépense qui devrait incomber principalement aux États et aux collectivités.
Une compétition mondiale répondant avant tout à des stratégies économiques
La recherche-développement sur le véhicule autonome est portée depuis plusieurs années par une intense compétition mondiale entre différents acteurs.
Les acteurs traditionnels de l’industrie automobile, les constructeurs (Renault et Peugeot pour la France) et leurs équipementiers y voient l’occasion de renouveler le système de la voiture en vendant des véhicules équipés de toujours plus de fonctionnalités. Les grandes entreprises du numérique (Google, Uber, etc.) visent l’autonomie totale qui leur permettrait d’assurer leur contrôle sur la valeur ajoutée liée à la production et à la circulation des données. Le véhicule autonome, en libérant le temps de la conduite, serait aussi l’occasion pour ces acteurs de proposer de nouveaux services numériques à bord. Pour ces acteurs privés comme pour certains acteurs publics (opérateurs de transport, collectivités), le développement du véhicule autonome permettrait de réduire les coûts d’exploitation en supprimant ou en délocalisant des emplois ; en supprimant le poste d’un conducteur, le coût du service pourrait être réduit de 60% à 70%.
Enfin, les États se sont également lancés dans la course internationale au développement du véhicule autonome, aujourd’hui dominée par les États-Unis et la Chine. L’enjeu pour l’Europe est de renforcer sa présence sur les différents marchés liés au véhicule autonome (cartographie numérique, composants électroniques, 5G, etc.) et de donner un second souffle aux industries automobiles nationales. Dans ce contexte, la France affiche l’ambition de devenir « le pays le plus en pointe sur l’accueil des véhicules autonomes » (rapport Idrac[6]). Sa stratégie vise d’abord à préserver son industrie automobile, deuxième employeur du pays, mais porte également un modèle de société. Le véhicule autonome serait un moyen de lutter contre les inégalités sociales et territoriales en se focalisant sur trois enjeux prioritaires : les territoires ruraux, les publics exclus de la mobilité qui ne peuvent pas acheter ou utiliser une voiture et la non-concurrence avec les modes actifs (marche et vélo).
Le rapport Idrac présente également le véhicule autonome comme une alternative écologique car il serait électrique, permettrait une conduite plus efficiente car plus fluide, pourrait être plus léger grâce à de meilleures performances de sécurité et favoriserait le report modal en étant complémentaire aux transports en commun. Pour déployer sa stratégie, la France s’appuie sur des consortiums regroupant différents acteurs publics et privés et sur des expérimentations dans différents territoires, permettant aux collectivités de s’engager dans la course au véhicule autonome.
Des conséquences écologiques potentiellement catastrophiques
Trois scénarios sont aujourd’hui envisagés pour le développement du véhicule autonome : celui d’une mobilité individuelle avec des voitures à usage privé, porté par les constructeurs automobiles ; celui d’une mobilité à la demande s’appuyant sur des flottes de robots-taxis, porté par les acteurs du numérique ; celui enfin d’une mobilité collective avec des navettes autonomes, porté par les acteurs publics (collectivités et opérateurs de transport).
Outre les impacts environnementaux considérables liés au développement en masse de véhicules high-tech, le scénario de mobilité individuelle risque de s’accompagner d’un accroissement de l’étalement urbain et des inégalités sociales face à la mobilité, puisque les véhicules privés ne seront probablement accessibles qu’à la frange aisée de la population.
Le scénario de mobilité à la demande pourrait également accroître les inégalités sociales (tarification privée) et territoriales (développement selon la rentabilité des territoires), ainsi que la congestion routière s’il ne fait que s’ajouter au trafic routier actuel. Ces effets-rebonds, pointés par les nombreuses études[7] qui ont analysé les conséquences écologiques du déploiement des véhicules autonomes, pourraient être à l’origine d’une évolution de la consommation d’énergie du parc automobile qui pourrait au pire tripler, au mieux diminuer de moitié. Mais c’est sans compter l’impact énergétique lié aux énormes quantités de données qui seront échangées entre les véhicules[8], nécessitant très probablement la 5G, ou encore les émissions de CO2 liées à la production, l’installation, la maintenance, le renouvellement et la gestion des déchets d’un ensemble d’objets et d’infrastructures sur route ou embarqués.
Le troisième scénario, celui du développement de navettes autonomes pour le transport collectif des voyageurs, pourrait permettre des usages vertueux, mais son déploiement (mise au point de la technologie, développement d’infrastructures, etc.) risque de préparer le terrain pour un développement massif des usages les moins vertueux. Restreindre le développement du véhicule autonome à sa zone de pertinence nécessiterait une régulation très forte de la puissance publique qui pour le moment, délaisse les usages les plus vertueux : en France, sur les 16 expérimentations de l’appel à projet national EVRA (Expérimentation du Véhicule Routier Autonome), seules deux ont porté sur la mobilité collective dans les territoires ruraux, alors même que ces derniers sont présentés comme étant les plus pertinents d’un point de vue écologique (limiter l’autosolisme) et social (lutter contre l’enclavement des territoires les moins bien desservis en transports en commun).
Un déploiement en décalage avec l’urgence climatique
Elon Musk, PDG de Tesla, a promis un véhicule autonome capable de circuler en toutes circonstances, pluie, neige, brouillard, nuit, sur tous les territoires et en présence de piétons et de cyclistes pour fin 2021. Pourtant la législation internationale qui entrera en vigueur en janvier 2021, adoptée par 58 des pays de l’ONU, dont la France, imposera aux véhicules autonomes de niveau 3[9] transportant jusqu’à 8 personnes des conditions de circulation très éloignées de ce discours. Un véhicule ne pourra circuler qu’avec un conducteur assis et attaché, à une vitesse ne dépassant pas les 60 km/h sur des voies dont les deux sens de circulation seront séparés par une barrière physique et desquelles piétons et cyclistes sont absents. Reste à savoir dans quelles conditions les véhicules de niveau 4 et 5 seront autorisés à circuler.
En tout état de cause, les acteurs non industriels, que ce soient les chercheurs (CNRS) ou les pouvoirs publics (rapport Idrac), n’envisagent pas un déploiement massif de véhicules complètement autonomes avant 2050, c’est-à-dire après l’échéance fixée par la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) pour atteindre la neutralité carbone. Le véhicule autonome ne peut donc clairement pas contribuer valablement à la course contre le changement climatique dans laquelle sont engagés les pays d’ici 2030[10] et 2050.
Alors que le développement du véhicule autonome et le déploiement des infrastructures nécessaires à sa mise en circulation exigent des investissements considérables non seulement privés mais aussi, à l’avenir, publics (développement, adaptation des infrastructures, etc.), le rapport de la Fabrique Écologique pour le Forum Vies Mobiles démontre que sa contribution à la décarbonation de la mobilité ne peut être au mieux que marginale et que son déploiement massif ne pourra pas se faire à temps pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Pire, sa diffusion risque à l’inverse d’augmenter fortement les émissions de CO2 liées au transport si on comptabilise non seulement celles liées à la circulation de la nouvelle flotte mais aussi celles attachées à sa production et à la multitude de données qu’elle génèrera.
Cette situation est symptomatique d’une forme de schizophrénie des pouvoirs publics qui articulent difficilement enjeux économiques, sociaux et écologiques. Pourtant, une approche transversale permettrait une appréhension globale des enjeux liés à la mobilité et pourrait ouvrir la voie à de nouveaux leviers moins coûteux et plus efficaces, réalistes et inclusifs.
Dans une perspective écologique, il est donc utile et urgent d’inciter l’État français à concevoir, investir et déployer un nouveau système de mobilité combinant transports collectifs ferrés (autonomes ou non) et routiers, voitures légères et low-tech, modes actifs, voire à repenser l’aménagement du territoire pour permettre d’éviter les déplacements carbonés inutiles.
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Le groupe de travail
À la suite de l’étude, un groupe de travail sera mis en place et animé par La Fabrique Écologique et le Forum Vies Mobiles. Une liste de questions issues de l’étude sera soumise à un groupe de participants issus de différents horizons professionnels : scientifiques, représentants de la société civile, professionnels de l’écologie ou du développement durable, etc. À l’issue des réunions du groupe, une note sera rédigée afin de proposer des recommandations pragmatiques et concrètes.
Lien : https://fr.forumviesmobiles.org/projet/2020/02/07/vehicule-autonome-quel-role-dans-transition-mobilitaire-13211
Notes de bas de page
[1] En France, la Stratégie Nationale Bas Carbone de 2015 fixe des objectifs revenant à une division par 33 des émissions du secteur des transports d’ici 2050.
[2] L’étude de la Fabrique Écologique repose sur des entretiens avec des acteurs de la recherche, des experts, au sein des ministères et des collectivités et sur une revue de la littérature grise et savante, technique et théorique sur le véhicule autonome.
[3] L’étude s’est concentrée sur le transport de voyageurs sur route et non sur le transport ferré (train et métro autonomes) ou le transport de marchandises (camions autonomes).
[4] Délai que s’est fixé la France pour diminuer par 33 ses émissions de gaz à effet de serre du transport par rapport à 1990.
[5] Par exemple, le programme EVRA (Expérimentation du Véhicule Routier Autonome) finance 16 expérimentations à hauteur de 40 millions d’euros. La Région Ile-de-France a prévu quant à elle de dépenser 100 millions d’euros pour devenir la première Région française en termes de développement du véhicule autonome.
[6] Idrac, Anne-Marie. 2018. « Développement des véhicules autonomes – Orientations stratégiques pour l’action publique ».
[7] Saujot, Brimont et Sartor, 2017, « Comment accélérer la mobilité durable avec le véhicule autonome ? », Issue Brief n°02/17, IDDRI ; Wadud, MacKenzie et Leiby, 2016, “Help or hindrance? The travel, energy and carbon impacts of highly automated vehicles”. Transportation Research Part A: Policy and Practice 86 (avril) : 1-18 ; Brown, Repac, Gonder, 2013, “Autonomous Vehicles Have a Wide Range of Possible Energy Impacts”, NREL/PO-6A20-59210, NREL, University of Maryland ; Stephens, Gonder, Chen, Lin, Liu, Gohlke, 2016, “Estimated Bounds and Important Factors for Fuel Use and Consumer Costs of Connected and Automated Vehicles”, NREL/TP5400-67216. National Renewable Energy Lab (NREL), Golden, CO (United States) ; etc.
[8] Sachant qu’un véhicule connecté pourrait produire jusqu’à 1Go par seconde, un Français pourrait produire en moyenne 1,3 millions de Go par an.
[9] On distingue aujourd’hui 5 niveaux d’autonomie dont les deux premiers sont des assistances à la conduite. On parle de réelle autonomie (dans certaines conditions) à partir du niveau 3, le niveau 5 désignant l’autonomie en toutes conditions.
[10] L’Union Européenne s’est en gagée en décembre 2020 à réduire d’au moins 55% ses émissions globale de CO2 d’ici 2030.
Agriculture
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Santé environnementale
La nécessité d’une transition ambitieuse pour l’élevage : contribution à la SNANC (stratégie nationale alimentation-nutrition-climat)
Article publié - Publié le 30 avril 2025
Synthèse
La présente contribution de La Fabrique Ecologique à la consultation publique sur le projet de Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat (SNANC) n’a pas vocation à couvrir l’ensemble du champ de cette stratégie. Elle se concentre sur l'élevage des ruminants, et plus particulièrement les liens qui existent entre les questions de santé publique (à travers la nutrition), de maintien de la biodiversité et de lutte contre le changement climatique (atténuation et adaptation).
Économie, Finances
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Politique Société
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Synthèse